C’est un véritable stand à ciel ouvert : des dizaines de voitures stationnées au bord de la chaussée attendent preneurs. Le client possédant un compte à plusieurs zéros a l’embarras du choix. A Sidi Yahia, on trouve des marques prestigieuses : Audi, BMW, Land Rover, Mercedes, Porsche…
Sur les trottoirs, ils exposent leur marchandise comme on expose des chaussettes sur un étalage. Riad, Nacim, Rafik ont un point commun : ils sont revendeurs de voitures. Mais pas n’importe lesquelles. Des voitures de luxe. Chaque soir, ces maquignons ont un seul point de chute : le quartier huppé de Sidi Yahia. En sillonnant le secteur, le constat est frappant, c’est un véritable stand à ciel ouvert. Des dizaines de voitures stationnées sur les trottoirs, au bord de la chaussée, attendent preneurs.
Pour acheter, on a l’embarras du choix, si on a un compte à plusieurs zéro. A Sidi Yahia, on trouve que des marques prestigieuses. Audi, BMW, Land Rover, Mercedes, Porsche… «Vous voulez un Hummer, je vous le ramène», réplique Riad qui devine notre hésitation à propos du véhicule que nous cherchons. Riad nous montre ses trois bolides : une Audi Q3, une Q7 et un Land Rover rutilants, flambant neuf. «Les trois sont toutes neuves, elles sont immatriculées en 2013», nous prévient sereinement Riad, convaincu de faire une bonne affaire avec nous.
«Ce sont les seules voitures disponibles ? Vous avez d’autres modèles à nous proposer ?» Une question qui le gêne à peine. Imperturbable. Il reçoit un appel téléphonique sur l’un des trois portables en sa possession. Il se lève et, pendant quelques minutes, répond à son interlocuteur. «Bon, le Q7 est vendu», nous informe Riad, oubliant notre question qui l’a dérangé. «Mais si vous insistez pour acheter le Q7, mon ami en a un. Dans un instant, il sera là avec nous», nous propose-t-il.
Nous avons voulu savoir à combien il avait vendu l’allemande. «Un peu plus d’un milliard», s’est contenté de dire Riad. Rien que ça ! Le prix un appartement dans la capitale. Nous avons voulu connaitre la situation administrative du Q3. «La voiture est-elle en règle ? Les papiers du Q3 sont-ils sont en votre possession ?», l’interpelle-t-on. «Ce n’est pas un souci», rétorque-t-il pour dissiper nos craintes. «J’ai uniquement la carte jaune. Si vous achetez, j’ai des connaissances pour mettre la voiture à votre nom», tente-t-il de nous rassurer pour nous convaincre de la régularité de la transaction.
En ce qui concerne l’assurance ? «Elle est assurée tous risques pour une année», précise le jeune revendeur qui entame son travail à 17h, mais sa journée peut se prolonger jusque tard dans le nuit. Riad fixe un rendez-vous à son collègue pour 22 heures. «Beaucoup de gens pensent qu’on travaille pas beaucoup. Notre métier est compliqué, très risqué. Il y a des gens de mauvaise foi qui s’incrustent dans ce métier. Il y a énormément de larrons qui s’improvisent vendeurs de voitures, mais leur seul but est de prendre l’argent des autres avant de disparaître dans la nature. Une mise en garde à notre égard pour prendre nos précautions si on décide d’acheter auprès d’un autre revendeur.
Nacim arrive vers nous. Il est dans le même business que Riad. Accroché à notre discussion, il nous invite à prendre un café. Il est presque 18 heures. «Je viens de me réveiller, je suis rentré de Sétif à 2 heures du matin. J’ai livré la Mercedes blanche», dit-il à Riad, afin de la retirer de la liste des voitures à proposer aux clients. «J’ai fait une bonne affaire avec la Mercedes. J’ai gagné plus de ce que j’espérais : 60 hajdra (millions)», se vante Nacim. En fait, Nacim et Riad travaillent en collaboration, mais chacun à son compte. Nacim vend les voitures de Riad et vice-versa, mais chacun prend une commission chez l’autre s’il lui vend une voiture. «J’ai 12 nouvelles 207 blanches toutes options, si tu as une commande. Elles ont été livrées ce matin», annonce Nacim, très actif.
Je demande : «Le Q3, tu me le cède à combien ?» Avec un peu d’hésitation, il me répond : « 8 millions de dinars. Si tu es preneur, je te fais une remise», réplique Nacim. Son «collègue» Riad tente de me convaincre : «C’est une excellente affaire, à ta place je fonce !» Nacim est plus insouciant et extraverti que Riad. Rafik n’est pas prolixe à cause d’une inflammation de la gorge. Je me retrouve, alors en tête-à- tête avec Nacim. «Tu accepte les chèques, si tu me vends une 207 ?», lui dis-je. Je lui explique que je suis à la recherche de plusieurs voitures pour lancer une activité de location de voitures cet été. «Non, je travaille pas avec les chèques. Personne, ici, n’accepte de chèque. Tout se fait avec du cash», avoue-t-il avec nonchalance.
Prêt à vendre son stock, il me prévient toutefois : « Pour acheter une 207 chez un concessionnaire, il faut attendre 6 mois.» Et d’ajouter : « je te ramène toutes les voitures que tu voudras. Je suis bien introduit auprès des concessionnaires. Mais j’achète en grande quantité. Mes prix sont plus élevés que ceux des concessionnaires.» «Les gens sont pressés d’avoir un véhicule. Attendre 6 mois, c’est trop long pour le client.
Il est prêt à payer 5 millions de plus, il a immédiatement sa bagnole avec moi», tranche Racim. Je demande : «Comment fais-tu pour obtenir aussi rapidement autant de voitures ?» «Les commerciaux des concessionnaires sont mes amis. Je donne de l’argent sous la table, en contrepartie, j’obtiens ma commande dans un délai record. Pas plus d’une semaine», explique-t-il.
Après cette confession, je profite de l’occasion pour en rajouter une couche : «Qui achète, entre nous, toutes ces voitures de luxes stationnées dehors ?». «Nous avons les gros commerçants, des hommes qui sont dans le business mais aussi des hauts responsables de l’Etat. Les gens qui achètent ici évitent de passer par les concessionnaires pour ne pas payer par chèque et laisser des traces de leur achat. Les concessionnaires n’acceptent pas de cash», rétorque-t-il. «Alors que chez les revendeurs, les transactions se font uniquement avec du cash», argumente Nacim.
Le recours systématique à ce mode de paiement assure l’anonymat, pour éviter les enquêtes de la police et des impôts sur l’origine des grosses sommes d’argent qui changent de mains sur les trottoirs. En somme, le commerce de la voiture à Sidi Yahia est florissant. Des grosses cylindrées se vendent sur la chaussée, au détour d’un appel téléphonique. Ni la police, ni les enquêteurs judiciaires et encore moins le fisc ne perturbent l’essor de ce business hautement lucratif et net d’impôt…
Lu sur Leconews.com