L’Algérie, un pays d’ultra droite ? (2ème partie)

Redaction

Il ne pouvait y avoir meilleure introduction à cette seconde partie que le message envoyé par « Vujema Vujebla » en réaction à la première. Cette personne écrit : « …/… On a drogué la société par l’idée d’argent qu’il faut corriger au plus vite sinon les gens vont vendre leurs parents pour en avoir. Car on est une société très solidaire aux pauvres depuis des millénaires jusqu’à présent…/… ».

 

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Aucune autre affirmation ne pouvait justifier le présent article avec autant de sincérité. Dans cette complainte, par laquelle on ressent une profonde nostalgie, il y a en même temps l’affirmation d’une terrifiante réalité sociologique et le reste d’un rêve nourri par les idéaux d’une révolution et d’un fond religieux totalement perverti et détourné.

 

Et c’est bien là le drame, l’Algérie continue à se rassurer de son idéal de gauche tel que nous l’avions défini dans la première partie. Nous avions rappelé que si la gauche et la droite se sont toujours contredites elles-mêmes dans l’exercice du pouvoir, surtout lorsqu’il était autoritaire, les valeurs de chacune d’elles restent présentes dans l’âme des populations qui projettent leurs opinions et leurs rêves. La gauche fut pour l’Algérie un projet, une promesse d’avenir et un souffle d’espoir.

 

Même avec la religion, l’Algérie continue d’avoir ce rêve que la gauche catholique a eu pendant longtemps car les valeurs de la religion sont, lorsqu’on les respecte avec intelligence et non d’une manière stupide ou idolâtre, le message parfait de l’idéologie de gauche. Et si nous faisons abstraction de la croyance, partagée ou non par les uns et les autres, ces valeurs de fraternité, d’égalité et de partage restent un idéal commun.

 

En nous replaçant dans les critères définis précédemment, le résultat est sans appel, ce pays se place à l’ultra droite de l’échiquier. Pour se réveiller à cette vérité, suspectée mais jamais prononcée, il faut auparavant relever un malentendu de l’histoire crée par le souffle de la libération nationale, à un moment historique où les mouvements politiques de gauche l’ont portée au sommet de ses aspirations.

 

La gauche et l’Algérie, une rencontre fortuite

 

C’est surtout au lendemain de la seconde guerre mondiale que l’idée de gauche, telle que nous la définissons aujourd’hui, traverse les peuples, depuis les métropoles jusqu’aux colonies. Jusque là établie au pouvoir en Union soviétique, la gauche trouve une voie d’expansion mondiale.  Tout d’abord par la colère du monde ouvrier, de plus en plus conscient de sa force mais aussi par celle des peuples opprimés au sein des colonies.

 

Deux consciences des peuples se sont ainsi rejointes, celle de l’ancien monde et celle qui venait de se réveiller à la liberté, afin de lutter pour un même idéal, ce qui fut fait dans les années soixante. Sauf quelques rares voix de droite, l’essentiel du soutien aux mouvements armés puis gouvernementaux venaient des partis communistes qui étaient puissants à ce moment de l’histoire. L’Algérie n’oublie pas pour autant que c’est tout de même un Président du conseil socialiste qui envoya les troupes pour protéger l’intérêt colonial. Et il est toujours difficile de penser que l’un des personnages iconiques de la gauche, Jules Ferry, ait été dans un gouvernement colonial et que ses propres idées frôlaient ce que nous qualifierons de racisme d’ultra droite de nos jours.

 

Nous l’avions déjà précisé dans notre première partie, les notions de gauche et de droite n’ont pas eu un destin conforme aux caractères que nous leur prêtons en théorie. D’autant que les mouvements de gauche ont de longue date connu une scission importante qui perdure encore entre les tenants d’une gauche orthodoxe et une gauche tentée par la dérive droitière et nationaliste. Ce n’est donc pas nouveau. En revanche, les idéaux de gauche et de droite, dans leur conception pure et originelle, restent des objectifs revendiqués car ils ont ont du sens pour les peuples.

