Boniface, BHL, les faussaires et les pérégrinations de Mqideche à Bahreïn

Redaction

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Par Akram Belkaïd

Quatorze éditeurs français ont refusé le livre dont il est question dans cette chronique (1). Il n’y a rien d’étonnant à cela. Son auteur, Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), s’y attaque avec un grand courage à des poids lourds de la vie médiatique et éditoriale française. Notez bien que je n’ai pas employé l’expression de « vie intellectuelle » car les personnes que ce chercheur met en cause sont tout sauf de véritables intellectuels. Néanmoins, qu’il s’agisse de Bernard Henri-Levy, de Caroline Fourest ou de Philippe Val, toutes les personnes dont sont décrites les impostures ont une influence certaine dans le Paris qui compte. S’attaquer ouvertement à ces prépondérants, c’est prendre le risque de grosses représailles et de mise à l’index de la part de la majeure partie des médias qui font et défont les ventes d’ouvrages et les réputations d’auteur.

De quoi s’agit-il ? Comme il l’explique lui-même, Pascal Boniface ne s’attaque pas à des gens « qui se trompent » ou avec lesquels il ne serait pas d’accord mais bien à des experts, ou supposés tels, qui « trompent » leur auditoire de manière délibérée en ayant recours « à des arguments auxquels ils ne croient pas eux-mêmes pour mieux convaincre téléspectateurs, auditeurs ou lecteurs ». Et de préciser que ces « faussaires » peuvent croire à une cause mais emploient des méthodes malhonnêtes pour la défendre » et « fabriquent de la fausse monnaie intellectuelle pour assurer leur triomphe sur le marché de la conviction. »

A tout seigneur, tout honneur, commençons par BHL, qualifié par Boniface de « maître des ‘faussaires’ ». Il y a bien longtemps que l’on sait que ce philosophe « froufrouttant », pour reprendre l’expression de l’éditorialiste K. Selim est une imposture intellectuelle. On se souvient de ses papiers biaisés à propos de l’Algérie au milieu des années 1990 ou de ses prises de positions partiales à chaque fois qu’il s’agit d’Israël. Boniface, lui, rappelle que l’homme à la chemise blanche « a bâti sa carrière en maniant sans vergogne le mensonge » profitant en cela d’une exposition médiatique, mais aussi d’une grande fortune et d’une proximité avec les puissants « pour tenter, non pas de contredire, ce qui serait son droit, mais de faire taire, ce qui devient un abus, ceux dont les opinions ne lui plaisent pas. »

Ainsi, un nombre incroyable de mensonges jalonnent le parcours du « philosophe » de Saint-Germain des Près capable, par exemple, de confondre l’animateur Frédéric Taddeï avec le joueur de football italien Rodrigo Taddeï et de s’élever par écrit contre la prorogation de contrat du second en pensant qu’il s’agissait du premier… Rappelons aussi l’affaire « Botul » où, pour régler son compte à Kant (rien que ça !), BHL en appelle dans l’un de ses derniers livres aux « conférences aux néokantiens du Paraguay » ( !) d’un certain Jean-Baptiste Botul, ce dernier n’étant en réalité qu’un canular inventé par Frédéric Pagès, journaliste au Canard Enchaîné. Dans un pays normal, avec des contre-pouvoirs et une vraie éthique au sein des élites intellectuelles, une affaire comme celle de « Botul » aurait du discréditer à jamais BHL. Il n’en a rien été et l’homme continue de sévir, cherchant à faire taire tous ceux qui ne partagent pas son avis. « Dans la période récente, nul n’aura, à mon sens, autant desservi la vie intellectuelle et le débat démocratique que BHL, note Pascal Boniface. Et d’indiquer que, pour lui, BHL est « un peu le Ben Ali du monde médiatique. »

Comme indiqué au début de ce texte, d’autres personnalités très médiatiques sont éreintées par le livre. En Algérie, on comprendra aisément qu’il n’est nul besoin de trop s’attarder sur les pages consacrées à Mohamed Sifaoui, « pourfendeur utile de l’islamisme », et, peut-être, le seul Algérien au monde à avoir applaudi à l’intervention israélienne à Gaza en janvier 2009… On lira avec attention les chapitres consacrés à Alexandre Adler et à Frédéric Encel, deux personnalités omniprésentes dans les médias (plus pour le premier que le second) et dont le propos pseudo-objectif (pour les deux) et sous couvert de références académiques un peu exagérées (pour le second) ne sert en réalité qu’à défendre les intérêts d’Israël.

Un autre chapitre concerne Caroline Fourest, qualifiée par l’auteur de « sérial-menteuse ». Concernant cette grande pourfendeuse de l’islamisme, le livre montre bien ce mécanisme utilisé par nombre de ses pairs qui consiste à se faire un nom et une réputation en surfant sur l’air du temps (islamophobie, peur de l’islam, etc…) et en s’attaquant à quelqu’un qui aura du mal à répondre et à se faire entendre. Ce fut le cas par exemple avec Tariq Ramadan.

« En s’attaquant à ‘Frère Tariq’, note Pascal Boniface, Caroline Fourest sait pertinemment qu’elle va s’attirer les bonnes grâces d’une partie des élites politico-médiatiques, et notamment celles de Bernard-Henri Levy, premier pourfendeur de Ramadan ». Et d’ajouter que « Tariq Ramadan possède l’avantage d’être extrêmement visible et de n’avoir pas beaucoup d’appuis et de soutiens dans les médias. L’accusation pesant sur lui d’antisémitisme lui ferme la plupart des portes. Il ne pourra pas rétorquer. Ou si peu. » A ce niveau, et avant de terminer, le présent chroniqueur se doit de signaler qu’il ne connaît pas Pascal Boniface (ni Tariq Ramadan d’ailleurs) et que seule lui importe la nécessité de parler d’un ouvrage qu’il incite à lire pour ne plus se faire berner par des discours aussi omniprésents que malhonnêtes sur le plan intellectuel.

Terminons cette chronique par un autre sujet qui n’a pas grand-chose à voir (quoique…). J’ai lu avec consternation le « reportage » de Yasmina Khadra à Bahreïn (2) où ce dernier dédouane allégrement la monarchie absolue des al-Khalifa. Si des gens n’étaient pas morts Place de la Perle à Manama. Si d’autres n’étaient pas en prison. Si certains de mes amis bahreïnis, chiites de confession mais opposants laïcs au régime ne vivaient pas dans la hantise d’être arrêtés à tout instant-quand d’autres se sont déjà exilés à Dubaï -, j’aurais pu rire aux éclats devant ces pérégrinations digne d’un Mqidèche à Manama. Quand une telle inconsistance le dispute à autant de légèreté et d’obséquiosité, il n’y a rien d’autre à faire que plaindre l’intéressé, fut-il un écrivain au talent plus ou moins reconnu, et d’assurer à ses propres amis bahreïnis qui vivent dans la terreur depuis mars dernier, qu’il est des Algériennes et des Algériens solidaires de leur lutte contre une dictature qui tue, torture et persécute nombre de ses opposants qu’ils soient chiites ou non.

Le Quotidien d’Oran

(1) Les intellectuels faussaires. Le triomphe médiatique des experts en mensonge, Pascal Boniface, Jean-Claude Gawsevitch, 247 pages, 19,90 euros.

(2) BAHREIN: Ce que le mirage doit à l’oasis, L’Expression, 12 juillet 2011.

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