Lors d’une rencontre avec Transparency International à Tunis, du 30 Mai au 02 juin 2013, j’ai eu l’occasion de rencontrer Peter Eigen, un ancien directeur de la Banque mondiale et fondateur de l’ONG Transparency International.
Notre discussion s’est portée sur le dossier Chekib Khelil. Il m’a fait savoir qu’il a travaillé avec Chekib Khelil à la Banque Mondiale. Il m’a également affirmé que celui-ci était un fonctionnaire modèle, très intègre, très propre, et il n’arrive pas à comprendre comment il a pu s’impliquer dans les affaires de corruption dont il est incriminé. Je lui ai expliqué que le problème c’est le système. Un pouvoir érigé sur la corruption, un climat d’impunité générale et généralisé. Toutes les conditions sont réunies actuellement en Algérie pour produire des corrompus.
Nous avons discuté sur la représentation ou la section de Transparency en Algérie. Il faut savoir Transparency International n’a pas de représentation dans notre pays. Il est immoral d’affirmer le contraire ou que cette ONG a son représentant en Algérie.
Même les membres sont interdits de rentrer en Algérie. Parler de section de Transparency en Algérie c’est oublier que le pouvoir algérien refuse toute implication des ONG étrangères ou locales dans les affaires de corruption.
L’autre volet de notre discussion s’est porté sur les possibilités d’aider notre association dans le cadre de la restitution des biens mal acquis et le transfert de l’argent sale des USA.
Nous avons été encouragé par la décision de la doyenne des juges d’instruction française qui s’est prononcée en faveur de la recevabilité de la plainte déposée par le TI de France, et de Sherpa, visant les conditions dans lesquelles un très important patrimoine immobilier et mobilier a été acquis en France par les chefs d’Etat africains :Omar Bongo (Gabon), Denis Sassou N’Guesso (Congo-Brazzaville) et Teodoro Obiang (Guinée équatoriale). Cette plainte avec constitution de partie civile avait été déposée par TI France et Grégory Ngbwa Mintsa, citoyen gabonais, le 2 décembre 2013. Cependant, seule TI France s’est vue reconnaître le droit d’agir, beaucoup de biens ont été restitués.
Pour nous il y a avait espoir de poursuivre Chekib khelil aux USA. Il nous faut des ONG agissant sur le territoire américain pour le problème de recevabilité et le droit d’agir.
Notre souci, était comment prendre attache avec des ONG américaines pour les raisons suscitées, pour nous aider au travail d’investigation et éventuellement entamer les procédures judiciaires sur le sol américain. Tout cela dans le cadre des résolutions contraignantes de la Convention des Nations unies contre la corruption (CNUCC) et notamment ses dispositions relatives à la corruption transnationale, la lutte contre le blanchiment d’argent et la restitution des avoirs.
Il y a aussi la convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales.
Il y a aussi le Foreign Corrupt Practices Act, la loi de lutte contre la corruption américaine, loi la plus répressive au monde en matière de lutte contre la corruption après Tthe UK Bribery Act (loi britannique).
Tous ces supports juridiques nous amènent à conclure que quelques soit le statut de Chekib Khelil « citoyen américain ou agent public étranger », la justice américaine doit s’autosaisir et poursuivre Chekib Khelil.
Peter Eigen nous a été d’une aide précieuse. Transparency USA a été contactée par l’intermédiaire d’une américaine, Leah Wawro de Transparency International, de la section britannique. Et nous avons pris attache avec un de leur représentant, Daniel Dudis, le 22 juillet 2013.
Comme toutes les sections de Transparency à travers le monde, les pays démocratiques et assurant une indépendance de la justice, les sections de Transparency ne font pas d’investigation. Ce sont des lobbies qui font pression sur les gouvernements pour adopter des lois plus répressives en matière de lutte contre la corruption. Transparency USA nous a orienté sur une division appartenant au ministère de la Justice américaine (DOJ), spécialisée dans les affaires des biens mal acquis et le transfert de l’argent sale, la Kleptocracy Asset Recovery Initiative.
Cet organe s’est penché sur plusieurs affaires des biens mal acquis et le transfert de l’argent sale, parmi elles, l’une concerne des biens immobiliers de l’ancien président du Taïwan et l’autre l’ancien gouverneur d’une province nigériane. C’est pour confirmer que cet organe est fonctionnel et qu’il a à son actif des affaires similaires à celles de Chekib Khelil.
