Par Dr Karim HAMADACHI (*)
La Méditerranée, d’une superficie de 2,5 millions de km², est une interface qui met en relation des ensembles géographiques distincts en termes de civilisation et de développement. La personne âgée dans les pays en développement jouit encore du lien avec la société dans laquelle elle vit et cela est un élément essentiel à prendre en compte dans les stratégies gériatriques tant dans la prévention, la prise en charge des maladies, que dans le suivi social. À l’inverse, les personnes âgées vivant dans les pays développés sont souvent victimes d’exclusion et de marginalisation. L’approche interculturelle est essentielle pour optimiser des solutions équilibrées entre la prise en charge familiale ou communautaire des personnes âgées et une prise en charge par des professionnels.
Toutes les populations à chaque époque développent des modes de vie particuliers qui dépendent de nombreux facteurs notamment le climat et l’agriculture de la zone géographique considérée, le niveau économique bien sûr, et enfin des facteurs comme le passé historique, la culture et la religion caractéristiques de chaque population. On a ainsi définit des habitudes alimentaires méditerranéennes qui se distinguent clairement des habitudes alimentaires d’autres régions du monde. La notion de bassin géographique est tout aussi importante, caractérisée par son milieu naturel spécifique et son climat homogène. Le contexte de diversité culturelle et religieuse dans lequel nous exerçons nous impose de comprendre le vécu de la maladie, de la mort et du deuil par nos patients et leurs familles.
Le vieillissement démographique de l’espace méditerranéen devrait se renforcer, en particulier dans les pays de la rive Sud et plus particulièrement au Maghreb et en Turquie, où l’âge moyen ne cesse de croître, malgré le caractère encore jeune des populations, si on les compare aux sociétés européennes, de plus en plus composées de personnes âgées, à l’instar de l’Italie ou de la Grèce. Comparé à l’échelle mondiale, l’âge moyen en Méditerranée, qui se situe actuellement à 29,7 ans, est donc plus élevé et le processus de vieillissement y est plus prononcé.
Les États d’Afrique du Nord, à l’exception de l’Égypte, ont déjà entamé leur transition démographique. Mais le pic de population va se situer autour de 2030-2035. La crise démographique que connaît l’Espagne pourrait en faire d’ici 30 ans le pays le plus vieux du monde. La vieille Europe, comme l’appelle les américains et qui n’a jamais aussi bien porté son nom. L’Europe où l’Espagne serait le plus vieux pays de l’Union Européenne d’ici 2040, autrement dit que la natalité en forte baisse va faire drastiquement augmenter la moyenne d’âge dans les 30 ans à venir. L’Espagne est-elle la seule concernée par ce vieillissement de la population en Europe ?
C’est une tendance qui est générale en Europe, dans beaucoup de pays la fécondité a baissé et l’Espagne n’est pas la seule dans ce cas, puisque l’Italie va avoir une population très vieillie également. Il y a donc un autre facteur qui joue pour le vieillissement, c’est l’allongement de l’espérance de vie, et cela c’est quelque chose qui joue de la même façon dans tous les pays. C’est vrai qu’en France par exemple, la fécondité a été nettement plus élevée qu’en Espagne depuis 20 ans du fait que le vieillissement prévu, du simple fait là, est moins important, mais le vieillissement de toute façon est inéluctable. La France est un pays qui a la plus longue tradition de politique familiale, et c’est probablement grâce à cela que la fécondité aujourd’hui en France se maintient à un niveau relativement élevé ; ce n’est pas le seul pays, les pays nordiques en particulier ont une grande tradition d’aide aux familles et en particulier à la conciliation travail et maternité, c’est donc là que la fécondité se maintient le mieux.
L’urbanisation de la population méditerranéenne est de plus en plus prononcée (deux tiers de la population est urbaine) et va se poursuivre, à un rythme d’ailleurs plus élevé sur la rive Sud. Ce processus s’accompagnera d’une littoralisation croissante des lieux de résidence de ces populations urbaines et périurbaines. Les campagnes de certains pays ne devraient pas subir de dépeuplement massif. D’ici à 2020, les ruraux seront sans doute toujours plus nombreux en Égypte, en Jordanie, en Syrie et dans les Territoires palestiniens.
Les systèmes de santé sont aujourd’hui confrontés à de multiples difficultés dont la résorption résultera en grande partie de la capacité des économies à dégager suffisamment de ressources pour financer ce type de biens collectifs au niveau socialement nécessaire. Dans l’espace euro-méditerranéen, des systèmes de santé consolidés (pays de l’Union européenne) côtoient des systèmes de santé en cours de développement (pays du Maghreb notamment).
