Contribution/ Clap de fin pour le « contrebandier » Mahmoud Zemmouri

Redaction

Dans le pamphlet Les Contrebandiers de l’Histoire, Rachid Boudjedra épingle le cinéaste Mahmoud Zemmouri, notamment son film Les folles années du twist (1983-86) qui défend selon lui « (…) une vision néocoloniale et antinationale », tant il chanterait le bonheur des Algériens pendant la colonisation française.

Comme le roman d’Ali Boumahdi (1970), Le village des Asphodèles, le long métrage tourné à Boufarik, ville de naissance du metteur en scène, caractériserait « (…) le point de départ d’une idéologie algérienne du déni », puisque Français pieds-noirs et musulmans, « (…) passent leur temps à forniquer entre eux, à boire et à… danser ». En somme, les deux entités s’amusaient et s’accouplaient « (…) sur la terre altérée » que Kateb Yacine évoquait en 1946 avec le poème Soliloques. Souillé, le domaine des ancêtres devait faire l’objet d’une vaste entreprise d’assainissement, et par là même du recouvrement de la tradition, des mesures renvoyant à la purification religieuse au cœur de l’entendement politique du Programme de Tripoli (mai-juin 1962). Explicitement anti-cosmopolite, cette charte « christomatique » promouvra l’essentialisme d’une langue arabe à la sacralité coranique, c’est-à-dire indemne de toutes contaminations extérieures. Pour tous ceux qui se demandent encore d’où viennent les maux de l’actuelle société algérienne, voici donc mis en exergue l’un des principaux prolégomènes répulsifs menant extensivement à l’islamisme radical.

La revendication anti-pluraliste n’existait pas seulement dans l’esprit millénariste et rétrograde de salafistes enclins au repli originel ou à la fermeture sur soi. Elle rejaillira chez des intellectuels dits de « gauche » admonestant ou raillant des confrères épris de littérature française et dont il fallait absolument rafraîchir le cerveau encrassé de manière à les ramener sur le droit chemin de cette « (…) culture populaire, en laquelle s’est longtemps incarné l’espoir de la nation, même si par la suite une certaine décadence de ces formes s’est produite sous les influences étrangères ». Les termes du manifeste aouchem (tatouage) de mars 1967 faisaient des Phéniciens, Romains, Grecs, Turcs et Français les responsables de la pollution culturelle des couches sédimentaires, de la violation d’une souche prude de laquelle sera néanmoins extrait un signe-symbole préservé des infections intruses. Les peintres « Aouchemites » entretiendront de la sorte également l’idée d’archétypes incandescents non profanés.

La croyance en des valeurs esthétiques entièrement saines a servi à valider l’uniformité du récit de la Grande histoire de l’art, à refuser le métissage des médiums, à manifester l’apologie d’une préséance génitrice par la négation des interlocutions culturelles rapprochant l’Orient de l’Occident. Maintes fois, le scénariste de 100% Arabica laissera au contraire entendre une circulation des affects entre les deux rives de la Méditerranée.

À la préoccupation similaire, sa comédie Les folles années du twist éloignera le spectateur des projections sanctifiant l’Homme révolutionnaire lavé de toutes les scories exogènes, du formatage mental au sein duquel, à l’instar de moult marxistes-léninistes, l’auteur de L’Escargot entêté reste engoncé, au point d’ailleurs de revêtir les apparences du fondamentaliste qui s’ignore. İl entretient le discrédit des chantres de la non acculturation, de la non confusion de l’espèce, de l’homogénéité de la « Umma islàmiyya », alors que son rôle de créateur est de tester le transgressif, un pouvoir de rupture indispensable à l’éthique de singularité.

Ce pseudo-lanceur d’alertes réplique à satiété les assertions de Mostefa Boutefnouchet, chercheur incitant les universitaires à dresser « (…) des frontières, entre le contenu culturel des pratiques considérées authentiquement, spécifiquement nationales, et le contenu d’œuvres réalisées par des nationaux, mais empreints de traits culturels de l’idéologie dominante en pays occidental, déployant leurs influences néocoloniales sur les jeunes nations cherchant à consolider leur personnalité, leur identité, leur culture » (in La culture en Algérie, Mythe et Réalité, 1982). Obnubilé par « Le parti de la France », Rachid Boudjedra dénoncera à la suite des protagonistes « (…) affirmant non seulement leurs regrets amers de n’être plus “les enfants de la patrie française”, mais aussi leur terrible nostalgie et leur malheur inconsolable de n’être plus que des citoyens algériens » (in Les Contrebandiers de l’histoire, 2017).

La génération du spécifique à laquelle il appartient a fabriqué les images mystificatrices du « Héros pur », favorisé les vecteurs de l’ancrage, de l’açala (authenticité) virginale non poreuse car non-imprimée du nuancier polysémique qui colorait autrefois les rues de Bab-el-Oued, biotope des Espagnols, İtaliens, Maltais, Arabes ou Kabyles, et aussi bastion communiste, précision que Boudjedra préfère oublier afin de concentrer quelques diatribes sur des réalisateurs aux penchants hédonistes.

Amoureux des plaisirs de l’existence, Mahmoud Zemmouri nous a quittés le samedi 04 novembre 2017. Qu’il repose en paix en Algérie où son corps sera rapatrié ce mercredi 08 novembre 2017.

Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art

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