Lu sur Les Débats
Un appartement F2 dans une commune des plus modestes coûte jusqu’à 7 millions Da, c’est à dire 700 millions de centimes. Le prix peut quadrupler ou bien quintupler lorsqu’il s’agit d’un appartement de même superficie, situé dans une grande ville comme la capitale, où le prix de l’immobilier atteint des sommes astronomiques.
Acheter un logement cash est devenu une utopie pour un citoyen issu de la classe moyenne. Les prix sont tellement élevés que le projet de prétendre à un logement, par le biais d’une transaction économique, est devenu quasi impossible pour beaucoup de catégories sociales. Du coup, les citoyens de la classe moyenne se rabattent, inexorablement (et quand les conditions le leur permettent) vers d’autres moyens pour pouvoir bénéficier d’un toit décent.
Plus de la moitié des Algériens en âge de procréer ont formulé, officiellement, au moins une demande, dans l’une ou l’autre des différentes formules d’acquisition d’un logement. Toutefois, la sélection est de taille, au point où des commissions spéciales, présidées par le chef de Daïra ou par le wali délégué (pour les communes de la wilaya d’Alger), chargées de mener à bout cette mission ont été créées.
Elles sont composées, entre autres, des représentants de différents organismes, dont celui de l’office de promotion et de gestion immobilière Opgi, la sûreté de la Daïra, le président de l’APC …etc. En dépit des efforts consentis par l’Etat, à travers, le département de l’habitat et de l’urbanisme et par le biais des différents programmes de réalisation de logements, dans le cadre social ou dans le cadre du logement aidé, la frénésie du logement reste toujours inapaisable.
La demande sur le logement est plus fortement exprimée dans les grandes villes qu’en zones rurales. La raison de cette disproportion réside dans la tendance à l’urbanisation à outrance de la population algérienne, elle même expliquée par les phénomènes d’exode.
Les chances, en effet, de dénicher un travail dans les grandes villes, sont autrement plus importantes que dans les zones rurales ; où l’activité économique demeure, quoiqu’on en dise, rudimentaire. Comme partout ailleurs dans le monde, le premier, sinon le seul facteur qui entrave l’évolution des individus est le chômage.
Un poste de travail est, certes, source de stabilité… Mais ce n’est pas vraiment le cas, chez nous, car même si le citoyen accède à un travail, il risque d’être longtemps confronté à de nombreux autres écueils, dont la cherté de l’immobilier et le coût des loyers ne sont pas des moindres.
BLANCHIMENT D’ARGENT
Une première réponse est dans ce constat, que l’immobilier est devenu un créneau de prédilection pour tous ces nouveaux milliardaires à la fortune douteuse désirant blanchir leur gain.
Interrogée, une responsable au sein d’une banque, sise à Alger-Centre accepte de faire part de son analyse. Pour notre interlocuteur tout est inhérent à l’offre et à la demande. » Ce n’est pas la demande en matière d’immobilier qui manque en Algérie bien au contraire, celle-ci est disponible « .
Pour elle, les choses sont simples: » si une marchandise, quelque soit sa nature, est chère, c’est qu’il y a une forte demande sur elle et cela veut dire que les gens l’achètent à outrance « . Mais, plus grave, elle affirme que le phénomène criminel du blanchiment d’argent a joué un grand rôle dans cette spirale de la surenchère que connaît l’immobilier en Algérie.
Selon notre interlocutrice, il y a des gens qui disposent d’impressionnants capitaux, des plus douteusement acquis, et qui ne peuvent pas les utiliser ailleurs, ni même les investir dans d’autre secteurs. Pour notre source, le secteur de l’immobilier se présente comme étant un secteur de prédilection pour ses nouveaux riches d’un genre assez particulier.