 

L’Algérie sera ainsi toujours reconnaissante à un jeune homme mort pour sa libération, un communiste qui avait défendu la dignité d’un peuple se voulant libre et dont une place d’Alger porte le nom, pas loin de l’université, symbole d’une certaine libération des esprits (du moins le croyait-on à l’époque). Il n’y a donc pas de surprise à ce que tous les mouvements de libération aient souscrit à l’idéal de la gauche et se sont qualifiés comme tel. Mais cet idéal a vite pris un autre chemin, celui de la dictature militaire et de l’alliance avec l’Union soviétique qui ne fut vraiment pas le modèle de la démocratie et de l’humanisme.

 

Mais en plus d’une rencontre historique et stratégique avec la gauche, rappelons que cette dernière a le beau rôle dans l’histoire lorsqu’on s’en tient à l’exposé brut de ses objectifs. L’égalité, la liberté et la redistribution sociale pour la plénitude d’une citoyenneté des Hommes, qui pourrait ne pas adhérer à ces idéaux, surtout lorsque la nation vient de se libérer d’un carcan colonial ?

 

Au-delà de cette circonstance historique et probablement d’une adhésion sincère au projet humain de gauche, l’Algérie est-elle et a-t-elle été de gauche ? Rien n’est aussi faux si l’on reprend un à un les critères qui fondent la division des deux idéologies.

 

L’enracinement religieux, un ADN de la droite

 

         Nous l’avions dit, le message religieux n’est pas en soi l’ennemi de la gauche, il en partage même certaines profondes valeurs d’humanisme. Mais nous savons que les rois de France s’étaient construit un lien avec la puissante Église à des fins de domination aveugle. Or la droite mondiale continue à fonder son projet de société sur un idéal religieux détourné.

 

Dès la lecture de la constitution algérienne, l’idéologie de droite trouve son compte puisqu’il y est fait référence au divin, source suprême de la norme juridique la plus élevée. Personne ne peut enlever aux algériens ce choix volontaire et profondément ancré dans les âmes mais il faut admettre que ce n’est pas exactement une valeur de gauche. Qualifier les choses selon des critères établis et rappelés à longueur d’articles par les journalistes algériens concernant les droites étrangères, n’est donc pas une faute morale lorsque nous les appliquons à l’Algérie, c’est une constatation.

 

L’Algérie s’inscrit donc dans une droite affirmée, dès la lecture de sa constitution. Mais lorsque cette fameuse stipulation « liberté des consciences » qui a du mal à trouver sa réalité n’occasionne que procès, insultes et maltraitances envers nos compatriotes qui expriment une autre opinion, on peut parler d’une correspondance historique avec l’ultra droite. Les procès de la Sainte inquisition ne revendiquaient pas autre chose que le châtiment suprême de l’impie pour toute interprétation des écritures qui n’était pas validée par elle.

 

Aucun homme de droite n’ose affronter cette affirmation, car honteuse et contraire aux valeurs des droits de l’homme. Ce sont les partis d’extrême droite qui osent s’affranchir de la barrière morale en prononçant haut et fort l’héritage confessionnel de ce qu’ils estiment être le pays éternel. Et tout ce qui n’est pas dans cette norme ne peut revendiquer la citoyenneté et court de graves risques de rejet violent.

 

La gauche est souvent revendiquée car elle a le beau rôle dans l’expression du bien et de la liberté mais on ne peut qualifier de gauche ce qui lui tourne le dos. Les communistes, si l’on retient une des formes puissantes et historiques de la gauche, ont interdit les religions et ont fait du culte un acte répréhensible pénalement, jusqu’à la mort pour certains. Certes, ils ont remplacé une religion par une autre et les prophètes par des secrétaires de parti nommés à vie, mais sans vraiment en assumer la supercherie.

 

Tout ce qui découle par la suite provient donc du positionnement initial des révolutionnaires de 1789 pour ce qui est de la sémantique droite/gauche, passons les en revue et continuons de tester le positionnement de l’Algérie.

