Santiago de Cuba, le rythme dans la peau

Redaction

EN IMAGES – Fascinante pour son architecture coloniale, la deuxième ville cubaine est également le temple vivant de la musique locale et de la danse : mambo, rumba et cha-cha-cha.

Santiago de Cuba, 21 heures, calle Heredia, à la Casa de la trova, l’orchestre féminin Morena Son donne sa pleine mesure. Car ici s’évalue l’indice de popularité et se lancent de nouveaux morceaux. Robe moulante pailletée bleu nuit, talons hauts, voix suave, peau noire, Maria Mercedes Soto chante Flor de venganza, une histoire d’amour fatal. Elle n’a pas sa pareille pour vous émouvoir et esquisser quelques pas de danse à la sensualité retenue. Entre les tables, au balcon et sur la petite piste, les danseurs se pressent les uns contre les autres. Le sourire de Maria Mercedes et les rythmes syncopés exécutés par ses musiciennes répandent la bonne humeur autour d’elles. Applaudissements et ferveur assurés du public quand elles reprennent en chœur le refrain«porque tu mataste mi alegría, algun día me la pagaras» (parce que tu as brisé ma joie, un jour tu me la paieras).

Ce petit cabaret, où l’on danse la nuit venue, où l’on boit du rhum, où les plaisanteries fusent au milieu des chants, est la salle de concert la plus connue de la ville. «Elle demeure une consécration pour bien des musiciens qui marchent ainsi sur les pas de grandes personnalités de la musique: Sindo Garay, Nico Saquito, Miguel Matamoros…», s’enorgueillit son directeur, Francisco Reyes Gutierrez. En ajoutant: «Ce qui marche ici marchera dans tout le pays!».

À la Casa de la trova, on peut également s’initier aux danses de casino: cha-cha-cha, mambo, salsa et danzón, la reine des danses populaires. Les habitués se moquent alors gentiment de la maladresse des étrangers et de leur sens du rythme… à contretemps. Mais quand d’excellents danseurs se lèvent et virevoltent sur la piste, toute l’assistance les regarde. Aux percussions, les frappes s’accélèrent et les cuivres enchaînent. Les mojitos sont avalés d’un trait et l’aube arrive vite. La musique et la danse, présentes partout, font de très bons prétextes pour découvrir Santiago et son architecture coloniale aux tonalités pastel, notamment pendant le Festival de la trova, qui se tient dans toute la ville au mois de mars.

De petits concerts s’improvisent alors dans les rues et sur les places – comme le parque Céspedes, où de belles voitures américaines des années 50 longent la cathédrale de Nuestra Señorade la Asunción, devant l’hôtel de ville où Fidel Castro prononça son premier discours – ou dans la maison du conquistador Diego Velásquez, le plus vieil édifice de Cuba (XVIe siècle). Attablé au bar du Casa Granda, un hôtel Art-déco qui accueillit jadis la haute société cubaine, Eduardo Sosa Laurencio, l’organisateur de cet événement, nous explique: «La trova est un genre musical très populaire, illustré par les textes réalistes des trovadores(les troubadours). Il s’écoute dans tous les cabarets (les casas del son)et aucun domaine n’échappe à ces petites chroniques. Les femmes souvent traîtresses, toujours aimées, la vie quotidienne, le blocus américain sont des thèmes inépuisables.»

Eliades Ochoa en est «la» figure emblématique. Immense guitariste, chanteur récompensé au Grammy Latino en 2012, il joue à guichets fermés à la Sala Dolores. Une salle de concert installée dans une ancienne église, face au café La Isabelica, véritable institution locale. Le succès du filmBuena Vista Social Club (1999) a permis à ce musicien d’être enfin apprécié par un public international, aux côtés de Ruben Gonzales, Ibrahim Ferrer, Omara Portuondo et Compay Segundo.

«C’est à Santiago qu’est né le son, découvert par le monde entier grâce au phénomène Buena Vista, dit-il. Mais il avait conquis La Havane, les Caraïbes puis les États-Unis, dès 1931, avec le disque El Manisero (le vendeur de cacahuètes) de Don Azpiazu. Puis, dans les années 50, la planète dansa sur les rythmes endiablés de la rumba, alors qu’il s’agissait en réalité de son» précise-t-il. Sa carrière pleine de rebondissements va faire l’objet d’un documentaire. Alors qu’il enregistre un nouveau CD, il interprétera une chanson de Bob Dylan, sur le prochain album de ce dernier, avant d’entamer une tournée française courant 2014. Mais pour le moment, chemise, jean et chapeau de cow-boy noir, il se prépare à donner un concert en plein air plaza de Marte.

Les rues qui prolongent cette place sont propices à la flânerie. Ce petit quartier ne compte pas moins de quatre églises du XVIIIe, remarquables pour leur statuaire (iglesia de Nuestra Señora del Carmen) ou pour la beauté de leur plafond et de leur décoration néoclassique (iglesia de la Santissima Trinidad). Dans la calle Carniceria, une artère menant au port, rongée par l’air du large et les pluies, résonne le bruit sourd de tambours africains. Dans une vaste salle ouverte sur le trottoir, des femmes en corset et jupon à dentelles exécutent une version créolisée des danses de salon (menuet, rigodon, etc.) importées par les colons français à la fin du XVIIIe.

À cette époque, les esclaves voulurent imiter leurs maîtres et y ajoutèrent des tambours. C’est dans ce contexte que sont nées les fiestas de tumba francesa,une tradition musicale classée patrimoine oral et immatériel de l’humanité par l’Unesco.

À deux pas, quartier de Los Hoyos, on entend les congas, percussions qui rythment la rumba, sorte de chronique des laissés-pour-compte apparue en 1880 dans les quartiers noirs de Matanzas. Trois types de danses l’accompagnent: le yambù, au tempo lent ; le guaguanco, un jeu d’attraction-répulsion entre un homme et une femme ; la columbia, rapide et très acrobatique, réservée aux hommes. Ce dialogue entre la peau grise et lourde du tambour, les pas et les déhanchements du danseur, est une expérience qui reste gravée pour longtemps dans la mémoire du spectateur.

Lu sur Le Figaro