Constantine, dite « la ville des ponts suspendus », est l’une des plus anciennes citées du monde. La capitale régionale de l’Est algérien recèle de précieux trésors. La beauté de cette métropole d’un demi million d’habitants saute d’emblée aux yeux de celui qui s’y aventure. Mais, au delà de la beauté visible, il existe des trésors immatériels, enfouis dans la profondeur des âmes. Ceux là ne brillent pas, mais valent plus que de l’or. L’association Défi et Espoir contre la Myopathie (ADEM) est l’un de ces trésors. Elle a été créée à l’initiative d’un petit groupe de parents de malades et de professionnels de la santé à l’automne 2001. Nous avons eu la chance de croiser la route de son courageux fondateur.
La fatalité de la maladie est inacceptable pour le président fondateur de l’association ADEM. Il est des personnes dont le courage et la ténacité force le respect. L’espèce à laquelle appartient M. Ahmed Boucheloukh est hélas en voie de disparition. Les hommes de sa trempe, ceux dont le cœur reste pur et les principes intangibles, sont des hommes rares. Rencontrer de telles personnes ne laisse jamais indifférent.
Ahmed Boucheloukh, cheveux blanchis par les années et les angoisses, regard profond qui en dit long, la cinquantaine passée de sept printemps, s’embarque dans la lutte contre la myopathie en 2001 en créant l’ADEM avec l’aide de huit familles de malades mais aussi de médecins, dont une neurologue, Sahraoui Nadida, spécialiste de la prise en charge des maladies neuromusculaires.
Lui-même papa d’un enfant décédé des suites de cette maladie –et avec un deuxième enfant myopathe-, Ahmed Boucheloukh consacre depuis près de 15 ans maintenant, toute son énergie à l’embellissement de la vie des personnes atteintes par ce fléau. La première étape dans la lutte contre cette maladie, c’est son acceptation par le malade et par sa famille.
Hélas, il est absolument insupportable pour les familles d’admettre que leur enfant est atteint d’une dégénérescence physique qui le condamnera irrémédiablement au fauteuil roulant, sans espoir d’amélioration ou de guérison. Pire, il est insoutenable pour les parents de se résigner à vivre avec la quasi-certitude de perdre son enfant dans les années prochaines. L’espérance de vie d’un myopathe en Algérie ne dépasse les 25-30 ans. Cette douloureuse expérience, Ahmed Boucheloukh l’a vécue.
Une maladie rare et incurable
La myopathie, pour la majorité d’entre nous, reste une maladie obscure, méconnue. Elle fait partie des maladies « rares » et incurables. Appartenant au sous-groupe des maladies neuro-musculaires, elle se traduit par une dégénérescence progressive du tissu musculaire. Il en existe plusieurs sortes. La plus tristement célèbre et répandue est la myopathie Duchenne. L’origine des dystrophies musculaires (myopathies de Duchenne et Becker) est héréditaire. Mais un problème majeur en Algérie est responsable de la multiplication et du développement des cas : les mariages consanguins. En ce sens, l’association ADEM mise sur l’information et la sensibilisation des familles pour les convaincre d’en finir avec les mariages inter-famille.
Au sein d’une même famille, on compte souvent plusieurs enfants affectés. Dans la majorité des cas, ce sont des garçons, car le gène responsable des dystrophies de Duchenne et de Becker se situe sur le chromosome X. Les femmes ont deux chromosomes X, tandis que les hommes n’en ont qu’un seul. La maladie se transmet généralement par la mère. Chez une femme « porteuse » du syndrome, le risque de transmettre le gène défectif à chacun de ses enfants est de 50 %. Si le cas se révèle chez un garçon, il développera alors la maladie musculaire. Dans le cas d’une fille, l’enfant sera porteuse et pourra transmettre le gène à ses propres enfants. Sans dépistage, on s’enferme dans un véritable cercle vicieux.
Il est donc absolument primordial et nécessaire que l’Etat investisse massivement dans la mise en place de test afin de freiner la transmission et la croissance de la myopathie. On dénombre plus 1000 de nouveaux cas chaque année. Désinformation, poursuite des mariages consanguins et zéro dépistage sont autant de sujets sur lesquels ADEM lutte activement.
La myopathie, une vie de souffrance
Derrière chaque création de mouvement associatif, il y a une histoire. Celle que nous raconte M.Boucheloukh, président fondateur d’ADEM est bouleversante. Ce n’est alors plus le président d’ADEM qui parle, mais le papa. L’émotion s’empare de l’homme et nous traverse tous. Le début de l’histoire commence dans les années 2000 avec son fils, Riadh, malheureusement décédé depuis. A 4 ans, Riadh présente les premiers signes de la maladie. Difficultés à monter les escaliers, à marcher, chutes récurrentes. Le diagnostic tombe. M-Y-O-P-A-T-H-I-E. 9 lettres inconnues à l’époque pour Ahmed, 9 lettres qu’il prononcera désormais presque chaque jour. Le cauchemar commence. S’en suit l’immobilisation, la douleur, les difficultés respiratoires. Ahmed Boucheloukh se retrouve face à une réalité terrible. En Algérie, la prise en charge de cette maladie est quasi nulle. Absence d’aide, d’équipement, de structure pour recevoir le malade et améliorer un temps soit peu son confort.