En fait, les systèmes de santé doivent devenir plus efficaces pour coûter moins chers. La prise en charge des besoins de la population âgée, en particulier celle qui aura cessé de travailler (les retraités), nécessite davantage de moyens financiers et de nouvelles organisations de soins. Au Maghreb, la dépense globale de santé est faible et se situe dans un contexte de cherté des soins et des biens médicaux par rapport au pouvoir d’achat moyen de la population. C’est finalement la demande privée solvable qui dans l’immédiat peut bénéficier des soins les plus modernes, en particulier au Maroc et en Tunisie. La faiblesse de l’assurance maladie ne permet pas une prise en charge suffisante des besoins sanitaires de la population. Dans les pays européens, on observe la mise en place de toute une série de dispositions visant à réduire le coût des soins tout en tentant d’assurer la qualité de ceux-ci. Malgré cela, les dépenses poursuivent leur hausse à des rythmes qui ne sont pas toujours soutenables (France en particulier).
Le fond du problème est qu’on aborde trop souvent le phénomène du vieillissement d’un point de vue des financements des retraites et du système de santé, et qu’on oublie les dimensions plus fondamentales du phénomène que sont notamment les questions de la place et du rôle des aînés dans la société et celle, plus préoccupante encore, des relations intergénérationnelles.
Le bassin méditerranéen, aux confins historiques de trois cultures traditionnelles, constitue un lieu privilégié pour l’analyse critique du vieillissement en fonction de cultures différentes. Il ne faut pas oublier que le respect des aînés, avec le désir de leur assurer qualité et bien être, est un trait d’union constant entre nos différentes cultures.
Vers l’émergence d’une culture gérontologique et d’une prise en charge gériatrique en Algérie ?
Les personnes âgées sont soignées actuellement dans les hôpitaux généraux et les centres hospitalo-universitaires (CHU) qui ne disposent pas de services spécialisés de gériatrie. Les plus de 65 ans représentaient en 2009, 7,5% de la population totale de l’Algérie (35 millions d’habitants), selon les statistiques de l’ONS. Le taux de vieillissement de la population va augmenter dans les prochaines années. L’espérance de vie est passée de 48 ans en 1962 à 76 ans en 2009, selon les mêmes statistiques. Ainsi, on observe l’augmentation constante du nombre des personnes âgées, estimé actuellement à plus de 3 millions et demi d’algériens, dont un million de plus de 80 ans et dont il va falloir réfléchir à la prise en charge qui ne saurait demeurer du seul ressort des médecins internistes. « Il est temps de considérer la prise en charge des personnes âgées comme une spécialité à part entière », a dit récemment à ce propos le Pr. Soraya Ayoub médecin interniste à l’hôpital de Bologhine (Alger), dans une communication donnée au cours d’une rencontre organisée par l’association « Sciences et vie » des médecins de la wilaya de Constantine.
L’Algérie prévoit des investissements de 20 milliards d’euros entre 2009 et 2025 pour accroître ses infrastructures sanitaires, moderniser son système de santé et pallier la vétusté des hôpitaux saturés. Il convient de rappeler qu’il existe au niveau national 28 centres de vieillesse répartis à travers différentes régions. La majorité des centres ont toujours enregistré un déficit en matière de prise en charge, notamment médicale.
A ce sujet, rappelons que la réalisation du premier centre de gériatrie en Algérie a été annoncée le début de l’année 2006 à Sétif. Plus de quatre ans sont passés et rien ne pointe à l’horizon. Un projet dans les limbes qui aurait pu mettre fin au calvaire de centaines de milliers de vieillards souffrants et ce, au moment où les spécialistes ne cessent d’avertir que l’allongement de l’espérance de vie a comme corollaire l’apparition d’une forte demande en soins gériatriques, avec l’augmentation aiguë des pathologies. Le groupe portugais Construtora Abrantina a obtenu le contrat de construction de cinq hôpitaux de gériatrie en Algérie : Sétif, d’une capacité de 120 lits et Zéralda d’une capacité de 100 lits. Ces deux établissements seraient en voie d’achèvement nous dit-on. Le même groupe compte construire trois autres hôpitaux du même type d’ici à 2011. Ces trois hôpitaux de gériatrie, d’une capacité de 120 lits chacun, sont prévus à Sidi Bel Abbès (ouest), El Oued (extrême sud-est) et Adrar (sud).
