Il y a quelques jours, le CNT libyen a annoncé la formation d’un gouvernement provisoire de transition. Monsieur Djabril est chargé de la concrétisation de ce projet. Mais très rapidement des tiraillements dans la « classe politique » libyenne quant à la composante, la représentativité régionale et le nombre de portefeuilles dudit gouvernement ont apparu. Les premiers réajustements effectués n’ayant pas recueillis le consentement de la majorité ont débouché sur une succession d’annonces et de reports, au fur et à mesure que des voix discordantes se faisaient entendre dont certaines visaient la tête de Monsieur Djabril en personne. La dernière déclaration du CNT étant carrément de remettre la formation de ce gouvernement jusqu’à la fin de la « libération » de tout le territoire des dernières hordes de l’ancien régime qui tiennent encore certaines localités et ce, conformément aux textes constitutifs du CNT.
Cette action que l’on peut qualifier par ailleurs « d’inconstitutionnelle » au regard des textes en question a conduit à une impasse prévisible. Pourtant, ni les « amis de la Libye » ni les libyens eux-mêmes n’exigeaient la formation urgente d’un gouvernement, d’autant plus que le CNT joue, de fait, ce rôle.
La précipitation des dirigeants du CNT à vouloir se doter de cette instance dans l’état insurrectionnel actuel était dictée à mon avis uniquement par le souci de satisfaction des « exigences » de l’Union Africaine et de certains autres pays dont le CNT « courtiseraient » la reconnaissance officielle. Dans mon article du 15/09/2011 où je faisais l’analogie avec la création du GPRA (Gouvernement Provisoire lors de la guerre d’indépendance algérienne), j’avais souligné : « le CNT commettrait une erreur fatale que de se précipiter dans la constitution d’un gouvernement provisoire de transition maintenant. Les dissensions apparaîtront inévitablement faisant dévier la Révolution de son objectif primordial, la fragilisant; ainsi, les brèches tant espérées par les pro-kadhafi s’ouvriront. »
Ce raté, imputable à l’absence de tradition politique et l’inhibition de toute initiative personnelle et collective instaurées par la Djamahiria durant quatre décennies, a non seulement engendré un manque de ferveur chez les révolutionnaires sur le terrain mais plus grave encore a réveillé les instincts de course au pouvoir de divers courants, chose normale en temps de paix et de stabilité. Aux portes de Syrte et de Ben Walid, les combattants pataugent, laissés pour compte, sans commandement lequel s’adonne apparemment plus aux jeux de coulisses qu’à la tactique militaire pour réduire les derniers bastions de Kadhafi qui, entre temps, s’est réorganisé et a retrouvé son souffle après sa défaite humiliante de Bab-El-Azizia. Certes, Kadhafi mène son dernier combat, le suicide collectif. Les poches de résistance tomberont, c’est une certitude mais à quel prix.
A la chute de ces deux villes assiégées, de l’extérieur par les révolutionnaires et de l’intérieur par les pro-kadhafi, le monde sera ahuri de découvrir les destructions occasionnées aux infrastructures et, surtout les massacres perpétrés contre les populations civiles qui manquent déjà du minimum vital. Cette fin sera pour demain comme elle peut durer des semaines. Il n’est pas à exclure que Kadhafi puisse utiliser des armes non-conventionnelles à la dernière minute pour emporter avec lui le maximum de vies. L’arsenal découvert à Sebha est effrayant. Voici pour le coté cour.
Côté jardin, à Tripoli et à Benghazi où la vie reprend son cours presque normal, loin des gémissements et des atrocités du front, les regroupements et pré-congrès se multiplient présageant déjà les futures formations politiques à naitre sur la scène libyenne. Les tractations ont déjà commencé. On entend par-ci, les libéraux et par-là, les islamistes. On écoute par-là, les berbéristes et par-ci, les chefs de tribus. On flâne par-là devant une exposition de peinture et on applaudit par-ci, à un récital poétique. Ce bouillonnement des rues de ces deux villes phares nous donne, à nous algériens, une impression de « déjà vu » : l’image de l’Algérie de juste après les événements d’Octobre 88. Il ne reste alors qu’à souhaiter que les libyens ne suivent pas le même chemin. Sauront-ils tirer les leçons de notre fâcheuse et tragique expérience ?
