Le port du voile en Occident : ne nous laissons pas piéger par Ferial Furon

Redaction

Je veux m’exprimer en tant que citoyenne française de religion musulmane, en tant que présidente du mouvement FARR (Franco Algériens Républicains Rassemblés) et en tant que femme.
Face au débat animé créé sur les réseaux sociaux par mon positionnement sur le port du voile en France, je tenais à faire cette tribune pour préciser l’évolution de ma pensée depuis la fin des années 80 et mon choix de trancher sur le sujet aujourd’hui, en 2014.
En 1986, à 18 ans, je venais d’Algérie, pour faire mes études supérieures en France.
L’affaire du voile à l’école éclata à cette époque. Deux jeunes filles, avec le zèle des nouvelles converties, provoquèrent l’émoi d’un directeur d’école en arrivant à la porte de l’établissement scolaire avec un hijab.
S’en est suivi un débat nauséabond qui a débouché sur le décret contre le port des signes religieux ostentatoires dans les écoles…
A l’époque, j’ai été profondément choquée par ce débat car le discours politique ne se focalisait que sur le voile et non sur l’ensemble des différents signes religieux comme la kippa, la croix protestante, le turban sikh, etc…
Comme beaucoup de mes coreligionnaires, je vivais cela comme une stigmatisation des musulmans et je pensais que le fait de légiférer avec le discours raciste subliminal des politiques ne ferait que radicaliser ceux et celles fragilisés sur le plan identitaire pour arriver finalement à accroitre ce phénomène.
Puis en 2008, en pleine crise mondiale économique alors qu’on attendait du président fraîchement élu des réformes de structure dans le domaine social et économique, on a entendu un tintamarre incroyable sur la loi contre la burqa…
Là encore, je me disais que légiférer pour 300 personnes en France, c’était pointer du doigt et jeter l’opprobre sur toute une frange de la population française qui vit sa religion dans la sphère privée et qui n’impose rien à personne.
J’étais révulsée. Cela véhiculait une image désastreuse de la religion musulmane. On donnait à croire que l’islam c’était ça, se résumait à ça : le port de la burqa !
Aujourd’hui la loi interdisant le port de la burqa a été votée.
Elle a été confirmée par la cour européenne des droits de l’homme.
Pourtant on voit de plus en plus de burqas en France.
Cela prouve bien que le fait de légiférer ne fait qu’accroitre ce phénomène de société qui nous a été importé d’ailleurs, que ce soit en France ou en Algérie. Car c’est un phénomène de société lié à un problème identitaire qu’on impute malheureusement à la religion musulmane pour celles qui l’exhibent et ceux qui le dénoncent.
Et nous « les non voilées », on ne dit rien. On se tait. On est prise entre le marteau et l’enclume. On laisse les médias et les politiques se focaliser sur cette question.
Alors certains, dont moi, finissent par être exaspérés par cette mode vestimentaire qu’on impute à l’islam et, au même titre, exaspérés par d’autres, censés vouloir adopter une attitude « tolérante » vis-à-vis des femmes « voilées » accentuant ainsi, par cette pseudo attitude « tolérante », le regard hostile de ceux qui sont dans le rejet de l’autre.
Cela devient un combat en miroir des deux côtés où l’intolérance de l’un se nourrit de l’intolérance de l’autre.
Que doit-on faire ?
Ne rien dire par peur de choquer, de blesser, par convenance, par peur d’être traités «d’islamophobes » ?
Ou avoir le courage de dénoncer ce phénomène, d’éveiller les consciences, d’expliquer à celles qui ne le portent pas qu’elles emprunteraient une voie qui les ferait rejeter si elles franchissaient le pas.
Je suis consciente, après en avoir discuté avec d’autres femmes que le voile est devenu pour certaines une consécration dans une vie.
Elles ne sont pas encore voilées. Mais leurs sœurs le sont, elles ont franchi le pas, elles sont devenues des héroïnes. Et elles…Elles le feront mais plus tard.
Une sorte de fascination sur cette question s’exerce dorénavant.
Qui est derrière ce phénomène ? Pourquoi font-elles cela ? Pourquoi des femmes jeunes, qui ont la chance d’être nées et de vivre dans un pays qui a considérablement évolué sur les questions de droits des femmes et d’égalité des sexes, veulent-elles porter ce signe « ostensible d’appartenance religieuse » qui n’est pas une obligation coranique et qui les expose au rejet de l’autre.
La burqa, est-ce la religion musulmane ? Le hijab, est-ce nos racines algériennes ?
Nous vivons en France. Nous avons conscience que le délit de faciès et que le rejet ethnique y existent.
Mais combattre cette réalité en refusant de s’adapter à sa terre d’accueil et en affichant sa différence (pour ne pas parler de revendication de type religieux dans les cantines d’écoles, piscines, hôpitaux ou autres…) ne fait qu’accroître le racisme, le rejet de l’autre et donc le Front National.
Pourtant en Algérie au siècle dernier, au contact d’une autre culture, dans une aspiration encore confuse mais déjà prérévolutionnaire à une société tournée vers le progrès, toute une frange de la société musulmane algérienne avait abandonné ces pratiques anciennes, pour ne pas parler de celles qui ont participé à la révolution.
En 1962 à l’indépendance de l’Algérie, à l’exception des femmes traditionnelles qui portaient encore le haïk, toute la jeune génération de femmes qui avait enfin accès à l’éducation ne se voilait plus.