 

L’ordre, une valeur constante de droite

 

L’idée de l’ordre royal, remplacé de nos jours par l’ordre militaire et policier est, sous réserve des contradictions historiques déjà énoncées, l’un des caractères les plus forts qui opposent les deux mouvements politiques. La droite est pour le conservatisme d’un ordre établi, c’est constant dans l’histoire.

 

Et si nous prenons objectivement le régime algérien depuis 1962, ce n’est pas exactement ce que l’idée de gauche suggère mais bien les partisans d’une droite musclée. Nous irions jusqu’à l’assimiler à l’extrême droite sans risque d’exagération. Pour la droite, le pouvoir est vertical, le chef est le guide et toute autre expression qui déroge aux normes de la patrie ancestrale, c’est à dire blanche (gauloise diront certains) et catholique, sont à rejeter ou à condamner à une soumission brutale.

 

L’Algérie est inscrite dans un mouvement d’ultra droite avec des chefs nommés à vie, dont la verticalité du pouvoir ne fait aucun doute. Il n’est pas utile de lire la constitution algérienne pour s’en convaincre, un illettré s’en serait rendu compte depuis longtemps. Le chef est entouré de rites, de célébrations et incarne la vérité absolue d’un peuple entièrement soumis. Si ce n’est pas l’extrême droite, il faut alors inventer une autre formulation pour la définir.

 

Nous venons, par deux fois, de constater que notre pays a ouvert des camps, ce qu’il est toujours prompt à pointer d’un doigt accusateur lorsque ce sont les « autres » qui osent cette ignominie, à Gantanamo ou à Calais. La première, nous l’avions violemment combattu au sein de l’exécutif national du FFS lorsque les militants du FIS avaient été parqués dans le désert, dans des conditions inhumaines et, comble de tout, surveillés par les officiers de la sécurité militaire, l’exemple parfait des valeurs de liberté, de démocratie et de tolérance. Des bêtes sauvages allaient engendrer d’autres bêtes sauvages, encore plus violentes, cela n’a pas tardé. Et voilà que notre pays ouvre, pour la seconde fois, un camp de rétention pour les immigrés venus d’Afrique subsaharienne.

 

Et si la gauche, dans sa version déviante par le communisme, a fait la même chose, l’Algérie ne peut absolument pas revendiquer l’idéal originel de cette gauche par l’ouverture de camps. Continuons d’aborder les autres critères distinctifs de la gauche et de la droite appliqués à notre pays, ce n’est pas plus encourageant.

 

Le conservatisme sociétal, un réflexe de droite

        

Quant au positionnement sociétal de l’Algérie, quelques lignes suffiront, pas la peine de s’étaler sur l’évidence. Il faut se reporter à la lecture du code de la famille, un texte horrifiant que l’auteur a fustigé violemment tout au long de ses articles. Sa colère est profonde lorsqu’il sait que ses anciens camarades de génération brillent de leur silence coupable. Eux qui prônaient leurs idéaux progressistes aussi longs que leur coupe de cheveux de l’époque et qui arboraient le pendentif Peace and Love décollé des vielles Mercedes. Ce que je n’avais pas fait, par pudeur face à  l’exagération et au ridicule, mais au moins j’en avais perçu le vrai sens, pas celui d’une démonstration de mode exhibitionniste.

 

Aucun catholique extrémiste de droite ne pourrait renier un seul des articles monstrueux qu’il y trouvera (à l’exception de l’article 8, pourtant un chef d’œuvre). Le code de la famille est la blessure suprême de l’Algérie, pire que le régime militaire car c’est avec de pareilles horreurs que ce régime perdure, pas tant par les armes.

 

Ces pauvres communistes qui ont porté les valises et ont pris des risques énormes pour la lutte de libération algérienne, il ne faut pas leur montrer cette atrocité contre la femme car ils auraient une crise cardiaque. On peut tout leur reprocher dans l’histoire mais pas celle de l’inégalité dans les droits des sexes, même si ce sont des hommes qui étaient au premier rang, ce qui était le propre de la génération passée. Non, le code de la famille algérien est tout sauf un texte de l’humanisme de gauche, lorsque celle-ci est dans son interprétation originelle.