La création d’unités de gériatrie devient une nécessité en Algérie
Plutôt que de créer des hôpitaux spécialisés en gériatrie, comme le prévoit le programme du ministère de la Santé, il serait préférable de créer des unités de gériatrie au sein des différents services hospitaliers et des hôpitaux de jour pour la prise en charge des personnes âgées démentes afin de ne pas les soustraire à leur environnement habituel. Il y’a aussi nécessité d’introduire la gériatrie dans le cursus de formation des médecins et d’encourager la spécialisation dans cette discipline, en plus de l’organisation de stages de recyclage pour les médecins déjà formés. La reconnaissance et la promotion de la gériatrie comme discipline médicale à part entière devient alors incontournable.
L’approche gériatrique se caractérise par une prise en charge globale de la personne âgée. Cette prise en charge est basée sur une évaluation gériatrique standardisée » EGS » ayant fait la preuve de son efficacité tant sur la réduction de la morbi-mortalité, que sur l’amélioration de la qualité de vie. L’EGS permet de dépister les facteurs de fragilité chez le sujet âgé afin d’adopter une stratégie à la fois curative et préventive toute en hiérarchisant les priorités, mettant l’accent sur les pathologies rentables et accessibles à une prise en charge active. Le soin en gériatrie dépasse largement le concept classique de » guérison « , et s’intègre dans une logique de soin plus adaptative, s’adressant non seulement à la maladie mais au malade dans son intégralité.
La prise en charge de la personne âgée devenant plus vulnérable aux agressions sur l’organisme concerne le métabolisme, le système immunitaire, les organes des sens, les différents appareils. La prise en charge d’un malade âgé ne peut se limiter au seul aspect purement médical, mais doit prendre en compte l’ensemble des conséquences psychiques, fonctionnelles, socio-économiques des patients. En effet dans la pratique il faut bien comprendre la notion de déchéance socioprofessionnelle et familiale, notamment quand une personne qui entre dans cet âge perd le conjoint, un membre de sa famille ou un emploi, mais aussi la perte de la fonction d’un organe comme un membre, la virilité sexuelle, la mémoire, la vue, l’ouïe… La personne âgée perd ses repères, ses convictions intellectuelles et ses équilibres psychiques et risque de voir sa personnalité déstructurée.
L’accueil, les consultations et l’hospitalisation des sujets âgés nécessitent une étude rigoureuse dans les approches architecturales et logistiques. La santé publique doit permettre un accès aux soins personnalisé et répondant aux besoins spécifiques des personnes âgées. L’hôpital dédié aux personnes âgées doit être adapté à ces besoins. En aucun cas l’hôpital ne doit devenir l’exutoire des difficultés familiales et sociales et ne doit servir d’alibi à une forme déguisée d’abandon familial. La gériatrie est donc un problème de santé publique.
Le programme de santé publique dirigé vers cette catégorie de personne doit répondre à des pathologies spécifiques de la vieillesse : handicap sensoriel, pathologie dégénérative comme la maladie d’Alzheimer, hypertension artérielle, dénutrition, iatrogénie, cancer etc. En outre ce programme doit impérativement comporter un volet prévention et dépistage ciblant certaines affections comme l’ostéoporose, les chutes, les troubles de la vision, la presbyacousie, et autres. A titre d’exemple, il doit comprendre des actions de prévention et de soutient primaires dans : l’inactivité motrice, l’inactivité mentale, la dépendance, la vaccination (grippe, pneumonie…), la qualité de l’alimentation, la surmédication, la prévention des chutes. Les pathologies à prendre en charge sont nombreuses et variées : ostéoporose, maladie d’Alzheimer, troubles du comportement, arthroses et rhumatismes, atteinte sensorielles, fractures du col fémoral, mémoire, douleurs, etc.
Le développement des soins à domicile et l’accueil de jour en établissement hospitalier sont nécessaires afin de sauvegarder le lien social et familial et éviter «l’hospitalisme». La réussite de l’expérience du Pr Mansour Brouri du CHU de Birtraria, considéré à juste titre comme le « père » fondateur de l’HAD (Hospitalisation à domicile) en Algérie, est édifiante. Un tel dispositif vise à améliorer la prise en charge des personnes âgées dépendantes.
« Dans cette reconstruction, plusieurs aspects peuvent être en jeu pour la hâter, comme la croyance religieuse, les valeurs culturelles, le soutien familial, la thérapie de groupe, etc. », explique le Pr Alain Franco, PU-PH et professeur de gériatrie en France. « Tout cela montre, a-t-il dit, la complexité de la prise en charge (globale) de la personne âgée, qui a besoin d’une vaste touche d’humanisme et d’attention, en évitant de tomber dans le tout médical de ces personnes qui peuvent porter plusieurs affections dont plusieurs chroniques en même temps».
Dr Karim HAMADACHI est Gériatre assistant CH Grasse, médecin coordonnateur CH de Puget Théniers et Entrevaux et membre de l’Institut Gérontologique des Alpes Maritimes (IGAM)