C’est ainsi donc, que les détenteurs de ce genre de capitaux se lancent dans une course vertigineuse à l’achat de toutes sortes de biens immobiliers : appartements dans plusieurs wilayas du territoire national, des villas de grand standing, des locaux commerciaux, des centres commerciaux (modifiés et remodifiés capricieusement), lots de terrain à travers tout le territoire national. Il s’agit là, de transactions économiques qui se concluent à coups de plusieurs dizaines de milliards de centimes.
Cet engouement frénétique et quasi-pathologique sur le patrimoine immobilier national, notamment dans le secteur privé, a eu des répercussions des plus néfastes : les prix des logements et des terrains, jusque dans les contrées les plus reculées, sont prohibitifs et hors de portée pour la majeure partie des citoyens. Il faut dire que la concurrence est sauvage. La surenchère dans ce domaine et la libération anarchique des prix ne semblent pas faits pour voir le marché se normaliser de sitôt.
DES TRANSACTIONS CONCLUES EN LIQUIDE
La majorité des transactions économiques rentrant dans le cadre du blanchiment de l’argent des détenteurs de capitaux se font en liquide. » Aucune de ces transactions ne devrait passer par les banques activant sur le territoire national ! » tel est la règle de ce genre d’opérateurs immobiliers.
En effet, il n’est un secret pour personne, que quiconque verse de l’argent liquide dans un compte bancaire devrait justifier, au besoin et sur la base de preuves tangibles, son origine. Il s’agit là, d’un procédé bancaire imposé à toutes les structures et les établissements bancaires activant à l’échelle nationale. Le procédé entre dans le cadre de la lutte contre la fraude et toutes sortes de blanchiment d’argent.
En effet, le simple fait de se présenter pour mettre de l’argent mal-acquis dans un compte bancaire suscite des interrogations, voire des soupçons qui peuvent être, à l’origine d’une enquête enclenchée par les brigades économiques et financières des forces de sécurité, en vue de déterminer les conditions dans lesquelles cet argent a été acquis.
Cela représente, en effet, un énorme risque pour les prévaricateurs qui ne peuvent pas se permettre de laisser des traces pour une éventuelle enquête. D’où, le recours aux transactions en liquide. Les quelques hommes de finance et autres banquiers interrogés ont fait état de quelques défaillances du système financier national.
Un cadre dans une entreprise financière nationale a expliqué que la loi régissant certaines transactions économiques présente des brèches, à travers lesquelles » des gros poissons de la pègre ! » peuvent passer sans trop de difficultés. Tel serait le cas dans le domaine de l’immobilier ; où les brèches seraient suffisamment grandes pour laisser libre passage aux grosses pointures du blanchiment d’argent.
En effet, lorsqu’une transaction immobilière est conclue, entre deux individus, l’acheteur qui paye » cash ! » n’aura aucun empêchement pour conclure la transaction en question auprès d’un notaire et pour retirer, ensuite, les différents documents inhérents à la propriété tels que l’acte de propriété, le plan cadastré…etc.
Notre interlocuteur relève que cette situation profite beaucoup plus aux sujets mafieux, qui s’en sortent plutôt bien pour blanchir leur argent et introduire ainsi leurs fonds dans le circuit économique légal.
A la question relative au rapport entre blanchiment d’argent et cherté de l’immobilier en Algérie, la réponse dont nous fait part un autre interlocuteur, cadre des contributions du côté d’El Hamiz, à l’est d’Alger est des plus limpides. En effet, comme les sommes d’argent qui devraient être blanchies de la sorte ne se comptent pas par millions, mais par centaines de milliards, une même personne se doit (!) d’acheter plusieurs biens immobiliers.
C’est delà donc que découle, entre autres, le phénomène des maisons vides, inoccupées, au moment où des millions d’Algériens qui ne demandent qu’à acheter, en toute légalité, quelques parcelles de terrain ou une habitation, à des » prix honnêtes, abordables et à portée du citoyen moyen « .
