À Constantine, la domination des laboratoires pharmaceutiques étrangers vacille

Redaction

En Algérie, l’industrie pharmaceutique est jeune. Une vingtaine d’années à peine. Ce qui n’empêche pas les pionniers dans ce domaine de rêver d’un avenir où la production locale de génériques palliera les importations de médicaments. Reportage dans le laboratoire de Isopharm-Algérie, établi dans la banlieue de Constantine, où les chercheurs tentent d’innover malgré une législation contraignante.

Il y a encore 20 ans, fabriquer un médicament en Algérie était un « projet fou ». « Les experts au ministère ne pensaient pas qu’on pouvait produire nos propres médicaments ici », se souvient le docteur Nadir Cheriet, aujourd’hui gérant du laboratoire privé Isopharm-Algérie. La « promotion 1986 » de l’université de pharmacie de Constantine a prouvé le contraire.

D’abord en 1991, au sein de l’unité embryonnaire de production de Encopharm, l’ancienne entreprise étatique spécialisée dans la distribution de médicaments en Algérie. Après quelques mois de recherches, six jeunes diplômés constantinois produisent le premier médicament générique algérien. À la création, Nadir Cheriet, au développement et à l’analyse les docteurs Habib Bounass et Abdelnasser Boukaache, entre autres. Ces trois-là ne se quitteront plus.

Constantine, poumon de l’industrie pharmaceutique algérienne

L’essai des jeunes pionniers de l’industrie pharmaceutique est concluant mais cela n’empêche pas la société publique Encopharm de disparaître au milieu des années 1990. « On avait à ce moment-là le choix : soit continuer de travailler pour l’Etat, avec l’entreprise étatique Saidal, soit d’oser. On a décidé d’oser », raconte Nadir Cheriet, le père du premier générique algérien.

Plusieurs laboratoires pharmaceutiques privés voient alors le jour en Algérie. Au lieu de prendre leurs quartiers dans le pôle algérois de Sidi Abdellah, certains préfèrent s’installer dans la zone industrielle émergente Ibn Badis, dans la daïra de El Khroub, située à une vingtaine de kilomètres à l’est de Constantine. Le deuxième poumon de l’industrie pharmaceutique du pays, qui fait sérieusement de l’ombre au premier.

C’est le choix que la « bande de l’Encopharm », emmenée par Nadir Cheriet, fait en 1996. Associé à un ex-camarade de classe, Nadir Cheriet fonde, avec beaucoup d’audace pour l’époque, Isopharm-Algérie et construit son unité de production à Ibn Badis. « On est parti de rien du tout. On n’est pas des fils de… Mon associé avait quelques économies et moi la technique », raconte le docteur en pharmacologie, devenu chef d’entreprise.

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4.000 litres de médicaments sont produits quotidiennement dans le laboratoire de fabrication de Isopharm-Algérie.

Au commencement, Isopharm-Algérie comptait en tout une dizaine de scientifiques. Presque vingt ans après, le laboratoire constantinois emploie « exactement 93 salariés et la moitié du personnel sont des femmes », souligne le PDG, une pointe de fierté dans la voix. Et de préciser : « Tous  des Algériens. L’université algérienne forme de bons pharmaciens. Rappelez-vous, il y a encore quelques années les Tunisiens venaient étudier chez nous », dit-il, assis dans son bureau, entre les dessins de ses enfants, des coupes de tournoi de foot en salle et l’emblème national.

En l’espace de moins de vingt ans, Isopharm-Algérie a doublé la concurrence locale, jusqu’à devenir le leader dans la fabrication de médicaments dans l’est du pays. Sa spécialité : les solutions buvables. Chaque jours, 4.000 litres remplissent les flacons vides prévus à cet effet. « Dans l’esprit de certains, il est plus facile de concevoir des produits liquides, type sirop, que des sèches, type comprimés. C’est faux ! Cela demande autant de rigueur et d’analyse », tient à rectifier le docteur Abdelnasser Boukaache, responsable du laboratoire de contrôle de qualité d’Isopharm-Algérie, en blanc de travail – blouse, bonnet, sabot.

C’est dans ces locaux, modernes, spacieux, vitrés et équipés d’un matériel japonais dernier cri – le « meilleur sur le marché », assure le tandem Cheriet-Boukaache – que le laboratoire Isopharm-Algérie déchiffre, en 1997, la composition du premier médicament générique algérien à base de kétotifène, une substance chimique employée dans le traitement de l’allergie et de l’asthme. « Pour se lancer sur le marché national, il fallait proposer un produit innovant, qui n’existait pas encore en Algérie. On a donc créé l’Hassalyse », explique Nadir Cheriet. Avec ce remède antiallergique, Isopharm-Algérie se fait connaître dans le milieu mais la notoriété viendra réellement deux après, en 1999. « Notre produit phare c’est l’Isoperidol, un anti-dépresseur. Il faut dire qu’au sortir de la décennie noire, les Algériens sont de gros consommateurs d’anti-dépresseur », rappelle le docteur Cheriet.

Innovation et aberrations

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Le matériel de développement et d’analyse des produits Isopharm-Algérie vient du Japon. « Ce qui se fait de mieux en terme de résistance et de fiabilité sur le marché aujourd’hui », affirme le docteur Nadir Cheriet.

