Revue de presse. Yasmina Khadra : «Les Algériens sont ceux qui m’agressent le plus»

Redaction

Lu sur El Watan

Ce sont les Algériens qui m’agressent le plus. Les seuls au monde à m’avoir traité de plagiaire, d’avoir des nègres, ce sont les Algériens. Aucun être sur terre n’a osé dire une chose pareille.

C’est très grave quand ça vient des Algériens, mais c’est une minorité. Les Algériens sont des écrivains fascinants, mais personne ne s’intéresse à notre talent. C’est là le drame. Mais je suis plus heureux chez moi que n’importe où», a déclaré Yasmina Khadra, hier à la salle Ali Mâachi, au Palais des expositions des Pins maritimes (Safex), à la faveur d’un débat au 18e Salon international du livre d’Alger (SILA) lors d’un débat animé par Youcef Saiah. L’orateur a regretté l’absence de solidarité entre Algériens et l’incapacité de créer un lobby à l’étranger. «J’espère qu’on va se réveiller pour être derrière tous ceux qui nous font honneur», a-t-il souhaité. Yasmina Khadra a rejeté toute idée d’exil en France : «Je travaille en France. J’ai construit une maison à Oran pour revenir au pays. Mes filles ne souhaitent pas rester en France. J’ai une mission au Centre culturel algérien. Mon rêve est de revenir parmi les miens.» D’après lui, il n’existe aucune force au monde qui puisse l’empêcher d’écrire : «Je suis souverain dans ce que je suis en train de faire. Mes livres seront toujours là. Le lecteur a besoin de rêver, de s’émerveiller, d’être fier d’un Algérien (…).

Quand on n’aime pas quelqu’un, on ne peut accéder à son univers, ce n’est pas possible. Il y a des gens qui cherchent la coquille dans le livre ; ils ne cherchent pas le génie d’un écrivain. Ma chance est que je n’ai jamais cherché les coquilles. Je cherche à comprendre pourquoi tel écrivain me fascine. Aucun être, aucune œuvre ne sont parfaits. Je me suis amusé à lire Proust une fois, j’ai pris un stylo et relevé pas mal de coquilles. Le grand Proust ! Quelquefois, le rapport qu’on a avec un écrivain nous empêche de voir la beauté ou la grandeur de son texte.» «Certains ont dit que j’écrivais pour les Français. Ce que le jour doit à la nuit est mon plus grand succès en France, c’est vrai. Mais c’est également mon plus grand succès au Japon, en Roumanie, en Pologne, en Suisse, au Canada… Comment expliquer cela pour des lecteurs qui, parfois, sont incapables de situer l’Algérie sur une carte ? La littérature, c’est un moment de bonheur. Quand j’ouvre un livre, je me prépare à voyager», a-t-il ajouté. D’après Y. Khadra, le phénomène colonial est au centre même de ses derniers romans, Ce que le jour doit à la nuit et Les Anges meurent dans nos blessures. Il s’est défendu de faire l’apologie du colonialisme dans ces deux livres : «On me reproche d’évoquer la joie. Bien sûr que les gens étaient heureux. Ils n’ont jamais oublié l’Algérie, cinquante ans après. Un écrivain doit être droit, juste. Je ne veux pas faire dans le spectaculaire, je suis dans l’utile. En une phrase, je peux tout expliquer.»

Le roman Les Anges meurent dans nos blessures vient de paraître aux éditions Casbah, à Alger. Une vente-dédicace a été organisée hier, au SILA. «Ce livre est plein de rebondissements. Je préfère que le lecteur découvre par lui-même l’histoire, les personnages et les situations. Libre à lui de faire son analyse. Je trouve que la place d’un écrivain est dans le texte», a-t-il déclaré. L’histoire des Anges meurent de nos blessures se situe dans l’Algérie des années 1920. C’est celle du jeune Turambo, un boxeur algérien natif des quartiers pauvres de Sidi Bel Abbès, qui devient champion à Oran. «Quand j’écris, je crée un univers parce que je suis un ressortissant de la bande dessinée. La BD me permettait de m’évader. Je ne peux dissocier le texte de l’image. Le texte n’est pas uniquement la parole, bien que je travaille beaucoup la langue. En même temps, je veux rester dans l’émotion, la sensibilité, le geste, les odeurs. C’est ma façon d’écrire. Je préfère m’attarder sur le personnage et en faire une personne», a-t-il dit. L’auteur des Hirondelles de Kaboul estime que ses romans sont adaptables au cinéma : «Il y a tout : la vie, la poésie, la philosophie, une étude sereine de la situation que je propose au lecteur.