LA VERSION DES AGENCES IMMOBILIÈRES
Les quelques propriétaires des agences immobilières interrogés à propos de ce sujet, ont extrapolé le débat sur une tout autre piste. Pour les agences immobilières, le problème de la cherté de l’immobilier en Algérie est dû à deux facteurs prépondérants.
Le premier facteur est lié au manque d’assiettes foncières. » Il est vraiment difficile de trouver des assiettes de terrain à même de servir de socle pour la réalisation de bâtisses, notamment lorsqu’il s’agit des grandes villes du pays, à l’image de la capitale et même au niveau des autres grandes villes. » explique Karima, agent immobilier exerçant dans une agence à Tizi Ouzou.
A en croire les propriétaires des agences immobilières, le deuxième facteur à l’origine de l’envolée des prix de l’immobilier, est lié au déficit accusé en matière de matériaux de construction, notamment le ciment. En effet, les plus récentes statistiques font état d’un déficit estimé entre 3 à 5 millions de tonnes par an.
La production locale tourne au tour de 18 millions de tonnes dont 11,5 millions sont produites par les entreprises publiques. Cette pénurie retarde bien des chantiers du Btph. La rareté, réelle d’abord, est récupérée et systématisée par la spéculation. Les effets néfastes sont nombreux et certains, car le déficit en produits de construction, induit des surcoûts extrêmement contraignants.
Autant de facteurs qui ne font qu’aggraver la situation en se répercutant, en bout de chaîne, sur les prix du logement.
LA SOLUTION… ACHETER UN «APPART» EN ESPAGNE
Le cadre algérien, qui a économisé durant toute sa vie, souvent livré à lui-même, se trouve actuellement convoité par les agences immobilières de certains pays européens.
Entre deux castes, ce malheureux cadre est livré à une aliénation sociale quasi inévitable. Il ne peut prétendre à aucune des formules d’aide au logement, puisque son salaire, relativement élevé, ne le lui permet pas, et il ne peut pas prétendre à l’achat d’un logement, car les prix de ces derniers dépassent la fiction.
Mohamed B., cadre administratif dans une Daïra de la wilaya d’Alger, a accepté d’apporter son témoignage. » Tenez ! Prenez mon cas par exemple. Je suis cadre et ma femme est professeur à l’université. Nous touchons tous les deux un salaire qui ne nous permet pas de souscrire à une formule du logement social pour l’acquisition d’une maison. Mais en contrepartie, nous ne pouvons pas acheter une des maisons proposées à la vente par les différentes agences immobilières.
Nous sommes ainsi pris entre les courants et nous nous trouvons acculés à vivre en location au jour le jour » déplore-t-il. Toutefois, conjoncture oblige, cette frange de la société algérienne est actuellement convoitée par les agences immobilières de certains pays européens, dont l’économie a été déstructurée par la crise des » subprimes » de l’année 2008.
L’Espagne, pour ne citer que ce cas, s’avère être une véritable aubaine pour cette catégorie de salariés. Après l’éclatement de la bulle immobilière dans ce pays Ibérique, des centaines de milliers de citoyens espagnols, surendettés, se sont vu expulsés de leurs maisons ; lesquelles sont récupérées par les banques créditrices.
Ces même banques activant avec des agences immobilières, se sont, dès lors, mises à la recherche d’une éventuelle clientèle qui pourrait sauver la mise en achetant ce patrimoine immobilier évalué, par les experts, à plus d’un millions d’unités. Et comme le malheur des uns fait le bonheur des autres, dit l’adage, la classe moyenne algérienne se trouve privilégiée de par la » propreté » du capital qu’elle propose, justifié par les états de salaires.
La conformité des som-mes d’argent proposées par les cadres algériens avec les postes d’emploi qu’ils occupent, ne présente aucun obstacle d’ordre juridique chez les banques ibériques ; contrairement aux blanchisseurs d’argent, alléchés par l’offre, mais incapables de défendre la source de leurs avoirs.