Aujourd’hui, le catalogue d’Isopharm-Algérie recense 22 génériques de classes pharmaco-thérapeutiques différentes. À savoir, des anti-dépresseurs, des antipsychotiques, des neuroleptiques mais également des broncho-dilatateurs. 7 autres produits sont en cours d’enregistrement au niveau du ministère de la Santé. Quand recevront-ils leur AMM (Autorisation de Mise sur le Marché) ? Nadir Cheriet, jusque-là souriant, sort de ses gonds. « L’enregistrement d’un produit devrait prendre normalement 3 mois. En Algérie, la moyenne est plutôt de 18 mois. Et pendant qu’un produit algérien est en attente de validation, les importateurs et les laboratoires étrangers continuent de s’enrichir », rouspète le fondateur d’Isopharm-Algérie.

La raison d’une telle lenteur administrative : la commission d’enregistrement du ministère de la Santé ne se réunit que sporadiquement. Dans les couloirs du laboratoire d’analyse, les vétérans d’Isopharm-Algérie se rappellent de la fois où les autorités nationales ont « bêtement » retardé le lancement d’un de leurs neuroleptiques. « On était les premiers en Algérie à développer le Citicoline, un traitement pour les troubles cognitifs, moteurs ou neuropsychologiques. Le médicament étranger coûtait 1.400 DA en pharmacie. Nous, on avait indiqué dans notre dossier d’enregistrement qu’on voulait le commercialiser à 600 DA. Et bien tenez vous bien, il a fallu 7 mois à la commission ministérielle pour nous autoriser à vendre notre produit ! », racontent-ils, avant de s’indigner : « C’est quand même aberrant qu’on ait besoin d’une commission du ministère de la Santé pour autoriser un produit local deux fois moins cher que le produit importé ! »

Dans un pays qui ambitionne de couvrir 70% des besoins nationaux en médicaments par la production locale, les fabricants pharmaceutiques semblent désabusés. Désabusés surtout par une politique de santé, qui fluctue au gré des changements de gouvernement et des discordes entre les différents ministères. « Nous autres fabricants nous n’avons pas la confiance des institutions. Que veut vraiment l’Etat algérien ? Il dit vouloir développer la production de génériques dans le pays afin de réduire l’importation de médicaments. Mais alors comment explique le fait que les importateurs bénéficient encore des mêmes avantages que les laboratoires algériens ? », interpellent Nadir Cheriet. « Le ministère de la Santé est peut-être derrière nous mais pas celui de l’Economie », croit-il savoir.

Il en veut pour preuve la dernière loi de Finances. D’après le texte législatif voté en octobre par les députés, les importateurs de médicaments sont exemptés de la TVA tandis que les producteurs nationaux qui se fournissent en Algérie sont contraints de payer cette taxe. « Vous voulez une autre injustice, poursuit Nadir Cheriet, le coût de l’enregistrement d’un produit. Avant les producteurs algériens payaient autant que les étrangers à savoir 500.000 DA. On s’est battu plus de dix ans pour qu’ils baissent ce tarif. Aujourd’hui, on paye 100.000 DA. Mais là où ce n’est pas logique c’est que pour le ré-enregistrement du produit, tous les cinq ans, la loi a été récemment modifiée en faveur des importateurs. Eux payent désormais 300.000 DA le ré-enregistrement de leur produit, soit 200.000 DA de moins qu’avant la réforme, nous on paye toujours autant, 300.000 DA. C’est vraiment pas logique ! »

La révolution du générique

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« Soyons réalistes, ce dont l’Algérie est capable c’est de développer les génériques. Il ne faut qu’une année de recherches pour un générique contre 10 à 30 ans pour un produit-mère », défend Nadir Cheriet.

Il y a bien eu cette tentative de booster la production locale, par le biais d’une liste interdisant l’importation de certains médicaments, produits localement. À ce jour, 251 médicaments, fabriqués à l’étranger, n’ont pas le droit d’entrer en Algérie. Mais depuis 2010, la circulaire d’Ahmed Ouyahia, Premier ministre à l’époque, a été quelque peu rafistolée. « À l’origine, il suffisait qu’un Algérien produise un médicament pour que l’importation en soit interdite. Désormais il faut qu’au moins 3 fabricants algériens assurent la production d’un générique pour que ce médicament fasse partie de la black-list. Ce recul a été motivé par la peur de la rupture », affirme Nadir Cheriet, qui reconnaît qu’avec l’explosion des maladies chroniques, le vieillissement de la population et l’augmentation de consommation de médicaments, l’industrie pharmaceutique algérienne est loin de pouvoir satisfaire la demande nationale.

D’après le Centre national de l’informatique et des statistiques (Cnis), la production locale ne représente actuellement que 36% du marché national. Et la facture des importations de médicaments, malgré une baisse des quantités acheminées en Algérie, restent salées. En 2013, elle s’élevait à 2,28 milliards de dollars, soit une hausse de quasiment 2% par rapport à l’année précédente. « Aucun pays au monde n’est autosuffisant. Soyons réalistes, ce dont l’Algérie est capable c’est de développer les génériques. Il ne faut qu’une année de recherches pour un générique contre 10 à 30 ans pour un produit-mère », défend Nadir Cheriet.

Autrement dit, la situation actuelle ne permet pas à un laboratoire pharmaceutique algérien de fabriquer autre chose que des génériques. « Il n’existe pas de comité d’éthique et il y a un vide juridique concernant les essais sur les animaux. Quant aux essais sur les hommes, ils restent interdits », énumère le fondateur de Isopharm-Algérie. À cela s’ajoute, une agence du médicament, créée sur le papier en 2008, par décret présidentiel, n’est toujours pas opérationnelle.

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