 

La pureté de l’origine et le racisme ordinaire, une dérive de l’ultra droite

 

Lorsque nous étions enfants puis adolescents dans les années soixante-dix, nous avions parfaitement conscience du racisme ordinaire de nos grands-parents. Il était violent, non dissimulé et sans cesse dans les paroles. Nous ne leur en voulions pas car nous les aimions puis parce qu’ils avaient deux excuses légitimes.

 

La première est le manque d’instruction et nous savons combien l’ignorance sur « l’autre » peut être mauvaise conseillère. Mais nous savions aussi qu’ils n’avaient jamais connu de « l’autre » une quelconque mansuétude en ces moments de colonisation. Il n’avaient une image de cet intrus sur leur terre que celle du rustre, du dominant ou du faux humanitaire. Ils ont été humiliés et parqué dans la dernière catégorie des êtres humains, souvent en esclavage. Comment pouvaient-ils avoir un autre ressentiment ?

 

Mais ils est vrai qu’ils avaient les même mots pour qualifier «l’autre » du village voisin, de la région lointaine ou d’une famille qui n’était pas la leur. Et ne parlons pas de ceux qui avaient également une autre langue, une autre culture. Un réflexe qui est du aux mêmes causes profondes de l’ignorance et de la crainte.

 

Tout cela est vrai mais nous sommes en 2016 et les petits-enfants qui n’ont connu que la rente pétrolière, les chaussures Nike et le smartphone, sont tentés par le même discours. Il suffit pour s’en convaincre de visiter quelques forum sur Internet et le sang se glace dans les veines. Des atrocités sont exprimées sans aucune retenue mais avec l’anonymat du pseudonyme. Ils sont pires  car, eux, contrairement aux anciens, savent qu’il faut se cacher pour proférer des monstruosités. Leur instruction ne les a pas protégés du racisme mais seulement de celui de la honte car ils en ont au moins conscience.

 

Le racisme et la pureté de la race sont des dérives de la droite qui, lorsqu’elles sont un mode de réflexion naturelle ou de programme politique, atteignent les sommets de l’ultra droite. C’est ce qui s’est passé avec les mouvements fascistes, catholiques et nationalistes d’avant guerre ou avec des organisations qui reviennent à la lumière en ce moment en Europe, les héritiers d’un même mouvement qui semble se régénérer.

 

La colonisation a protégé un temps l’Algérie d’être suspectée d’ultra droite, elle ne peut se  prévaloir indéfiniment de cette protection. Les arabes, les juifs, les kabyles, les noirs et autres bons mots dans la bouche de la jeunesse, c’est la certitude d’une société fasciste qui croulera sous le poids de sa propre honte comme se sont écroulées toutes les sociétés qui prenaient ce chemin. Mais pour l’instant, il est une certitude, ce sont des valeurs de l’ultra droite.

 

L’Algérie a crée toutes les compatibilités pour se cacher du véritable chemin qu’elle a pris. L’Islam a été compatible avec le régime socialiste le plus orthodoxe, il l’est maintenant avec un système de libéralisme sauvage. Ce n’est pas lui qui est en cause, puisque manifestement pas modifié dans son texte, mais celui de son interprétation par le tout venant, en fonction des intérêts du moment.

 

Le régime militaire a été compatible avec les milliardaires, le haut fonctionnariat avec la création des comptes offshore, le nationalisme avec l’ouverture au monde à leurs propres enfants, pas aux autres et ainsi de suite.

 

C’est tout à fait surprenant que dans notre jeunesse nous avions été traités de tous les noms pour avoir été des francophones, bien malgré nous. Puis nous avions été insultés de traîtres à la patrie socialiste et de vendus aux idéaux d’une soi-disant liberté à la solde de l’impérialisme occidental. Et enfin, à un âge adulte, d’impie indigne face à la foi de nos ancêtres et voués à l’enfer.

 

Finalement, ceux qui aiment ce pays avec passion, sans contrepartie et avec de réelles ambitions de gauche, c’est bien nous. Étonnant !

 

 

SID LAKHDAR Boumédiene

 

Enseignant