Lu sur Maghreb Emergent
L’Algérie dispose de peu de données statistiques fiables. Les chiffres sont souvent fantaisistes, gonflés pour des besoins de propagande et des nécessités électorales, qui finissent par intoxiquer leurs propres producteurs.
Le ministre de l’habitat, M. Abdelmadjid Teboune, prévoit de réaliser 900.000 logements ruraux avant la fin du prochain quinquennal. Au total, l’Algérie construira 2.6 millions de logements en cinq ans, a-t-il dit. Des chiffres qui donnent le vertige, mais qui font sourire les spécialistes, quand on sait que le programme AADL, lancé en 2001, pour moins de 100.000 logements, n’a toujours pas été achevé. Pour construire autant de logements, il faut de l’argent, disponible à profusion, des matériaux de construction, qu’on peut importer, et des contrats qu’on peut signer. Mais il faut aussi une organisation, des entreprises, une administration et une main d’œuvre qualifiée, introuvables sur le marché local. Ni le recours aux « Chinois », ni l’appel à une main d’œuvre non qualifiée ne suffiront à atteindre des objectifs aussi ambitieux.
Il est vrai également que M. Teboune hérite d’un secteur où une solide tradition de chiffres fantaisistes s’est installée depuis de longues années. L’ancien premier ministre Ahmed Ouyahia avait annoncé avoir réalisé 1.2 millions durant un mandat du président Abdelaziz Bouteflika. Un chiffre évidemment démenti par de hauts responsables du secteur, mais qui ne peuvent s’exprimer publiquement.
A l’inverse, le ministère de l’agriculture n’a pas hésité à démentir l’ancien ministre Rachid Benaïssa. Celui-ci avait affirmé que la production agricole a augmenté de 13% par an pendant quatre ans, depuis 2009. Une croissance à la chinoise, qui laisse entendre que la production agricole a augmenté de plus de 60% durant ce délai.
Le choc de chiffres contradictoires
Mais M. Rachid Benaïssa à peine débarqué, le ministère de l’agriculture a corrigé le tir. La production de céréales, annoncé autour de 56 millions de quintaux en avril, puis ramené à 52 millions en été, ne sera que de 49.1 millions en 2013, le chiffre le plus bas depuis cinq ans. Le nouveau ministre avait intérêt à publier ces corrections : il serait forcément jugé sur son bilan, et s’il part d’un niveau trop élevé, sa marge sera étroite. Il a donc très rapidement remis les pendules à l’heure.
De plus, ce résultat annoncé dans le secteur des céréales était visiblement contredit par un autre chiffre, celui des importations, dont l’ampleur a été révélée fin novembre par la douane : l’Algérie a déjà importé 80 millions de quintaux de céréales cette année. Elle ne produit que 38% de sa consommation, ce qui montre une aggravation de la dépendance en céréales. Pourtant, il y a trois ans, l’Algérie avait officiellement annoncé qu’elle était sur la bonne voie, et qu’elle commençait à exporter de l’orge. Une cargaison était envoyée en grande pompe vers la Tunisie, alors que le produit faisait l’objet d’une pénurie dans certaines régions.
Yousfi se laisse aller
Ces chiffres approximatifs, quand ils ne sont pas farfelus, ne sont pas l’apanage de quelques secteurs. Ils concernent l’ensemble de la vie économique. Y compris le très sérieux secteur des hydrocarbures, où exerce le très austère Youcef Yousfi. Même lui n’a pas résisté à l’air du temps. M. Yousfi annoncé, il y a un mois, que Sonatrach a découvert un important gisement, avec des réserves estimées à 1.3 milliards de barils, et qu’il était envisageable d’en récupérer 50%. Aucun spécialiste interrogé par Maghreb Emergent n’a estimé possible un tel taux de récupération.
Qu’est-ce qui pousse un spécialiste comme M. Yousfi à aller sur ce terrain glissant des chiffres approximatifs, au risque de perdre sa propre crédibilité ? Les besoins d’une conjoncture pré-électorale n’expliquent pas tout. Un ancien ministre confie à Maghreb Emergent que les hauts responsables publient des chiffres dans deux optiques différentes, « soit pour se faire valoir, soit dans un but électoraliste, comme c’est le cas aujourd’hui ». « Mais c’est un jeu dangereux », dit-il, car « des responsables de secteurs sensibles risquent de se faire piéger par leurs propres faux chiffres ». Dans le secteur agricole, « majorer les chiffres de dix à vingt pour cent a toujours été considéré comme allant de soi », affirme de son côté un ancien haut responsable. D’où l’importance de certains organismes, comme l’Office National des Statistiques, dont « il faut absolument préserver l’indépendance pour garder des repères fiables ».
Des bases de travail contestables
A côté ces chiffres vulgairement manipulés, le terrain est miné par les méthodes de travail en vigueur en Algérie qui débouchent sur des confusions inutiles. Ainsi, la loi de finances est toujours établie sur la base d’un baril de pétrole à 37 dollars, alors qu’il en vaut trois fois plus. Cette base de départ fausse tout le reste : recettes budgétaires, fiscalité, système de régulation, etc. Elle fixe des objectifs aléatoires, à un niveau ridiculement bas, ce qui permet toujours au gouvernement de dire qu’on a dépassé les objectifs fixés.
Revers de la médaille, cette méthode occulte aussi les rares aspects positifs de l’évolution de l’économie algérienne. Ainsi, la croissance 2013 devrait se situer à un niveau très modeste, autour de 2.7%. Mais ce chiffre n’est pas significatif en lui-même, car le secteur des hydrocarbures a connu une forte baisse (-12%), alors que la croissance hors hydrocarbures devrait s’établir autour de cinq pour cent. Les mauvaises performances du secteur des hydrocarbures donnent l’impression d’une économie en déroute, alors que les résultats sont plutôt moyens.