Il n’est pas facile d’entrer dans le cœur des Algériens. Il est encore moins facile d’en sortir. Ici, au pays du sentiment, l’amour se mérite. Il se gagne au gré des combats, des preuves et des victoires. Une fois déclaré, l’amour du peuple algérien est fidèle et sans limite. Après la Coupe du Monde, Coach Vahid a atteint un niveau de popularité et de sympathie énorme à travers tout le pays. L’annonce de son départ a été très mal vécu par les Algériens, qui l’ont véritablement adopté. Son remplaçant, l’ex-lorientais Christian Gourcuff se trouve face à un challenge de taille. Faire mieux que son prédécesseur afin de conquérir à son tour le cœur des Fennecs et donner à l’Algérie ce titre de championne d’Afrique des Nations, qu’elle convoite depuis l’obtention de son unique titre continental en 1990.
Un véritable coup de foudre a eu lieu entre de le technicien Franco-bosnien Vahid Halilhodzic et des milliers de supporters d’El-Khadra, après le magnifique parcours des Fennecs en Coupe du Monde. Les débuts n’ont pourtant pas étaient tout rose. Déclamé, critiqué, pointé du doigt, notamment après l’échec de la CAN en 2013 et la défaite 2-1 contre la Belgique lors du mondial au Brésil, Coach Vahid a subit lui aussi le désamour de certains, qui voyaient transparaitre à travers sa tactique de jeu jugée trop défensive, le spectre de Rabah Saâdane. Personne n’aurait à priori pu imaginer que quelques temps plus tard, les supporters clameraient tous en cœur « Zid ya Vahid ». Personne n’aurait imaginé non plus, que cet homme passionné, décrit comme froid, strict et sévère puisse laisser échapper des larmes d’émotions en public. C’est pourtant arrivé, ce lundi 30 juin 2014, sur la pelouse du stade Beira-Rio de Porto Alegre au Brésil, aux termes d’un match légendaire qui a vu des Fennecs vaillants, guerriers, héroïques, amener l’équipe d’Allemagne, future championne du Monde, jusqu’aux prolongations, avant de s’incliner 2-1.
Le retour triomphal de Vahid et de sa formation à Alger a été marqué par des scènes invraisemblables de liesses, de remerciements émouvants et de déclarations d’amour à l’entraîneur et à son équipe. A la Jacques Brel, on pouvait entendre la foule scander « ne nous quitte pas » et lire sur les pancartes en carton confectionnées à la hâte « restes Vahid ». Une page Facebook (Pétition pour que VAHID reste à la tête de la sélection algérienne) comptant pas moins de 55000 mentions « j’aimen a même lancé une pétition stipulant « Pour ne pas refaire la même erreur de 1982, nous demandons à Mr Raouraoua de maintenir Mr Vahid Halilhodzic au poste d’entraîneur de l’équipe nationale algérienne et ce par tous les moyens dont dispose la fédération(FAF). Le Gouvernement devra intervenir pour le salut du sport en général et du football en particulier ». 15000 personnes seront signataires de cette pétition.
Gourcuff, tout pour l’attaque
Quelle tâche difficile que de succéder à celui qui a remis l’équipe nationale au premier plan de la scène footballistique mondiale. En octobre dernier et pour la première fois de son histoire, l’Algérie a atteint le top 15 mondial au classement Fifa.
A son arrivée, Christian Gourcuff a subit de plein fouet le désaveu des foules acquises tout entière à la cause d’Halilhodzic qui s’en allait coacher le club turc de Trabzonspor.
Coach Vahid et Prof’ Gourcuff. Les deux hommes sont diamétralement opposés. Leurs traits de caractère, déjà, les différencient. Coach Vahid est le feu, impulsif, pléthorique, tenace, intransigeant. Prof Gourcuff est le calme, teigneux, minutieux, modeste et mesuré.
Leur vision du jeu diffère également. L’ancien professeur de mathématiques applique une vision cartésienne et scientifique au football. La précision est le maître mot. Le hasard n’a pas sa place. Chaque système, chaque joueur, chaque position est étudié dans le plus grand détail. A base de fichiers Excel, de travail sur la vidéo et de plannings réglés à la seconde près, le ténébreux Christian Gourcuff, à la manière d’un Arrigo Sacchi, travaille sans relâche afin de cibler les moindres failles. Le principe de jeu du « maître de l’école lorientaise » qui a façonné le club des Merlus pendant plus de 25 ans, est tourné vers l’offensif. Le jeu et le spectacle sont la priorité. Jouer et prendre du plaisir à jouer, en privilégiant l’épanouissement de chaque joueur, caractérise la vision du technicien breton de 59 ans.
