Contribution/ À « Zabor toute » ! Bon vent à Kamel Daoud

Redaction

Nous n’avons pas toujours été tendre avec l’auteur de Meursault contre-enquête,
particulièrement après son papier controversé « Cologne, lieu de fantasmes » vilipendant et enfonçant maladroitement des migrants ou exilés accusés d’attouchements sexuels, des actes regrettables pas toujours vérifiés et vérifiables, mais qui lors de la Saint-Sylvestre 2015-2016 outragèrent la ville allemande et blessèrent ses habitants.

L’ex-chroniqueur du Quotidien d’Oran recyclait alors les «(…) clichés orientalistes
les plus éculés», écrivaient 19 experts français eux-mêmes pris à partie par l’écrivain italien
Roberto Salviano venu, dans l’hebdomadaire Le Point du 09 février 2017, à la rescousse
du « persécuté » de l’heure. Depuis, ce dernier a trouvé d’autres bouées de sauvetage le
maintenant à flot face aux boulets de canon d’Ahmed Bensaâda, le responsable de Kamel
Daoud : Cologne, contre enquête (éd Frantz Fanon), et des permanentes répliques-ressacs
d’Abdellali Merdaci. L’universitaire constantinois reproche, au supposé protégé de la France,
d’İsraël et de l’Occident, d’être aussi l’encensé d’une intelligentsia parisienne citant son
patronyme dès que les arabo-musulmans font l’objet d’un torpillage en règle ou qu’il faut
s’apitoyer sur le sort des victimes aléatoires de fous de Dieu distillant leur haine et venin
terroristes au cœur des capitales européennes.

À vouloir trop encrer et ancrer les soubassements de l’extrémisme islamique, le sollicité des tribunes incendiaires se verra reprocher, à tort, des tendances ou relents islamophobes alors qu’il affirmait le droit de réfléchir autrement le religieux ou les préceptes essentialistes, manifestait l’envie de faire reculer les digues archaïques de l’incomplétude,
d’emprunter autre chose que les palliatifs-croisières du nationalisme vertueux endormi sur les transats de la martyrologie et les couches de commémorations-suppositoires censées faire baisser la fièvre d’une population sous perfusion.

Après avoir dérivé quelques temps à vau-l’eau, le touché, mais pas coulé, revendiquera ses İndépendances, compilation anti-purgatoire lui permettant de retrouver l’écume de la page blanche, de composer donc les chapitres de Zabor ou les psaumes (éd Barzakh et Actes Sud), roman avec lequel la rentrée littéraire se traduit en une virée promotionnelle à l’intérieur de l’Algérie, en un tour de chauffe le conduisant à la fin de ce mois d’août 2017 au point de rendez-vous de différentes villes (Constantine, Bejaïa, Bouzeguene, Tizi-Ouzou, Alger et Oran).

L’invité d’honneur y dédicacera les livres d’admiratrices et aficionados requinqués à la
vue d’un des dignes successeurs de Kateb Yacine, Mohamed Dib, Mourad Bourboune, Bachir Hadj Ali, Rachid Boudjedra, Anna Gréki, Assia Djebar, Nabile Farès, Youcef Sebti, Tahar
Djaout, Rachid Mimouni, Mohamed Arkoun ou Malek Chebel, scribes et penseurs aux
réflexions antérieures desquelles il se nourrit puisque ses propos sur une religion enkystée de nihilisme, le système militaro-capitaliste-étatique propagandiste et corrupteur, une femme algérienne atrophiée par les carcans du Code de la famille ou encore la libido d’autochtones en panne de rhétoriques amoureuses, s’inscrivent dans le déjà-là insufflé des producteurs de sens précités.

L’hypothèse farfelue de l’œil cosmique, qu’avancera exagérément (au profit de Daoud)
l’ancien Premier ministre français Manuel Valls, ne tient pas pour des rats de bibliothèques au courant de qui emprunte quoi et à quel moment. Ainsi, le don attribué au jeune héros (Zabor), celui de proroger la vie d’autrui à travers l’écriture, renvoie indéniablement au pouvoir de la compteuse (calculant la durée d’écoulement d’un sablier) et conteuse Shéhérazade, femme du sérail repoussant avec la seule parole la sentence de mort promise par son tyran. La transposition livresque s’attache à métamorphoser une femme en un garçon orphelin doté de forces exutoires et liberticides, capable de capitaliser de la durée existentielle, de défier les latences d’un ennui au fond duquel croupissent les rêves de changements.

Naviguant entre imaginaire, croyance, fatalisme, aveu et dénonciation, ce marin des
proses au long cours, que peut devenir l’enfant de Mesra, canote présentement sur le fil
aquatique de l’autobiographie pour, au plus près des passages héliotropes, suivre la côte
vermeille ou azur de l’espérance, atteindre le zénith d’une notoriété somme toute bien
méritée, n’en déplaise aux détracteurs déboussolés.

Saâdi-Leray Farid

Sociologue de l’art