Nous avons marché pour la liberté, la dignité et la justice en Algérie
Nous n’avons marché ni pour l’islam ni la laïcité
Encore moins pour le sionisme et l’impérialisme, dont nous sommes des détracteurs notoires. Paroles d’Algériennes et Algériens.
En janvier et février 2011, des Algériennes et Algériens se sont retrouvés dans les rues de Montréal, par un temps glacial, pour dénoncer la répression dont étaient victimes leurs compatriotes qui manifestaient en Algérie depuis le début du mois. La révolte venait de faire 5 victimes parmi la jeunesse désespérée et des centaines d’arrestations. Pour qui connait le pays, cette situation n’était pas nouvelle et pourrait n’être qu’une énième révolte ou émeute qui ponctuent la vie des Algériens sans aucune conséquence pour le pouvoir. Que de fois n’avait-t-il pas foulé les aspirations du peuple et marché sur les corps des victimes sans provoquer d’indignation susceptible de menacer, ni même de remettre le moindrement en cause, sa mainmise sur le destin du peuple.
Pourtant cette fois, en ce début de l’année 2011, les choses semblaient bien différentes, car les cris des Algériens étaient mêlés au concert de révoltes populaires qui envahissait la région du monde arabe et ébranlait ses dictateurs, pour la plupart, vissés au pouvoir depuis des décennies. Pour la première fois dans l’histoire de cette région, les peuples se réapproprient les espaces publics et reprennent leurs droits à la parole, s’inspirant les uns des autres, pour revendiquer collectivement leurs droits citoyens mis sous séquestres par les régimes.
Pour la diaspora dont nous sommes, nous ne pouvions pas rester passifs ou indifférents aux revendications des nôtres pour le droit à la citoyenneté, celle-là même dont nous jouissons dans les pays démocratiques et qui est déniée aux peuples du monde arabe. Ne pas marcher avec eux équivaut à renier les valeurs universelles des droits humains et à leur refuser l’accès à cette citoyenneté.
Pas question pour nous de taire leurs aspirations, ni de leur tourner le dos. Aussi avions-nous résolu dans le cadre d’un collectif, créé pour la circonstance, au-delà de toute appartenance idéologique ou religieuse, de joindre nos voix d’Algériens à celle de notre peuple et d’exprimer notre solidarité avec son combat pour la justice, la dignité et la liberté sous le ciel d’Algérie. Alors, mus par le désarroi des nôtres et portés par la vague d’espoir d’une meilleure vie pour eux, nous avons marché et scandé à l’unisson la fin de la dictature et l’avènement d’un état de droit.
Nous avons espéré pour notre peuple lointain, un peu de cette citoyenneté que nous avons découverte dans les pays démocratiques et qui donne, malgré toutes ses imperfections, un sens à la vie. Cette citoyenneté qui cultive dans le cœur des gens un puissant sentiment d’appartenance à un peuple, à une histoire, à une culture, bref, tous ces repères d’identité, indispensables à la pérennité d’une nation.
Nous avons marché pour que les nôtres puissent accéder un tant soi peu aux droits que confère véritablement la démocratie, qui n’est ni le « kofr » des islamistes, ni celle de façade des dictateurs et leurs alliés. Une démocratie ouverte et tolérante que chacun apprendra à respecter parce qu’elle sera précieuse à ses yeux. Elle sera forte par le droit qu’elle impose et la justice qu’elle instaure. Elle sera grande parce qu’elle nous libère, et elle sera belle parce qu’elle nous inspire cette créativité propre à l’humain et qui est aussi vaste que l’infini qui nous entoure.
Nous avons marché pour cette démocratie que nous pratiquons quotidiennement, qui n’est certes pas parfaite, tout comme l’humanité, mais qui a le mérite d’offrir une certaine justice sur terre, versus l’impunité des régimes totalitaires qui ne laissent à leur peuple que la résignation et l’espoir de la justice divine.
