Algérie : passons du stade des « chasseurs-cueilleurs » au stade des cultivateurs

Redaction

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L’Algérie est une nation toujours tournée vers son passé révolutionnaire héroïque sans être capable de construire un rêve d’avenir lointain, stable et prospère. Le peu d’avenir qu’elle regarde frileusement est très court ne dépassant pas ainsi un horizon de quelques années.

Pour étayer ce constat, je vais citer un certain nombre de faits récents et actuels avant d’en expliquer la raison et les effets dévastateurs sur la marche du pays. Enfin, je donne des orientations pour remédier à cette situation.

« Un court-termisme » ambiant

L’Algérie est en passe de devenir un grand importateur de carburants. En 2011, les importations ont augmenté de 77% à 2,3 millions de tonnes. Cette tendance se confirme avec 2,5 millions de tonnes importés en 2012 dont 2 millions de gasoil. Un pays producteur et exportateur  d’hydrocarbures de la taille de l’Algérie se retrouve ainsi à importer du carburant pour nourrir (à un prix subventionné en plus) son parc automobile grandissant à une vitesse exponentielle. Ceci est une aberration et témoigne d’un manque cruel de prise de recul et de prospective pour faire les bons investissements au bon moment. Plus généralement, tout le secteur de l’énergie, ô combien stratégique pour le pays souffre d’une « navigation à vue » sans réelle vision sur le futur mix-énergétique du pays.

Par ailleurs, le système financier est presque à l’arrêt sans aucune confiance  de la part des acteurs économiques et des ménages, déversant ainsi des sommes colossales d’argent liquide dans l’économie informelle(*). Ceci rend difficile la naissance d’un financement moderne et transparent de l’économie de production à long terme mais favorise plutôt l’économie de « bazar » où l’on fait de la culbute financière à haute fréquence. Ceci peut être constaté à tous les niveaux: Du grand importateur de bananes costaricaine à l’étudiant converti dans le « business » de revente de voitures neuves. 

De plus, l’Algérie avait remboursé ses dettes de manière anticipée à la fin de la précédente décennie. Décision souveraine dira-t-on mais pourquoi se précipiter à payer tous ses emprunts et ne pas jouer l’effet de levier de la dette ? Pire, pourquoi allons nous jusqu’à mettre les réserves de change dans les bons de trésors américains (dont le rendement s’avère négatif) ou emprunter au FMI au lieu de les investir en Algérie dans des projets de long terme à travers un fond souverain par exemple ?

Ceci témoigne encore une fois d’une confiance limitée dans l’avenir lointain du pays, à commencer par ses hauts gestionnaires eux mêmes.

Sur le plan politique, toute la région du monde arabe a été touchée par cette vague de révoltes que l’on a appelé le « printemps arabe ». L’Algérie a voulu saisir cette métamorphose régionale pour finalement ne lancer que des « rustines » à court-terme pour calmer le sentiment de révolte exacerbé sans réelles réformes profondes à long terme.

Cause : incertitude économique et politique 

Cette attitude « courtermiste » qui privilégie l’obtention d’un gain immédiat au détriment d’un résultat futur, tire son origine principalement de l’incertitude économique et politique du pays à long terme. 

D’une part,  sur le plan économique l’Algérie est fortement dépendante de ses revenus issus des hydrocarbures. Or, c’est une ressource épuisable et limitée dans le temps influençant ainsi la capacité d’offre future de l’Algérie à long terme. Aussi, d’autres puissances tel que les Etats-Unis et l’Europe se lancent dans les énergies renouvelables et l’exploitation des gaz et pétrole de schistes réduisant ainsi leur demande future d’hydrocarbures provenant de pays comme l’Algérie. Tout ceci met les perspectives économiques du pays dans « un brouillard » où chaque acteur, si dénué de conscience morale s’empresserait à maximiser sa propre rente à court-terme.

D’autres part, sur le plan politique, on assiste aujourd’hui à la fin d’un cycle biologique faisant disparaître toute une génération « post indépendance » sans réelle relève visible. En effet, l’Algérie a perdu trois ex-présidents sur les douze mois précédents. L’Etat de santé de l’actuel président en est une autre illustration. De plus, le système de gouvernance actuel que l’on appelle communément le « système » est hautement opaque et voué à terme à l’effondrement.  Tout ceci plonge les perspectives politiques du pays dans un flou où chaque acteur, si dénué de conscience morale, chercherait également à profiter de sa légitimité politique actuelle, de surcroit épuisable. 