Sensible à la philosophie de jeu du FC Barcelone et du Nantes des belles années, l’entraîneur se repasse souvent des séquences de jeu court, à une touche de balle, ultra collectif et tourné vers l’avant des blaugrana, lors de ses préparations de matches. Privilégiant le système simple du 4-4-2 en ligne, s’appuyant sur l’apport essentiels des ailiers et des latéraux dans la phase offensive, le système prôné par Gourcuff à vocation à intégrer tous les joueurs en s’adaptant à la personnalité de chacun. La tactique mise en place avec l’équipe d’Algérie ne déroge pas à cette règle « on joue en 4-4-2 avec Brahimi comme attaquant ». « Ce qui m’importe, c’est le jeu », a encore déclaré Gourcuff lors d’un entretien accordé à El Chourouk Tv en novembre dernier.
Garder les valeurs sûres, donner leur chance aux nouveaux
Révélateur de talents, le natif de Hanvec (Bretagne, France) a plusieurs fois fait émerger des joueurs de seconde zone, assez moyen ou effacés pour en faire des joueurs de qualité, courtisés par la suite par des clubs prestigieux, à l’image de Koné, Gignac, Koscielny, Ciani ou Gameiro par exemple. Avec l’Algérie, Gourcuff fait confiance à Mehdi Lacen dans la récupération, même si ce choix est sujet à des polémiques chez les observateurs et les journalistes. Mais la maturité et l’expérience du joueur de Getafe sur le plan tactique restent une valeur sur pour l’entraineur. L’ossature de l’équipe est composée des joueurs cadres du Mondial brésilien (M’Bolhi, Bougherra, Feghouli et Brahimi) qui ont la pleine confiance de du technicien des Verts. La nouveauté est l’arrivée de deux jeune joueurs de Ligue 1 : le latéral droit du stade rémois Aissa Mandi âgé de 23 ans, et le pur produit lyonnais, le défenseur de 22 ans Mehdi Zeffane.
Aissa Mandi a d’ailleurs tranché entre Coach Vahid et Prof Gourcuff en déclarant, à l’instar de nombreux de ses coéquipiers que « la différence entre Gourcuff et Halilhodzic est radicale. Ce sont deux styles totalement différents. Personnellement, je préfère Gourcuff, dont le système est plus basé sur le jeu. Moi, j’aime bien jouer au ballon et je pense qu’il nous a apporté cette petite touche technique qui nous manquait. » Avant lui, les Feghouli, Brahimi, Lacen et consœurs avaient également émis leurs avis sur la « discipline de fer » imposée par Halilhodzic, les empêchant de s’exprimer pleinement.
Volontaires et charismatiques
Une chose est sûre, au-delà des différences évidentes qui séparent les deux entraîneurs, le charisme et la ténacité les rassemble. La volonté de composer l’équipe de leur choix, en faisant fi de la critique et en assumant leurs systèmes de jeu, quitte à exclure certains joueurs phares et à déplaire au public. Le franco-bosnien avait d’ailleurs lancé à ses détracteurs, qui lui reprochaient de se passer des services de Ryad Boudebouz, une phrase qui restera dans les annales des petites phrases du foot : « Je ne suis pas un mouton. »
Les Verts sont donc passés des méthodes musclées et de la discipline de fer de l’ex-entraîneur de Nantes et du PSG, au style Gourcuff, calme, réfléchit et d’une précision chirurgicale légendaire dans sa préparation et son coaching. La générosité et la simplicité typiquement bretonne de l’entraineur actuel est connue et saluée par tous comme en témoigne cette déclaration : « Pour moi, le jeu collectif est aussi ma conception de la vie. Il est synonyme de partage. Mais j’avoue que je ressens un décalage entre la société telle qu’elle est et ma perception des choses. L’individualisme prend le pas sur tout. Je vais prendre un exemple : je ne comprends pas que des journalistes notent les joueurs. Moi, je n’en ai jamais noté un seul durant toute ma carrière d’entraîneur. C’est tellement subjectif. Et cela peut renforcer l’individualisme des joueurs, s’ils privilégient leurs statistiques personnelles au détriment du collectif. »
Si Prof’ Gourcuff ramène la Coupe d’Afrique des Nation à la maison, il ne fait aucun doute qu’il rentrera, à son tour, dans le cœur d’un peuple algérien, débordant d’amour.