Oui, nous avons cru, et nous croyons toujours, que les nôtres ne sont pas nés pour une vie de sous-citoyens. Que nous n’avons pas le droit de nous taire quand nous les savons maltraités, battus dans les commissariats, humiliés par l’administration, corrompus ou réprimés par les gouvernants et aussi écrasés et pillés par les grandes puissances.
Un an plus tard, alors que des changements se sont produits dans différents pays concernés par les révoltes, le bilan en Algérie est plutôt décevant, dû notamment à la faiblesse de la mobilisation populaire et donc de la pression de celle-ci sur le pouvoir. À l’exception de la hausse des débours consentie par le régime pour satisfaire la grogne sociale et calmer les esprits, aucune concession qui vaille n’a été faite pour satisfaire les revendications qui remettent en cause le système politique et son mode de gouvernance. Si bien que le tableau politique du pays est resté exactement le même qu’en 2011, alors que des régimes entiers ont été emportés par les révoltes populaires dans les autres pays. Alors que les divers courants de « l’opposition » peinent à se parler et perpétuent leurs divergences, le pouvoir s’est soudain doté d’un discours de compassion envers le peuple en reconnaissant ses souffrances et mieux encore en déclarant que les Algériens avaient fait leur révolution, bien avant le printemps arabe entamé par les Tunisiens. Mais, ce qu’il ne dit pas, et qui fait toute la différence entre la Tunisie et l’Algérie, c’est que contrairement aux Tunisiens, le peuple algérien est toujours sous le joug des généraux, et ce, en dépit des énormes sacrifices consentis. En fait, bien plus de sacrifices, qu’aucun autre peuple de la région.
Pourquoi donc ce statu quo qui dure contre tout bon sens? Question de discernement, ou faut-il penser que le pouvoir algérien est passé maître de la prestidigitation et qu’il a réussi à faire croire aux Algériens qu’il veille à leurs intérêts et se soucie soudain de leur sort? Quelle bonne nouvelle, serions-nous tentés de dire d’une telle perspective d’apaisement puisqu’elle promet de remettre la souveraineté populaire au cœur du pouvoir. Enfin, les Algériens vont se sentir maîtres chez eux, choisir leurs élus, juger de leur gouvernance et les démettre au besoin pour non respect du programme convenu. S’installera ensuite la dynamique de l’alternance qui suffit à changer autant les mœurs politiques, que la perception que se fait le peuple de sa capacité à changer les choses. Fini le temps du bourrage des urnes, des sièges achetés, de la présidence à vie, des ministres coptés et de l’assemblée de rentiers, brève toute cette cour du roi Pétrole, qui règne sur un pays chaotique et un peuple désemparé.
Malheureusement, cette heureuse perspective semble aussi chimérique que les moults promesses faites par le pouvoir. Comment y voir un quelconque engagement des pouvoirs publics, si un an après les révoltes du 5 janvier et les changements drastiques opérés dans les pays voisins, la situation continue de se dégrader en Algérie sous la poigne de fer d’un régime qui persiste à gouverner seul. La grogne sociale est partout présente et aucun mouvement politique ne semble en mesure de la canaliser pour prévenir la menace de son explosion. Entre ceux qui se préparent aux élections sans trop y croire, ceux qui n’y voient qu’une farce du pouvoir et la majorité qui ne croient plus en rien, l’incertitude semble de mise, d’autant que le pouvoir poursuit sa fuite en avant, peu préoccupé du désarroi collectif qui a fait de la rue, son moyen d’expression, malgré la répression tous azimuts. L’année 2012 s’annonce à la fois comme celle de tous les possibles, advenant que l’Algérie parvienne à une transition pacifique vers la démocratie, autrement, celle de tous les périls, si le régime persiste dans son obsession à garder le pouvoir en sacrifiant tout le reste. Notre espoir pour ce pays est trop fort pour périr. Dieu nous entende et fasse que l’Algérie échappe aux menaces qui pèsent sur elle et la préserve de l’aveuglement du régime en place.
Zehira Houfani Berfas