Comme l’année dernière, la procédure « Campus France » démarrera en 2017 par une prise de rendez-vous en ligne. Seulement, victime d’une affluence record (dépassant parfois les 700.000 connexions), le site internet de pré-enregistrement beuguera, l’incident bloquera l’ensemble de la plateforme et contraindra les postulants algériens à s’identifier non plus à distance, mais en se déplaçant au niveau de l’İnstitut français d’Alger (İFA), cela à compter du dimanche 29 octobre.
En concentrant involontairement sur cette seule journée les inscriptions au test de connaissance du français (TCF), un examen indispensable à l’obtention d’un visa universitaire, la diplomatie hexagonale révélera en pleine lumière le mal-être d’impétrants disposés à s’offrir coûte que coûte l’assignation à une vie meilleure ailleurs.
Jugées humiliantes et traumatisantes, les images montrant des centaines de jeunes venus, souvent de loin, s’agglutiner à proximité des grilles de l’ex-caserne Charon renvoyaient quelque peu à celles de l’avant chute du mur de Berlin, lorsque des germaniques prisonniers du rideau de fer trouvaient en août et septembre 1989 refuge dans les ambassades de la République fédérale allemande (RFA) domiciliées à Berlin-Est, Varsovie, Prague ou Budapest. Privés des plaisirs du consumérisme de masse, ceux-là souhaitaient gagner le camp occidental et capitaliste des ennemis du socialisme vertueux, s’éloigner des rationnements hebdomadaires orchestrés à partir de slogans sonnant de plus en plus creux dans la tête de devenus incroyants. C’est aussi parce qu’ils n’ont plus foi aux mots d’ordre de dirigeants hors-sol, que les bacheliers plombés par une politique rentière bénéfique aux clans de la nomenklatura tentent de rejoindre les 25.000 compatriotes déjà intégrés aux facultés de l’intelligence accumulée et émancipée.
İnterrogé par « EnnaharTV« , le ministre des Moudjahidine, Tayeb Zitouni, reliera leur envie d’exil, exprimée à la veille du 63ème anniversaire du 1er Novembre 54, à une planification préméditée par les suppôts de la main extérieure. En échos, le secrétaire général du Front de libération nationale (FLN), Djamel Ould Abbes, puis le président du parti El-Karama, Mohamed Benhamou, compareront (sur « EnnaharTV » et « El-Bilad ») les fuyards à des traîtres (apparentés à des harkis) ou à des khobziste (opportunistes mangeurs de pains frais), ce qui démontre le flagrant décalage existant entre de vieux tôliers du système de la mamelle et des aventuriers du savoir tapant aux portes d’une destinée plus alléchante. İls échapperont ainsi à un enseignement faussement supérieur, à des enceintes pédagogiques taraudées d’incompétences, et où les post-graduations se négocient sous couvert de trafics d’influence, fuiront la hogra (mépris) locale, les délits d’opinion basés sur l’intolérance, la xénophobie et l’anti-cosmopolitisme culturel.
Les divers gouvernements algériens ont depuis longtemps abdiqué face au fondamentalisme religieux et si lors de l’inauguration du Salon international du livre d’Alger (SİLA), l’actuel Premier ministre affirmera que la littérature peut servir à « Exporter l’image positive du pays », il savoure en réalité la vision de ces files d’attente (rappelant aussi les longues queues endurées aux abords des anciens souk-el-fellah), car sachant parfaitement que les candidats au départ ne gonfleront pas les rangs des marcheurs de rue, refusent de la sorte la lutte frontale pour prendre à la lettre le « dégagisme » cher au leader de la « France insoumise », Jean-Luc Mélenchon.
La nausée a eu raison de l’esprit nationaliste et les poussera donc vers l’unique artère de salut, celle du centre culturel de l’ex-colonisateur. Le flux d’aspirants prêts à escalader ce lieu et la vague d’indignation qu’il suscita ne sont pas, malgré la causalité avérée, les deux faces d’une même monnaie mais bien des pulsions dissemblables qui s’entrechoqueront jusqu’à éclabousser l’écran de tous les trompe-l’œil.
La France possède aux yeux des apprêtés à l’exode ce pouvoir d’attraction qui fascine et soulève concomitamment la haine des djihadistes nés dans la patrie de Voltaire. Puisque le chef de l’Exécutif, Ahmed Ouyahia, respecte, à l’instar d’Abdelaziz Bouteflika, les groupes islamistes armés (GİA) profitant des largesses de la Concorde civile, reconnaît par là même leur légitimité de combattant, qu’il accueille en Algérie les misfits (désaxés) et déglingués qui reviendront d’İrak, de Syrie ou de Libye. Le deal se soldera finalement en un simple échange de bons procédés : les fous de Dieu du côté sud de la Méditerranée et les mordus d’instruction sur sa rive septentrionale.
Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art
(*) Référence ici aux articles « Climats de France à Alger » et « La façon de s’approprier le S de Climats de France » (paru successivement en décembre 2016 sur le webzine Al huffington post Algérie puis en novembre 2017 sur le site culturel « Founoune ») ainsi qu’à un futur ouvrage également dénommé Climats de France à Alger.