Lu sur L’Expression
«En prenant un serveur du matin jusqu’au soir pour 500 DA la journée, j’évite beaucoup d’autres dépenses.
Le phénomène est combattu avec vigueur dans les pays développés même si la Chine et les pays émergents basent leur économie sur cette main-d’oeuvre à bas prix. Est-ce la raison qui fait qu’en Algérie les pouvoirs publics ferment les yeux? La facilité avec laquelle tout jeune peut être recruté «au noir» est déconcertante. Dans les cafés, les restaurants, les magasins… des jeunes sont embauchés sans aucune condition préalable si on excepte le physique pour les jeunes filles vendeuses.
La misère, l’envie d’une indépendance vis-à-vis des parents, les difficultés financières des familles, la cherté de la vie, l’échec scolaire… sont autant de facteurs qui participent à l’essor d’un marché illicite du travail. Il n’est plus surprenant de voir un enfant à peine âgé d’une dizaine d’années venir vous servir à table, essuyer le support dans un café, une pizzeria.
La situation fait fi de toute une réglementation pourtant très précise et menaçante. Inspiré du code français qui précise ce qui suit: «Le travail dissimulé, aussi appelé populairement «travail au noir» ou plus familièrement encore «au black», est un terme employé pour définir le fait de ne pas déclarer tout ou partie du travail ou de son activité». En France, il fut introduit dans le Code du travail en 1997, jusqu’à cette date, le Code du travail employait le terme de «travail clandestin». On trouve l’origine de son interdiction dans la loi du 11 octobre 1940. D’abord simple contravention, cette infraction est devenue en 1985 un délit.
Le travail dissimulé, outre le fait qu’il crée un manque à gagner pour les comptes de la sécurité sociale, prive le salarié de ses droits.
L’année 1997 correspond par ailleurs à un changement dans la politique de lutte contre le travail illégal, avec l’installation de comités chargés, sous l’autorité conjointe d’un procureur de la République et du wali, d’impulser une politique de contrôle coordonné des différentes administrations ou partenaires en la matière (police-gendarmerie- inspection du travail-gardes-frontières…) Les choses se passent au vu et au su de tous. C’est hélas une habitude chez nous. «On viole la loi publiquement et sans retenue» nous confie le gérant d’un café. «En prenant un serveur du matin jusqu’au soir pour 500 DA la journée, j’évite beaucoup d’autres dépenses si je le prenais pour de bon» ajoute notre gérant.
En acceptant de travailler de la sorte, le jeune met en péril sa vie puisque la réglementation précise dans les articles du Code du travail que «le salarié non déclaré ne peut pas être tenu responsable de sa situation, sauf dans le cas où – et avec la connivence de son employeur – il a volontairement choisi de ne pas être déclaré ou d’être payé en espèces et sans bulletin de paie afin de percevoir indûment des revenus de remplacement ou de cumuler illicitement un autre emploi. En plus des risques au quotidien, le jeune est exploité sans aucun souci pour sa vie. Des jeunes filles restent debout pendant plusieurs heures devant un comptoir ou à côté des étagères des magasins d’habillement, sans manger pour bon nombre.
Le jeune serveur dans un café, travaille entre 10 à 12 heures par jour, à faire les aller-retours entre le comptoir et les tables. Certes, il y a la volonté de se «donner» ainsi pour quelques sous mais c’est le besoin qui oblige ces «esclaves» de l’ère moderne.
La gravité n’est pas là, mais dans ces responsables, censés servir le citoyen, défendre ses intérêts, garantir son bien-être… qui viennent prendre un café, ou qui, en famille, font le plein dans des magasins. Ce beau monde voit et assiste à une violation flagrante de la loi. N’est-ce pas cette réglementation mise en place par le législateur qui considère et détermine les contours du délit?
Le Code du travail dit:
«Est réputé travail dissimulé: par dissimulation d’activité, l’exercice à but lucratif d’une activité économique par toute personne qui n’a intentionnellement pas demandé son immatriculation au répertoire des métiers ou au registre du commerce et des sociétés ou a poursuivi son activité après refus d’immatriculation, ou postérieurement à une radiation; ou qui n’a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale.»
«Leurs enfants sont outre-mer, ils n’ont pas besoin de travailler. Ils n’ont pas une famille qui attend que je leur achète du pain et du lait» commente Alilou, un orphelin qui fait les cafés pour subvenir aux besoins d’un frère collégien, d’une soeur lycéenne et d’une mère malade. Même la campagne où les opportunités d’emploi sont moindres, est concernée par le travail au noir.
Les producteurs de pomme de terre font appel à des enfants lors des récoltes contre un pécule ridicule et quelquefois la contrepartie est en nature.
Dans cette anarchie où l’application de la loi fait grandement défaut, les jeunes «naviguent» en travaillant dans les cafés, les chantiers, les champs… vendent le pain sur les autoroutes, ramassent le plastique et les métaux…intègrent les réseaux maffieux quand l’occasion se présente.
Plus de 90% des détenus sont passés dans leur tendre jeunesse par ces circuits.