Mais je n’écris pas pour que mes livres soient adaptés au cinéma.» Le romancier a repoussé des offres d’une dizaine de producteurs pour adapter Les Anges meurent de nos blessures au grand écran. «Je préfère confier cette histoire à quelqu’un capable de l’adapter comme moi je l’ai senti. Je suis devenu plus exigeant. J’ai une chance inouïe d’écrire pour les grosses pointures d’Hollywood. Je suis le véritable scénariste de Enemy Way avec Forest Whitaker et Harvey Keitel», a-t-il déclaré. Réalisé par le cinéaste algérien Rachid Bouchareb, Enemy Way sera projeté à Alger en avant-première mondiale début 2014. «J’ai fini un scénario pour Forest Whitaker pour un film qui se fera à Cuba. Les Américains m’ont demandé un troisième scénario. J’ai une idée que je préfère garder pour moi pour l’instant», a-t-il révélé, critiquant la manière dont L’Attentat  a été adapté au cinéma. «Aux Etats-Unis, des lobbies ont refusé que ce roman soit produit en film», a-t-il dit. Selon lui, le cinéaste français Alexandre Arcady, qui a réalisé Ce que le jour doit à la nuit, a été sincère en gardant l’esprit du roman : «Il est vrai que des personnages qui étaient importants pour moi dans le roman ont été ‘disqualifiés’ dans le film. Pour des impératifs techniques, il a mis deux personnages en un. J’ai trouvé le film assez raisonnable.»

Yasmina Khadra a déclaré n’être pas satisfait de l’adaptation de son roman L’Attentat au grand écran par le cinéaste libanais Ziad Doueiri : «Il n’est pas allé dans mon livre, mais dans une partie de mon livre. La partie israélienne a été complètement occultée. Je peux comprendre l’attitude du cinéaste, mais je ne suis pas d’accord.» Yasmina Khadra révèle que le scénario de L’Attentat a été acheté le même jour que Paradise now réalisé par le Palestinien Hany Abu Assad, en 2005. «Une année après, le film Paradise now a connu un succès mondial alors que le scénario de L’Attentat est resté dans les tiroirs. Un lobby a chahuté ce projet et s’est opposé à ce que le film se fasse. Deux scénarios ont été refusés», a-t-il déclaré sans révéler l’identité du «lobby». D’après lui, la troisième version du scénario a connu un changement : «Pour justifier le geste de Sihem (la kamikaze qui a commis l’attentat à Tel-Aviv tel que raconté dans le roman, ndlr), ils ont voulu inventer un problème conjugal. Dans une scène, l’époux (le médecin qui va mener l’enquête sur le geste de sa femme) soulève un oreiller et trouve un sex toy ; ça n’a rien à voir. Il fallait se battre pour récupérer le projet. Il faut avoir le courage de ses convictions, sinon ce n’est pas la peine de se lancer.» Le film a été finalement réalisé grâce au producteur tunisien Tarek Benamara. Selon Yasmina Khadra, Ziad Doueiri a été traumatisé par cette histoire : «Il avait peur que le même lobby assassine son film.» Et de préciser que le film L’Attentat ne défend pas la cause d’Israël. Il critique la Ligue arabe, qui aurait demandé à interdire le film : «La censure n’est pas efficace. Elle se retourne contre son auteur. Aujourd’hui, il y a des gens qui écrivent des livres censurables pour se mettre en évidence.»

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