La tribu des séniles

Redaction

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Dans la page culturelle du n° 6362 du journal arabophone Al Khabar, en date du 22 mai, le journaliste Allaoua Hadji a signé un compte rendu d’une conversation avec le journaliste et écrivain Tahar Ben Aicha outrageusement titré : « Si la Kahina n’était pas assassinée, nous n’aurions pas été musulmans. ». Et d’ajouter : « Mammeri est plus kabyle qu’algérien ». Voilà un titre qui dit long sur le malaise identitaire qui ronge l’Algérie et aussi le malaise qui ronge aussi cette p(a)resse peu soucieuse du sens éthique et déontologique qu’exige ce métier.

Il n’est peut être pas nécessaire de faire l’historique des charges contre Mammeri même si certains rappels sont essentiels dans ce pays devenu terre d’oubli et d’amnésie. En effet, depuis la publication de la Colline oubliée en 1952, Mouloud Mammeri a été violemment attaqué aussi bien dans la presse que dans l’université; jaloux de sa liberté, cet homme avait horreur des embrigadements.

Pour rappel, l’article de Kamal Belkacem l’accusant des pires ignominies en 1980 dans El Moudjahed, la déclaration d’Abdellah Hamadi qui a dit lors d’un colloque sur la traduction que « Dib et Mammeri ne représentaient pas la littérature algérienne », compte rendu publié par le même journal dans son édition du 6 décembre 2008 et signé par Said Khatibi, sont autant de fouets de diffamation que ce brillant romancier a dû subir durant un parcours singulier fait d’intelligence et de dignité .

Lorsque Mouloud Mammeri revient dans une presse, – servile et irresponsable-, pour être non pas salué pour ses qualités d’homme de culture et d’écrivain parce que l’Algérie a besoin précisément des êtres de cette trempe pour survivre aux différents cataclysmes qui la secouent, mais plutôt pour lui dénier son algérianité comme s’il était du ressort de certains de décréter ou refuser l’algérianité de certains hommes qui n’ont pas fait carrière dans la démagogie et le parjure.

En lisant cette conversation qui se voulait une visite surprise pour cet homme afin de lui rendre hommage même si le journaliste avait expressément et « consciencieusement » préparé ses questions , le lecteur est aussi convié à une surprise : Découvrir le nouveau patron de l’algérianité d’autant plus que ses derniers temps, la question du nom a refait surface dans certaines régions d’Algérie, à Tizi Ouzou notamment avec le refus d’inscription dans les services de l’état civil des prénoms autres que ceux imposés par la nomenclature officielle. C’est dire que l’urgence et la gravité des choses ont inspiré le journaliste à faire parler cet homme et honorer ainsi la parole sage . Donc à accomplir ce métier qui doit éclairer les consciences et changer le cours des choses puisque la conjoncture s’y apprête.

Les indéniables qualités du patron de l’état civile sont minutieusement prouvées par Tahar Ben Aicha puisque il se livre à une démonstration magistrale d’anthroponymie en expliquant l’origine et la signification des prénoms de ses propres enfants, c’est dire que la culture est en rendez vous et quelle culture !!! Mustapha Lacheraf aurait renié son célèbre et beau livre Des noms et des lieux. Mais vite l’on découvre une chose qui invite à une sérieuse réflexion : Ce désir de meurtre et de violence, en somme l’apologie du crime qu’un nom inspire, eh oui, Abdekebir Khatibi avait bien rappelé l’importance de cette question du nom dans son magnifique essai La blessure du nom propre . En baptisant son fils Zohair, Tahar Ben Aicha dit l’avoir fait pour faire renaître l’assassin de Kahina, -iconoclaste de notre l’histoire qui a refusé de se soumettre et dont le chant est à maintenir -, Zahir Ben Qais El Baloui. Ceux qui ont choisi le prénom d’Oussama après le 11 septembre doivent bien s’y identifier et aussi ceux qui refusent des prénoms à d’autres algériens doivent découvrir la haine qu’ils ont d’eux même.

Pour cet homme infatigable, Mammeri « est habité par la kabylité, est plus kabyle qu’algérien et nationaliste », rapporte le journaliste.

II n’est pas important de rappeler le rôle déterminant de Mammeri notamment dans la rédaction des lettres adressées à la délégation du FLN (le vrai) à l’ONU entre autres , ou bien son travail de réhabilitation des cultures populaires ; Mammeri n’a pas fait de ça un métier ; il nous a légué une œuvre immense qui aidera les algériennes et algériens à être et à vivre pleinement sans faire appel à de fausses sécurisations et surtout à parler et avec quel style, des « veines (qui) charrient la servitude sédimentée » et d’insister sur la nécessité « d’essorer(z) l’esclave de vous ».

Cela rappelle aussi les propos du premier président Ahmed Ben Bella qui rappelait récemment dans Jeune Afrique ( n°2626 du 8 au 14 mai 2011) que « comment pourrais je penser autrement alors que, même si je suis né en Algérie, même si j’y ai vécu, même si j’ai été le chef de la révolution algérienne, ma mère et mon père étaient tous deux marocains » p 64 et d’ajouter un peu plus loin « même si je respecte Ait Ahmed, bien qu’il ait été souvent beaucoup plus kabyle qu’algérien ». Amadou Hampâté Bâ a certainement raté l’occasion de faire une œuvre aussi succulente que L’étrange destin de Wangrin sur le président du Comité des sages de l’Union africaine et sa meute et dont le titre pouvait bien être Légende de la tribu des séniles !!!

Cela révèle que l’Algérie est encore piégée dans sa propre histoire et que sa réconciliation avec elle même passe par un travail de dépollution plurielle. Car la crasse est encore épaisse et ce n’est certainement pas cette façon de faire de la culture que l’Algérie sera enfin possible. Le pays a besoin de ses enfants, ses femmes et ses hommes pour survivre à tous les pièges. Et la presse serait et doit être un lieu propice pour en parler. Al Khabar doit se souvenir de l’appel du FIS qu’il a publié en 1992 « appelant les soldats algériens à ne pas obéir aux ordres de leurs supérieurs » à un moment où le pays est mis à feu et à sang. Et comme l’écrit Jacques Le Goff : « La mémoire ne cherche pas à sauver le passé que pour servir au présent et à l’avenir. Faisons en sorte que la mémoire collective serve à la libération et non à l’asservissement des hommes ». Ainsi, le cinquantième anniversaire de l’indépendance algérienne trouvera, peut être, un sens.

Par Azeddine Lateb, Étudiant