Si, dans le conflit libyen, l’Algérie n’avait pas adopté cette position de fausse « neutralité » plus par peur de contagion de la révolution libyenne que pour d’autres raisons objectives, elle aurait effectivement pu jouer le rôle de « conseillère » dans cette étape cruciale de transition. Les libyens auraient volontiers accepté une telle aide dictée et par le voisinage et, surtout, par la tradition algérienne de soutien aux peuples opprimés et aux cause justes. Bref, les temps ont changé, les idéaux et les hommes aussi et la diplomatie algérienne n’a plus la perspicacité ni la voix porteuse d’antan.
Le retrait de l’Algérie de ce conflit a laissé les autres nations comme la Turquie investir le terrain (Lire ma contribution). Mais pire encore et, c’est ce qui est plus inquiétant, on a vu les opposants algériens de la mouvance islamiste radicale à Tripoli en l’occurrence des représentants de Rachad, ce mouvement fondé par un certain Zitout réfugié actuellement à Londres. Il était attaché militaire à l’ambassade algérienne en Libye et avait rejoint le FIS dans les années 90 après désertion de son poste. Ce n’est sûrement pas pour accomplir une Omra à Bab-el-Azizia qu’ils sont en Libye. Leur mission est claire : « conseiller » leurs frères barbus qu’ils espèrent voir prendre le pouvoir. Ils trouveront ainsi une base arrière à leurs activités, Tripoli étant évidemment plus pratique et plus efficace que Londres. Il est même probable que des membres d’autres mouvements islamistes interdits autres que Rachd y activent déjà. Et comme le terrain est propice, je parie qu’on verra même nos autonomistes berbéristes algériens du MAK « conseiller » les euphoriques amazighs libyens ! Et nos baathistes nostalgiques, eux aussi, iront chuchoter aux oreilles de leurs homologues libyens ! Il faut espérer que les libyens aient l’intelligence de n’écouter que leurs propres voix.
Depuis que Seif de son père Kadhafi n’a plus sa télévision pour menacer du doigt les « rats », c’est la petite pharaonette de Aicha Kadhafi qui prend le relais. A peine rétablie de son accouchement qui a servi de motif au pouvoir algérien de leur octroyer – à elle, sa mère et deux de ses frères – l’exil « humanitaire », qu’elle s’est octroyée le privilège d’entrer dans la danse en lançant des appels à « sa » résistance depuis sa villa huppée payée par les contribuables algériens. Là dessus, la diplomatie algérienne a enfin réagi promptement mais il est temps que cette même diplomatie somme « ses invités », indésirables par la quasi-totalité des algériens, à se taire et surtout à leur trouver un autre pays d’accueil. L’Algérie, a assuré Monsieur Medelci, n’est qu’une escale transitoire. Mais plus leur séjour dure sur le sol algérien, plus on risque de les avoir sur les bras à jamais comme ce fût le cas pour le dictateur haïtien Jean Claude Duvalier réfugié en France officiellement pour une durée temporaire qui s’est étirée au final sur…25ans ! Que les Kadhafi qui ont abusé de cette « hospitalité » imposée aux algériens déguerpissent le plus vite possible. Ils ne peuvent que nous attirer des ennuis comme leur père qui, pour rappel, a toujours vomi l’Algérie.
Le gouvernement algérien qui s’est mis dans une position indélicate dès le début du conflit libyen essaye de sauver la face tant bien que mal en reconnaissant à demi mot le CNT, particulièrement depuis la reconnaissance de ce dernier par l’Union Africaine. Il n’est pas encore trop tard pour redresser la barre dans l’intérêt des deux peuples et la stabilité de toute la région. L’Algérie peut encore faire beaucoup de choses dans le domaine du véritable humanitaire au profit du peuple libyen martyrisé et coordonner les actions avec le nouveau pouvoir libyen pour juguler la circulation tout azimut des armes. Sinon, ces terrains laissés à tous les extrémistes de tout bord, Aicha et les autres, seront inévitablement des champs minés exposant toute la région à une déflagration des plus apocalyptiques.
L’échec n’est pas de corriger ses erreurs mais de persister à croire indéfiniment à leur bien fondé.
Barek ABAS