Revue de presse. Pourquoi la lutte antiterroriste en Algérie a fait proliférer le sanglier

Redaction

Lu sur Sciences et Avenir

Dans un maquis de Thénia, près d’Alger, une trentaine de chasseurs s’apprêtent à traquer le sanglier qui a proliféré grâce à l’interdiction de la chasse en vigueur depuis plus de 20 ans dans le cadre de la lutte contre les groupes armés.

Au début des années 90, face aux raids des groupes armés islamistes pour délester les villageois de leurs fusils de chasse afin d’équiper leurs maquisards, les autorités avaient décidé de confisquer les armes. Et la chasse fut suspendue.

Il y avait alors jusqu’à 50.000 sangliers chassés par an, 320 associations de chasseurs, 60.000 chasseurs (tous types de chasse confondu) et un million de détenteurs de fusils.

« La chasse a été suspendue en 1993 à cause du terrorisme », rappelle Youcef Hammi, président de la fédération nationale de la chasse.

Mais pour celle du sanglier des dérogations sont délivrées. Encore faut-il trouver les munitions interdites de vente. « C’est le système de la débrouille », s’amuse M. Hammi.

En vingt ans, le mammifère a tellement proliféré que les préfets doivent désormais autoriser des battues afin de limiter les nuisances de l’animal qui ne craint même pas de pointer le groin dans les villes.

Mais les parties restent strictement encadrées pour éviter que les chasseurs soient confondus avec des « terroristes » encore en activité, notamment dans les forêts de Kabylie où onze soldats ont été tués le 19 avril dernier dans une embuscade revendiquée par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).

Après 32 ans de service dans l’armée, Saïd croit avoir trouvé une jolie reconversion. Le retraité à la forte carrure et à l’épaisse moustache, est affectueusement appelé « ammi » (oncle) par les membres de la compagnie.

Talkie walkie à la main, il doit garder le contact avec les militaires pour conjurer tout risque de méprise, tout en délivrant son cours à des passionnés de chasse qui l’écoutent religieusement.

Les chiens tournent autour de rabatteurs munis d’appeaux afin d’attirer les sangliers en les faisant sortir du bois.

« Une journée agréable doit se terminer de manière agréable, sans le moindre accident », affirme Youcef Hammi, insistant à son tour sur l’aspect sécurité.

– L’exportation non autorisée –

Durant les années 90 et jusqu’en 2004, « bien courageux était celui qui s’aventurait ici », se remémore un chasseur en référence aux islamistes qui sévissaient dans ce maquis.

« Il y a quelques années nous avons reçu un appel de l’administration de l’université de Bab Ezzouar (dans la banlieue Est d’Alger) nous demandant de les débarrasser des sangliers. En une seule journée, nous avons abattu 74 bêtes », raconte fièrement Saïd.

Posté sur un rocher, Saïd voit arriver sur lui un sanglier. Il tire un premier coup, l’animal s’arrête et pousse un long grognement. Deux autres coups de feu retentissent, l’animal tombe. Saïd descend vérifier qu’il est bien mort et repère l’impact des tirs sur le corps de la bête. Heureux, il se laisse prendre en photo.

« Demain, Inchallah (si Dieu veut), lorsque la chasse sera officiellement ouverte, le sanglier pourrait devenir une source de revenus appréciable et relancer le tourisme local », lance Youcef Hammi.

Mais si l’exportation de la viande de sanglier devait être un jour autorisée, elle butterait sur un écueil administratif car « les vétérinaires algériens ne sont pas formés à la pathologie porcine » dans ce pays musulman. « Nous ne pouvons pas établir de certificat sanitaire », souligne Tarik Ladjouz, vétérinaire.

Aujourd’hui, la viande de sanglier est généralement offerte aux parcs zoologiques, vendue illégalement à des expatriés, chinois notamment, ou consommée discrètement par de rares Algériens.

Parfois, les bêtes sont abandonnées sur place jusqu’à ce qu’elles se décomposent. Certains chasseurs refusent d’y toucher par pratique religieuse. Ils chassent pour le plaisir et pour réduire la prolifération de « ce nuisible ». Après la battue du matin, plusieurs chasseurs ont été à la mosquée pour la prière du vendredi.

« A chaque fin de partie, on découpe les animaux sur place et chaque consommateur emporte sa part », confirme Abdelmadjid, un sexagénaire qui doit cuisiner seul dans le jardin, pour ne pas gêner son épouse et ses enfants, plus respectueux des préceptes de leur religion.