Lu sur Maghreb Emergent
Au lendemain de la qualification de l’Algérie à la coupe du monde du Brésil, un monumental portrait du président Bouteflika, debout, a été déployé au-dessus de l’esplanade de la Grande Poste à Alger. La tentative de récupérer la joie des algériens est plus grossière que jamais. Retour sur un modèle importateur qui marche dans le football.
Les deux qualifications de l’Algérie au mondial de 2010 et de 2014 symbolisent parfaitement l’ère d’Abdelaziz Bouteflika. Elles ont été achetées avec des devises lourdes. Comme l’autoroute Est-ouest, les tramways, la réconciliation nationale ou la pacification des jeunes avec les prêts ANSEJ. L’Algérie est un grand pays de football à l’échelle de l’Afrique et a été déjà deux fois à la coupe du monde avec une dominante de joueurs issus des clubs locaux. Là se situe l’alibi qui justifie la dépense. La FAF est la fédération du continent qui a, et de très loin, le plus dépensé ces dix derniers années pour récupérer des footballeurs binationaux, nés et formés en France, et en faire l’ossature du groupe dans les compétitions internationales. Lorsqu’on observe les liesses populaires que déclenche l’obtention du ticket au mondial, on peut considérer qu’il s’agit là d’une bonne dépense pour le pays. Il faudrait juste voir tout de même si le même résultat ne peut pas être à nouveau obtenu avec une autre démarche. Celle qui ramènerait en Algérie le centre de production de l’élite du football. Une sorte de substitution à l’importation appliquée à l’économie du football. Et là, tout comme dans l’industrie, les TIC, ou les travaux publics, la mise en place d’un écosystème performant renvoie à l’échec ces 14 dernières années.
Etranglée sous le flot des finances publics et leur corollaire, les importations massives. La dépense de la FAF n’est pas politiquement scandaleuse car elle est financée en bonne partie par des sponsors privés. En majorité étrangers d’ailleurs, la première grande marque nationale à venir dans le partenariat avec les verts est, la semaine dernière, Amor Benamor, après un bref passage de Cevital en 2010. L’équipe nationale n’est pas devenue attractive pour les footballeurs d’origine algérienne que par la grâce de l’argent. La génération des premiers engagés avec les verts des années 2000, les Mamouni, Belmadi, puis les Ziani, Yahia, Bougerra, Belhadj et Matmour pour ne citer que cela, a choisi librement l’Algérie. Ils ont contribué à construire un modèle à succès capable de lever de l’argent et de renforcer la filière des transfuges de l’Europe vers l’Algérie.
Cette filière est aujourd’hui autant alimentée par le sentiment d’appartenance à la nation algérienne que par la promesse de réels dividendes en primes de matchs, indemnités de qualifications, contrats publicitaires et bonnes retombées sur le plan de carrière professionnelle en club. Le taux d’intégration locale a baissé entre les deux équipes de 2009 et de 2013. Rabah Saadane a utilisé plus de joueurs locaux lors de la campagne 2008-2009 que son successeur lors de ces qualifications de 2013. Mais Vahid Halilhodzic a, pour un rendez-vous+ historique, modifié symboliquement la courbe en doublant les joueurs issus originellement du championnat algérien dans l’effectif faisant rentrer au stade Tchaker mardi dernier (Zemamouche, Khoualed, Soudani , Slimani contre les seuls Chaouchi et Saïfi à Oum Dourmane). En 1998, l’Algérie perdait les 3 matchs de poule à la CAN à Ouagadougou dont un contre le Burkina Faso pays organisateur. Il y avait sur les 22 sélectionnés à peine trois joueurs évoluant à l’étranger. A la fin des années 1990 le prix du baril était à moins de 20 dollars et l’Algérie une destination insécurisée. Il faut bien savoir qu’aujourd’hui les primes de qualification pour le mondial brésilien se discutent autour de 200 000 euros pour un joueur qui a participé à l’intégralité des six matchs de poule.
Un modèle importateur factice
Si le modèle importateur des années Bouteflika est un succès dans le football, il ne l’est que pour l’équipe nationale. Aucun club algérien n’a pu gagner un trophée africain depuis 2002. C’est en cela que les qualifications de l’EN maquillent le côté factice des années Bouteflika. Les challenges qui dépendent d’un financement de commerce extérieur peuvent à la rigueur être gagnés. Les autres, ceux qui nécessitent la mise en place d’une dynamique d’intégration locale, d’émergences de compétences endogènes, de management efficace des facteurs, ceux-là sont perdus. Ils nécessitent une autre relation au temps politique, un autre rapport à l’acteur citoyen. Donc une autre gouvernance. Pas celle des acquisitions de court terme.
Le mode opératoire de vente des billets du match de Blida de novembre 2013 était semblable à celui du match MCA- Hafia Conakry de décembre 1976. En pire. Des dizaines de blessés, le flirt permanent avec le drame absolu. Il n’est presque pas possible de réserver un billet de stade sur Internet dans l’Algérie de 2013. C’est le gap des TIC des années Bouteflika. Economie pré-numérique. Eclairage, standing de l’équipement, réalisation TV, de la journée de mardi ou il y avait 7 matchs barrages FIFA, l’enceinte du stade Tchaker était la plus pitoyable à montrer à la télévision. Il n’existe aucun stade aux normes FIFA dans un pays qui prétend organiser la CAN 2017 en remplacement de l’instable Libye. Le Maroc en dispose de quatre et accueille en décembre prochain la coupe du monde des clubs. A Tchaker, petit stade de ville moyenne, ouvert sur tous les vents et la proche montagne, il faut encore, à l’ère du droit humanitaire, se ruer à 9 heures du matin pour un match qui débute 10 heures plus tard. Si le stade bougeait, on parlerait de déportation de population. Là aussi des dizaines de blessés. Et un public transi, totalement sinistré à l’heure où son équipe a eu besoin de sa voix. Le stade du 05 juillet est le symbole lugubre de l’incurie du management public des équipements des années du « bilan positif ». Son béton a absorbé deux jeunes cette année qui ne connaîtront pas le bonheur de cette nouvelle qualification au Mondial.
Les Algériens fous indifférents
Le clan présidentiel a affiché son intention de porter Abdelaziz Bouteflika vers un quatrième mandat en avril prochain. L’intention de récupérer la liesse populaire promise ce mardi pour la mettre au service de ce projet n’a pas cessé d’enfler au fil des jours. Elle a surtout rencontré la glaciale indifférence des Algériens. Fous de football mais plus sages en politique. De même que l’élimination de l’Algérie n’aurait pas fait renoncer au quatrième mandat, la qualification pour le Brésil n’apporte pas la solution à ce fâcheux handicap dans la compétition qu’est l’immobilité clinique. Certes, l’argent est toujours là pour acheter tous les matchs. Même ceux qui se jouent avec une ambulance sur le gazon ?