Une révolte arabe en Algérie ? Elle a déjà eu lieu il y a bien longtemps.
Par Abed Charef
Un bon marxiste traditionnel dirait que l’Algérie d’aujourd’hui est en situation prérévolutionnaire. Tout, dans le pays, donne en effet l’impression d’être sur le point d’exploser. Où que le regarde se porte, on trouve un baril d’explosifs, un détonateur et des enfants qui jouent avec. Comme si le pays était devenu un immense champ de mines et de ruines.
La fronde est partout. Toute l’Algérie semble en ébullition. Dans les usines, à l’université, dans les écoles, dans la rue, au sein de l’administration et même au sein des corps de sécurité, comme la police communale. Même au lendemain d’octobre 1988, la contestation n’a pas été aussi virulente, ni aussi désordonnée.
On coupe la route comme on va au stade. Routes nationales, chemins de wilaya, autoroute, peu importe, l’objectif est de mener une action qui a suffisamment d’impact pour attirer l’attention des autorités. Et si ça ne suffit pas, on coupe la route nationale, l’autoroute et on organise une marche sur le siège de l’APC. Et on occupe la mairie comme on occupe un café, avec une aisance et une facilité extraordinaires. Et si on n’occupe pas ma mairie, ce sont les fonctionnaires municipaux qui font grève.
Faire grève n’est plus un évènement. Organiser une émeute n’attire plus le regard. Même si la plupart des grèves sont déclarées illimitées, elles n’émeuvent plus personne. Mais qu’importe : en Algérie, on ne connaît pas d’arrêt de travail d’une journée. On veut tout et tout de suite. Et souvent avec raison. Car sans cette violence de la contestation, l’administration ne répond jamais. Pour une raison simple : elle ne peut pas répondre, elle est morte, et on n’arrive simplement pas à se débarrasser du cadavre.
Et c’est le pouvoir lui-même qui alimente aujourd’hui la contestation. Craignant une contamination de la fameuse « révolte arabe », le pouvoir a reculé face à tous les contestataires. Et la rue a découvert le filon : plus elle crie, plus le pouvoir recule, faisant preuve d’une faiblesse étonnante. Pas question donc d’abandonner le filon.
Mais ni la brusque poussée d’attention du pouvoir envers les citoyens, ni les importantes augmentations de salaires, ni la fabuleuse distribution d’argent ne peuvent calmer la situation. Car non seulement le pouvoir apporte de mauvaises réponses, mais il ne répond même pas aux bonnes questions.
L’inefficacité des mesures annoncées n’a même pas besoin d’être démontrée. Elle est déjà là. Les augmentations de salaire ont déjà été grignotées par l’inflation. Une partie de l’argent destiné à l’investissement est gaspillé, et contribuera à dérégler les circuits économiques, tout comme la « permissivité » de l’Etat a déréglé l’autorité, la loi et le fonctionnement institutionnel.
Sur le plan politique, la situation est pire. Le pouvoir est en pleine déliquescence. L’autorité a disparu, et ne s’exerce plus que par les compagnies de sécurité. Le chef de l’Etat n’exerce plus de prérogatives, tant son état de santé s’est détérioré, et sa destitution est publiquement réclamée. Les ministres n’ont plus de crédibilité, certains sont considérés par l’opinion comme de simples amuseurs publics, alors que les dirigeants de partis apparaissent comme des spécialistes de la tromperie et de l’opportunisme.
Avec un tel tableau, comment l’Algérie n’est-elle pas encore entrée en révolution comme de nombreux autres pays arabes? Comment expliquer cette incapacité à « dégager » un pouvoir aussi fragile, aussi peu crédible, alors que le pays a théoriquement de meilleures possibilités de s’organiser, grâce aux espaces de libertés qui se sont créés au fil des années ?
La question est troublante, car l’Algérie apparait en retard d’une révolution. Mais cette image est fausse, car en réalité, l’Algérie n’est pas en retard d’une révolution, elle est en avance d’un échec. Elle a déjà fait son chahut de gamins il y a bien longtemps, et le refait chaque jour, à petite échelle, mais elle n’a pas su gérer l’après révolte. L’Algérie n’est plus dans la contestation de Ben Ali ou Moubarak. Elle a franchi ce cap il y a bien y a bien longtemps. Elle a voulu ensuite engager un vrai changement, avec une véritable ouverture démocratique, mais elle a échoué. A cause d’un régime qui voulait à tout prix se reconstituer, et d’islamistes qui ont servi d’alibi parfait pour justifier la contre-révolution, car les islamistes aussi voulaient remplacer l’ancien système par un autre, identique mais encore plus intolérant.
Ce que subit aujourd’hui l’Algérie, ce sont les séquelles de l’échec, non les prémices de la révolte. Et, pour une fois, l’Algérie peut réellement servir de modèle aux autres pays arabes, au moins pour qu’ils sachent ce qu’il ne faut pas faire, et épargnent à leurs peuples la douloureuse facture de l’expérience algérienne : l’Algérie a payé le prix du changement, mais elle est revenue au point de départ.
Source : abedcharef.wordpress.com