Entre temps, notre association a été invitée par l’ambassadeur des USA. Je ne me rappelle pas de la date exacte, tellement que cette invitation présente pour moi un non événement. Je savais qu’il allait nous proposer le financement de notre association. Et c’était le cas. Nous avons été reçus par une chargée de la coopération, une américaine et un algérien travaillant à l’ambassade . C’était un dialogue de sourds. La chargée de l’Ambassade américaine a discuté sur la situation de la corruption en Algérie et les possibilités de nous financer. Elle nous a parlé de l’affaire Chekib Khelil et de la possibilité de le condamner ; et éventuellement récupérer les biens et l’argent transféré. Nous savons que c’est difficile. Mais c’était pour leur montrer notre position. Nous ne sommes pas des carriéristes dans le mouvement associatif et avides du financement étranger, financement qui a perverti la société civile et le mouvement associatif en Algérie, et d’une manière générale.
J’étais écœuré par cette rencontre.
Après plusieurs mails, le 13 août 2013, la Kleptocracy Asset Recovery Initiative nous a contacté pour nous mettre en contact avec le magistrat américain Stephen Gibbons, chargé de l’affaire Chekib Khelil d’après ses déclarations.
Nous avons pu échanger quelques mails, afin que nous puissions préparer une rencontre. Pour moi, il était impossible de le rencontrer aux Etats-Unis. J’étais occupé par la maladie de ma défunte mère.
Stephen Gibbons m’a proposé de se voir en Algérie. Proposition qui ne m’a pas étonné. Mais cela a confirmé que l’Etat algérien a perdu toute souveraineté. Des magistrats américains font des enquêtes et des investigations sur le sol algérien. J’étais outré de savoir que des agents du FBI installé au niveau de l’ambassade des Etats-Unis à Alger, travaillent librement et apparemment au su des autorités algériennes. Le magistrat américain m’a proposé une rencontre avec un agent du FBI, dénommé Luke Beebe, travaillant à l’ambassade américaine à Alger. J’ai refusé. Je n’ai pas accepté cette situation humiliante qui permet à cette puissance d’user et d’abuser de notre souveraineté.
Nous nous sommes mis d’accord pour une rencontre à Paris avec l’un de nos partenaires en France, dont je garde l’anonymat. Le magistrat américain, et à la dernière minute, nous propose de nous voir avec cette fois-ci un autre agent du FBI répondant au nom de Timothy Lynch.
Pour nous c’était clair. Rencontrer un magistrat et non pas les agents du FBI représentait pour moi un grand souci. Celui de leur faire confiance ou pas. Car, il est fort possible que nos investigations finissent comme un moyen de chantage sur le pouvoir algérien. Chose que nous refusons, car nous militons pour un Etat algérien libre et fort, tout en dénonçant le régime qui a justement pris en otage cet Etat algérien. La différence est de taille. Nous ne sommes pas des pions.
De notre côté, nous avons voulu faire intervenir la société civile américaine crédible et indépendante, et éventuellement tisser des relations avec la presse américaine qui est fiable, afin que nos démarches aboutissent.
Apparemment les Américains ont compris nos démarches et ont coupé tout contact avec nous à partir de novembre 2013.
En conclusion, je pense que l’affaire de Chekib Khelil est enterrée. Le climat d’impunité prend le dessus au bénéfice du clan des Bouteflika.
L’affaire Chekib khelil peut nous révéler l’implication de plusieurs hauts responsables.
Le vice de forme intentionnel du mandat d’arrêt international contre l’ancien ministre de l’Énergie et des Mines, Chakib Khelil, lancé le 12 août 2014 pour différents délits liés à des pots-de-vin et des détournements, vient d’être annulé par les autorités algériennes d’après nos sources.
Nous lançons un défi à l’actuel ministre de la Justice de revoir la procédure du mandat d’arrêt international et d’assurer un procès équitable et transparent de l’affaire Sonatrach dont il est incriminé Chekib Khelil. Le ministre de la Justice n’est pas libre. Il obéit à des ordres et même à une logique pour protéger son clan.
Et ceci explique clairement la volonté de faire perdurer l’affaire en attendant de trouver une sortie de crise et faire taire les gouvernements étrangers par des contrats juteux,
Ni la justice algérienne, instrument de l’oligarchie, ni les pays étrangers signataires des différentes conventions et traités internationaux, ont la volonté d’aboutir à un procès équitable et transparent. Tout le monde trouve son compte. Le grand perdant étant le peuple algérien.
Il y a une volonté délibérée et manifeste pour faire échapper Chekib Khelil de la justice. Il y a une autre possibilité : un procès Khelifa bis pour qu’il soit blanchi.
Un pouvoir non légitime qui pille les richesses de son pays, achète sa légitimité des puissances étrangères, qui eux aussi tirent profit et participe à la ruine du pays.
Les ONG étrangères activant dans la lutte contre la corruption ne peuvent pas nous aider.
La démission totale du peuple et la non mobilisation sur ce fléau va ruiner le pays. L’affaire de Tougourt est un exemple. La mafia du foncier et la corruption sont des facteurs de déstabilisation du pays.
Halim Feddal, secrétaire général de l’ANLC*
*Association nationale de lutte contre la corruption