La myopathie est une prison. Une prison pour le malade, enfermé dans son enveloppe corporelle, privé de toute liberté de mouvement. Une prison, aussi, pour la famille, condamnée à une prise en charge éprouvante, exténuante et quotidienne. Pour un enfant, c’est dramatique. Généralement, l’enfant ne marche plus à partir de l’âge de 6 ans. « Un enfant, sa court, sa saute, sa tombe et sa se relève. Mon fils lui, ne pouvait plus se relever » témoigne avec résignation la maman d’un malade rencontrée dans un petit village proche de Constantine. Mère de trois enfants, dont deux jeunes garçons touchés par la myopathie de Duchenne, cette femme au moral d’acier combat tous les jours la maladie aux côtés de ses fils. Agés de 14 et 11 ans, son cadet a été un temps exclus du système scolaire faute de prise en charge « mon fils était laissé, abandonné au fond de la salle de classe. La professeure et les élèves le laissaient à l’écart. Certains se moquaient de lui, il l’a très mal vécu. » Ils ne sont encore que des enfants, mais déjà, ils ont subit la peine à perpétuité implacable infligée par cette affreuse maladie. Le plus grand ne l’accepte toujours pas «je veux devenir pilote » glisse-t-il timidement. « Il pleure chaque jour vous savez » ajoute tristement sa mère.
Un travail de longue haleine
L’équipe de l’association a réalisé un travail colossal pour localiser et venir en aide aux familles touchées. En 2001, au commencement du projet, il a fallu chercher, taper aux portes, faire appel au bouche à oreille pour recenser les familles présentant des cas de myopathes. En ville, à la campagne, parfois même dans des endroits extrêmement reculés : « nous nous sommes rendus dans une commune reculée de Mila, située à l’est du pays. J’ai du mal à vous raconter ce que j’ai trouvé là bas », confie Ahmed. « Dans une sorte de cave, de grotte, loin de tout et de tout le monde, nous avons découvert deux jeunes malades. Ils vivaient là, à même le sol, pire que des animaux. Les gens leurs jetaient du pain à travers la petite ouverture qui faisait office de fenêtre. C’est l’une des choses les plus horribles que j’ai vu dans ma vie. Par la suite, nous les avons pris en charge et ramenés dans une des seules structures qui était disponible. La maison de vieillesse de Constantine. Nous leur avons prodigué des soins et redonner un peu d’humanité et de dignité. Ils sont toujours dépendants d’ADEM aujourd’hui. »
A travers des séminaires, des forums et des conférences organisées conjointement avec l’aide de médecins et de psychologues, ADEM et ses membres se déplacent à travers tout le territoire pour émettre des plaidoyers et faire connaitre la maladie.
« On ne peut pas prendre la place de l’Etat »
On dénombre aujourd’hui en Algérie environ 40 000 cas de myopathes. Livrés à eux-mêmes, abandonnés par les pouvoirs publics et les autorités sanitaires, le sort qui leur est réservé est particulièrement révoltant. Cette maladie nécessite pourtant une attention importante et des équipements tels des appareils respiratoires, des fauteuils électriques, qui implique un financement conséquent. Pourtant, dans l’indifférence générale, des familles de malades vivent dans un désœuvrement total. La maladie ne prend pas de repos, c’est 24heures/24heures et 7jours/7jours qu’il faut la vivre, ou plutôt lui survivre. L’association Défi et Espoir contre la Myopathie est devenue depuis sa création en octobre 2001, l’une des plus importantes en Algérie. Elle ne cesse aujourd’hui encore d’alarmer les pouvoirs publics sur les besoins et les outils à mettre en place pour lutter contre ce fléau :
– Création d’un réseau de professionels de santé
– Amélioration de l’accueil et de l’orientation au niveau des établissement de santé
– Palier au manque de spécialise dans ce domaine (kinésithérapeutes)
– La prévention et l’information
Jusqu’à aujourd’hui, l’association travail en partenariat avec des entités présentent à l’étranger, des ONG à l’image d’Handicape Internationale, et perçoit des financements de la PCPA. Mais l’un des principaux moteurs de l’ADEM reste la persévérance. Il en faut pour ne pas baisser les bras devant des autorités incapables qui font la sourde oreille face aux appels à l’aide des associations. « Nous ne sommes pas une association caritative, nous sommes une association humaine. On ne peut pas prendre la place de l’État, ce n’est pas notre responsabilité ! Nous on ne gère pas, on lutte » s’offusque le président d’ADEM. « Vous savez, je continue aujourd’hui mais je suis vraiment saturé, j’ai envie d’arrêter mais je ne peux pas le faire sans former la relève. » L’association a fait appel à de nombreux professionnels de santé à qui elle a offerte des formations à l’étranger, notamment en France, dans le but de se spécialiser. Malheureusement ajoute Ahmed « la plupart se forment et une fois de retour au pays, nous abandonne. Ils le font juste par intérêt. »
En 15 ans et à force de travail, l’association Défi et Espoir contre la Myopathie est parvenue à sortir de l’anonymat et à mettre un peu de lumière sur la réalité de cette maladie. Son défi encore aujourd’hui et de continuer à vulgariser son action grâce à des passages à la radio, ou à des parutions d’articles. Son espoir, que la maladie cesse de progresser et qu’enfin, soit mise en place des structures spécialisées pour aider les malades à mieux vivre. Ces structures permettraient de prolonger leur espérance de vie grâce à de meilleures conditions médicales.