Déficit immunitaire primitif : les malades meurent en silence

Redaction

Médicaments non commercialisés sur le marché national, et souvent non remboursables, inexistence de structures de santé à même d’assurer une prise en charge réelle du déficit immunitaire primitif (DIP), absence de moyens pour une prise en charge à l’étranger, entraves bureaucratiques à la création d’une association nationale : autant de difficultés qui empoisonnent la vie des personnes atteintes d’un DIP et celle de leurs parents. Déjà épuisés par la pathologie et ses conséquences sur la vie quotidienne, ces malades se sentent abandonnés par les pouvoirs publics.

En l’absence d’une prise en charge effective dans notre pays, ces patients n’ont comme alternative que d’aller se soigner à l’étranger, notamment en France. Cependant, un tel séjour thérapeutique coûte une fortune. Même les plus nantis ne peuvent pas se le permettre. Seul l’État, à travers ses organismes de sécurité sociale, serait en mesure d’y faire face. Mais les autorités refusent d’agir. Délaissés, les parents des patients assistent, impuissants, à la souffrance de leur progéniture, dont le sort final est souvent la mort.

Zahir Azzoug, originaire d’Akbou, dans la wilaya de Béjaïa (centre-est du pays), est un de ces milliers de  parents qui ne savent plus à quel saint se vouer pour mettre fin à leur calvaire. Son fils, Youcef, âgé de 3 ans, souffre d’une granulomatose septique chronique. Son traitement immédiat (prophylactique) est le Bactrim et l’Itraconazole (Sporanox). Mais ces médicaments ne sont pas commercialisés en Algérie. Pour se procurer mensuellement les deux flacons prescrits à Youcef, le père fait appel à ses amis, ses proches et aux âmes charitables de l’autre côté de la Méditerranée. « Chaque flacon coûte 89 euros. Les  deux me reviennent à environ 27 000 DA, ce qui représente plus de la moitié de mon salaire », se plaint  M. Azzoug. Quant au traitement radical de cette pathologie, il consiste en la greffe de moelle osseuse. En l’absence de donneurs dans son entourage, M. Azzoug a pris contact avec des associations humanitaires et caritatives basées en France pour lui trouver un donneur. Cependant, notre interlocuteur a appris auprès de ses contacts en France que, même si on trouve un donneur, les hôpitaux français refuseront d’effectuer l’opération tant que le différend entre les organismes de sécurité sociale des deux pays ne sera pas réglé (La Sécu française réclame à son homologue algérienne, la CNAS 34 millions d’euros, ndlr). Toutes les réclamations adressées au ministère de la Santé et à la CNAS, dont nous détenons des copies, sont restés lettre morte.

M. Azzoug n’est malheureusement pas le seul à vivre un tel calvaire. Il affirme avoir rencontré une cinquantaine de parents dans son cas, voire pire, à l’occasion de ses nombreux périples d’un établissement de santé à l’autre. « J’ai fait dernièrement la connaissance d’un père qui avait perdu deux de ses filles, décédées d’une déficience immunitaire grave. Sa troisième fille, atteinte elle aussi, est en train de mourir actuellement à Blida », témoigne-t-il, très ému.

Le professeur Djidjik, chef du service d’immunologie à l’hôpital de Beni Messous (Alger), explique que le déficit immunitaire primitif (DIP) est un groupe de 150 types de maladies héréditaires. Se référant aux statistiques de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et d’une  association américaine activant dans le domaine, le professeur affirme qu’un nouveau-né sur 4 000 à l’échelle mondiale souffre d’un DIP. Cependant, il estime que ce nombre est beaucoup plus important en Algérie – « le double de la moyenne mondiale, soit 1/2000 naissances ». Car, argumente-t-il,  « les mariages consanguins, qui sont à l’origine des DIP, sont plus répandus chez nous ». « Dans le service où je travaille, nous avons recensé 150 cas ces deux ou trois dernières années. En plus, le diagnostic ne se faisait pas bien auparavant, contrairement à ce qui se fait actuellement », explique-t-il. Et de souligner que « le problème qui se pose le plus est celui de la prise en charge thérapeutique des patients (…) Pour les cas simples, on leur prescrit un traitement médicamenteux à vie. Quant aux cas graves, la greffe de moelle est indispensable. Et en l’absence de centres de greffe chez nous, les patients doivent se rendre à l’étranger », ajoute le professeur, tout en affirmant que «certains médicaments ne sont, effectivement, pas disponibles sur le marché national ».

Ainsi abandonnés à leur sort, les parents des patients souffrant d’un DIP ne peuvent compter que sur la charité des âmes sensibles et l’aide de certaines associations pour se procurer des médicaments ou se faire assister dans leur démarche de prise en charge à l’étranger. En l’absence d’une association nationale, ils trouvent une assistance auprès des associations établies de l’autre côté de la Méditerranée, à l’instar de l’association Hajar (Belgique) et de l’association Amine (France). « Nous voulons créer une association nationale des patients atteint d’un DIP, mais nous butons sur des difficultés bureaucratiques. Pour avoir l’agrément du ministère de l’Intérieur, il nous faut au moins 25 membres issus de 12 wilayas différentes. Ce qui n’est pas évident pour des pères de familles qui doivent travailler, s’occuper de leurs familles et faire soigner leurs enfants malades », s’indigne M. Azzoug.

Au moment où les dignitaires du régime s’offrent le luxe d’une cure anti-tabac en suisse ou d’un contrôle médical de routine dans des hôpitaux militaires français, à coups de millions, des milliers de pauvres travailleurs, assurés ou en noir, assistent à  la mort de leur progéniture, sans pouvoir les faire soigner.

Yacine Omar