Le Dr Bekkat Berkani Mohamed, président du conseil national de l’ordre des médecins algériens, fait un diagnostic sans concession de l’état de la santé publique dans notre pays. Il dissèque les problèmes que rencontrent les médecins et pointe du doigt le peu d’intérêt accordé à l’environnement général dans lequel ils évoluent. Il évoque le rôle du privé et les questions liées à la formation des praticiens. Entretien.
Algérie Focus: Comment avez-vous réagi à la situation de la maternité de Constantine ? Est-ce un cas isolé selon vous ?
Dr Bekkat Mohamed: La situation des maternités est difficile à travers l’ensemble du territoire national. Et même sans faire entrer des caméras de télévision dans des lieux médicaux, tout le monde sait pertinemment que la situation des maternités est plus que difficile. Le cas de Constantine est un cas d’espèce parce que Constantine reçoit des parturientes (femmes qui accouchent) de plusieurs wilayas du pays. Au vu des locaux et des moyens utilisés, cela fait un certain nombre d’années que la situation est critique sans incriminer uniquement la maternité de Constantine. Plus généralement, la situation de la santé en Algérie, n’a pas été à la hauteur des investissements de l’Etat. S’il y a un principe que l’Etat algérien n’a pas renié est que la santé des citoyens est à sa charge, constitutionnellement d’ailleurs. Mais seulement sur le plan de l’exécution, de la gestion, de l’équipement, de la prévention et la préservation de la santé, il est inutile d’évoquer des chiffres pour comprendre la réalité difficile. Il n’y a qu’à voir ce que pensent les citoyens de la prise en charge de leur santé au niveau des hôpitaux: ils n’arrivent pas à accéder aux soins de façon correcte. L’hébergement et la restauration sont décriées et les rendez-vous sont de plus en plus éloignés. En somme, nous avons une situation d’une extrême gravité. Maintenant s’agissant des constats, nous pensons qu’ils ont été faits depuis longtemps, très longtemps même, et la question qui se pose est comment en sortir ? L’Etat investit assez d’argent, mais le rendement n’est pas à la hauteur de l’investissement.
La situation du secteur de la santé est plus que délétère. Où se situe la responsabilité des médecins dans la mesure où ils acceptent de travailler dans ce genre de conditions ?
Il faut rappeler que le médecin est un fonctionnaire technique. Mais il ne peut pas grand-chose tout seul, s’il n’a pas à sa dispositions des moyens matériels, un personnel paramédical compétent et dévoué, des locaux dignes de ce nom. Nous pensons que les médecins ont fait quelque part un compromis avec l’environnement. Mais seulement le compromis ne doit pas aller jusqu’à la compromission : dans le cas de Constantine, ou dans d’autres structures de santé, les médecins auraient du refuser de travailler dans ce genre de conditions et mettre en demeure les autorités administratives d’améliorer les choses. Parce qu’on ne peut pas travailler dans ces conditions qui ne sont pas sans danger pour le malade. Toutefois, le problème qui se pose est que sur le plan légal, le médecin doit porter assistance à autrui. Et s’il n’y a pas cette assistance, en cas de problème, la responsabilité du médecin est engagée. Il faut comprendre qu’il faut donner au médecin des moyens pour exercer son métier dans des conditions normales
Quelles sont vos propositions pour améliorer cette situation ?
Il y a eu des assises de la santé en prélude à la loi sur la santé l’année dernière. A cette occasion, plus de 3000 personnes y ont participé. L’ensemble des acteurs impliqués dans le secteur ont convergé vers le même constat quant à la situation du secteur de la santé. On avait pensé qu’à partir de là, il y aurait une feuille de route, parce que l’urgence n’est pas dans la loi de la santé. L’urgence est dans la réforme du fonctionnement, de l’approvisionnement, des relations entre les structures de santé publique et la carte sanitaire. Nous sommes arrivés à une situation plus que critique où il faut une participation de tous pour le règlement des choses. Je crois en le dialogue et en la concertation directe. Il ne sert à rien d’aller faire de petites visites annoncées ou même des visites surprise parce que la situation, tout le monde la connait. Alors, il est temps de se dire des vérités en face et d’arriver à une conduite à tenir et des mesures à entreprendre à court terme. C’est à dire ce que l’on doit concrètement faire pour changer les choses, dans l’immédiat. Nous n’avons pas un problème dans la maternité de Constantine, nous avons des problèmes dans les maternités de toute l’Algérie
Comment avez-vous réagi aux sanctions contre certaines cliniques privées ?
Elles ont été sanctionnées pour des raisons architecturales. En fait pour des extensions non initialement prévues. Mais, les cliniques privées, sur le plan légal, ont droit à l’existence. Ce n’est pas facile de monter une clinique, de trouver des financements et d’être au niveau. Les cliniques privées ne doivent représenter que 20% des prestations de santé. Le problème qui se pose aujourd’hui est que les citoyens vont vers les cliniques privées parce qu’ils n’ont plus confiance dans le secteur public.
La privatisation de la santé est-elle forcément une mauvaise chose ?
Je pense que l’Etat doit garder la main sur la santé. La privatisation n’est envisageable que pour certaines prestations : par exemple le nettoyage et la stérilisation. On peut faire appel à travers des contrats à certaines entreprises pour assurer l’hygiène au niveau des établissements de santé. On peut aussi privatiser l’hébergement et la restauration. Mais privatiser les actes de santé, je pense que ce n’est pas envisageable.
Il y a 25.000 médecins algériens qui partent à l’étranger. Pourquoi cette fuite ?
Le système de santé, qu’il soit hospitalo-universitaire ou public, ne donne pas leur chance aux jeunes : la mal vie des médecins algériens, qui ont des qualités appréciables et la preuve est qu’ils sont appréciés à l’étranger, ne veulent plus travailler dans ces conditions. Et souvent, ils tentent l’aventure en France, dans les pays francophones ou même dans des pays arabes et anglo-saxon. Que faire pour intéresser et retenir nos jeunes? La question se pose.
La médecine en Algérie est enseignée en français. Les nouveaux bacheliers, qui accèdent à la première année, ont été préalablement formés en arabe. Rencontrent-ils des difficultés dans leur formation ?
C’est une grande difficulté. En France, quand vous commencez votre première année de médecine, il y a un module de français parce que la médecine, c’est de la littérature. La médecine est francophone en Algérie et le sera encore pour longtemps parce que les formateurs sont francophones et c’est une espèce de cercle fermé. Nous pensons qu’il ne suffit pas d’avoir de bonnes notes pour être un médecin de qualité. Il faut que la formation en première année se fasse par des cours de français dirigés vers le latin parce que le latin est une grande composante des cours de médecine