Conséquence : une marche du pays en « mouvement aléatoire »

Les deux facteurs expliqués ci-dessus, combinés créent une situation dont les effets sont dévastateurs sur la marche du pays. En effet, tout projet et/ou secteur dont le « temps caractéristique »(*) est supérieur à l’horizon de gouvernance actuelle passe à la trappe en n’atteignant jamais un « équilibre »  satisfaisant à long terme!

En effet, un des secteurs dont le temps caractéristique est très long est l’éducation et le développement des compétences. En effet, pour bien former une génération, une période de temps de plus de 20 ans est nécessaire. A la lecture de l’analyse ci-dessous, on comprend aisément pourquoi le système éducatif algérien touche au fond actuellement. Ce secteur ne bénéficie plus tout simplement d’une « attention » à long terme.

Un autre secteur est l’aménagement des territoires et des villes. Depuis les deux dernières décennies, l’Algérie a vu naître des villes anarchiques et vu les autres villes existantes se développer sans aucun plan d’aménagement en bonne et due forme sur une échelle de temps de plus de 30 ans. Certes, on a assisté à la construction de divers logements et infrastructures récemment, mais leur maintien dans le temps n’a jamais fait partie de l’équation.   L’autoroute « est – ouest » en est une illustration où plusieurs tronçons sont déjà dans un état détérioré. Le choix fait de confier ce type de projets à des sociétés chinoises est encore une fois court-termiste car il ne privilégie pas la qualité des infrastructures à long terme.

Par ailleurs, l’Algérie jouit d’un positionnement géographique stratégique dans le monde (carrefour à la fois entre l’Europe et l’Afrique, entre l’Asie et les Amériques) mais elle manque désormais d’un plan géopolitique clair à long terme. Ainsi, son influence est presque inexistante sur la scène internationale alors qu’elle peut jouer un rôle important surtout en Afrique où elle est l’un des grands pays. Elle peut également peser dans le monde arabe surtout avec ses voisins marocains et tunisiens pour former une force économique et politique en Afrique du nord. 

D’autres exemples démontrent d’une absence de choix stratégiques à long terme par rapport à la justice, la santé, l’agriculture, la logistique, le tourisme, …etc.

Le pays donne l’impression d’avancer avec une allure d’un « mouvement aléatoire» sans réelle ligne directrice. 

Urgence pour changer d’échelle de temps dans la gestion du pays

L’Algérie est aujourd’hui à la croisée des chemins. Cinquante ans après son indépendance, le projet de construction du pays laisse toujours à désirer quand on voit ce que d’autres pays ont pu réaliser dans un temps plus court comme les pays de l’Asie du sud-est ou les pays du Golf. L’Algérie est confrontée à des choix tranchés auxquels elle n’a même pas réfléchi.

Gouverner, c’est prévoir. Ainsi, il est urgent de changer d’échelle de temps dans la gestion du pays. Il est surprenant de constater l’absence d’outils ou structures d’anticipation et de planification liés au pouvoir central tel que l’ancien Ministère au Plan. Ce dernier a été détruit à la veille de la chute du bloc soviétique sous prétexte que l’entrée en économie de marché enlève tout besoin de prospective et de planification stratégique !

Une action immédiate serait de créer une telle structure généraliste et transversale permettant de réfléchir aux sujets stratégiques du pays. Evidemment, ceci n’est pas une préconisation à un retour au « tout-Etat » comme dans les années de Boumediene mais plutôt à un « Etat stratège » qui libère les freins et les énergies en créant un climat d’affaires favorables.

Sur le moyen terme, un nouveau projet de construction du pays est nécessaire avec une vision à long terme pour rejoindre la modernité et la mondialisation de manière décomplexée et sereine sans soupçons ni suspicion vis à vis de l’étranger. Par ailleurs, une nouvelle génération de leaders est à construire pour porter ce projet ambitieux en s’engageant à la fois sur la durée et sur des résultats. 

Enfin, une conscience citoyenne est à réveiller pour favoriser les prises d’initiatives (économiques, culturelles, politiques, …etc.), réaffirmer les valeurs essentielles de notre société et exiger des comptes des responsables en place à tous les niveaux.

Hadi Mahihenni, Ingénieur civil des Mines, Cadre supérieur
(e-mail : m.mahihenni@gmail.com)

Sources – La Tribune : http://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20120808trib000713384/l-algerie-en-passe-de-devenir-un-grand-importateur-de-carburants.html

Définitions :

Temps caractéristique : En sciences, le temps caractéristique ou la constance de temps désigne la période nécessaire à un système ou un processus au bout de laquelle il atteint un nouvel équilibre.

Economie informelle : flux économiques clandestins ou tous-terrains qui sont en dehors du système officiel

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