Puis des femmes déferlèrent dans les rues d’Alger en 1988 telles des « extra-terrestres »…avec leur voile qui n’avait rien à voir avec la culture algérienne, qu’on avait jamais vu auparavant… On les appelait les « Afghanes ».
Et maintenant s’est instillé dans l’esprit d’un français non musulman l’idée que le port du voile, c’est la religion musulmane, une religion «régressive et misogyne » !
Or, ce n’est pas la religion qui est régressive et misogyne, ce sont les hommes.
En réalité, de quoi parlons-nous ?
Il y a très peu de choses sur le voile dans le Coran, la seule obligation réelle pour une musulmane consiste à ne pas avoir d’attitude provocante au plan vestimentaire, c’est tout.
Quant au voile lui-même qui préexistait à l’Islam, les deux sourates qui le mentionnent peuvent s’interpréter de différentes façons. Or il faut distinguer le Message, son exégèse théologique, et son interprétation personnelle.
En outre, c’est faire contresens total que de dissocier le Message de la société à laquelle il s’adresse.
Le Coran est dans la société de son époque un message de libération, un message de progrès social, un message d’émancipation.
Que faut-il retenir quand on est un croyant ?
L’obligation pour une musulmane de s’émanciper socialement par la culture, la connaissance, l’éducation et ainsi de valoriser sa Foi, ou l’obligation de couvrir la tête avec un voile noir et de s’en tenir là ?
Je me fais une autre idée de l’Islam et je rejoins notre cher Ghaleb Bencheikh, je rejoins Malek Chebel, je rejoins tous ceux et toutes celles qui s’intéressent à la quintessence du Message et non à sa lettre.
D’ailleurs le texte lui-même renvoie une image (et donc un modèle) de femme maîtresse de son destin, égale en dignité et en responsabilité à l’homme vis-à-vis de Dieu.
Est-il vraiment nécessaire de rappeler le rôle éminent de la première femme du Prophète ?
Faut-il rappeler que le Coran est révolutionnaire dans la société du septième siècle y compris quant à la place des femmes dans la société, à une époque où les Pères de l’Eglise chrétienne s’interrogeaient gravement pour savoir si la femme avait ou non une âme et en tout cas, car le point est contesté, la plaçaient tout à fait clairement dans la sujétion à l’homme, en reprenant à leur compte la fameuse formule « Tota mulier in utero ».
C’est ce dynamisme, ce progressisme, cette ouverture, qu’à titre personnel je retiens dans le Message divin, simplement le monde a évolué depuis le septième siècle. Il ne faut pas confondre l’accessoire et la transcendance.
Je rêve d’un monde arabe, d’un monde musulman où se lèveraient de nouveaux champions de la modernité et du progrès social, des Bourguiba, des Mustafa Kemal Atatürk qui tous ont eu la même attitude vis-à-vis d’un symbole devenu obsolète.
En outre, force est de reconnaître que le monde musulman et l’Islam de France en particulier hésite entre plusieurs interprétations au sujet du port du voile.
C’est un débat riche entre un homme comme Ghaleb Bencheikh qui tient le port du voile pour une simple recommandation sans obligation et encore moins contrainte et un homme comme Tarik Ramadan qui en fait une obligation, en passant par tous ceux qui expriment des nuances différentes vis-à-vis du port ou non du voile en tant qu’obligation religieuse.
Seulement ce débat qui vire un peu à la cacophonie n’est pas uniquement un débat théologique, ces musulmanes sont françaises, vivent en France dans une société laïque, ce qui fait que ce débat n’est pas que théologique, il est aussi sociétal, il est donc politique.
Comme la société française nous classe dans la case hétérogène des « musulmans de France » pour peu qu’on soit d’origine maghrébine (qu’on soit croyant, pratiquant, non pratiquant, athée ou agnostique), il serait temps pour ceux qui souffrent en silence et qui regrettent l’ampleur de ce phénomène et ce glissement en termes de mentalités, de se rassembler.
Il serait temps de parler d’une même voix et dire que des millions de femmes musulmanes en France n’ont pas l’intention de porter cet accoutrement vestimentaire qui n’est pas une obligation coranique au sens strict et dont la visibilité renforce les discours populistes xénophobes et la montée du Front National.
Nous refusons de nous faire enfermer dans cette équation mortifère : une burqa = 10 votes Le Pen.
Voilà pourquoi j’ai fait le choix en tant que leader associatif de culture musulmane de trancher sur le sujet et de m’exprimer sur une question devenue taboue parmi les musulmans car l’heure est grave face à la poussée du Front National.
Ce phénomène de société est leur fonds de commerce en plus de la corruption de certains hommes et femmes politiques.
C’est sur ce terreau-là, couplé à la désespérance sociale, que le FN prospère et continuera de prospérer.
Nous sommes au pied du mur et nous devons trancher.
Des voix doivent s’élever pour éduquer, informer, revaloriser nos racines, la fierté de qui nous sommes, dire d’où nous venons et où nous voulons aller, œuvrer de toutes nos forces pour la cohésion nationale.
Il n’y a aucune honte à affirmer ses racines, ses origines, bien au contraire, cette affirmation renforce cette cohésion.
Mais cela n’est pas incompatible avec les codes vestimentaires de la modernité universelle.
Je voudrais terminer mon propos par la phrase d’un très grand Algérien, né à Soukh Ahras, mort à Annaba, un penseur et un immense théologien mondialement connu : Saint Augustin.
Elle résume tout.
« Si fueris Romae, Romano vivito more » : « Si tu vis à Rome, vis comme les Romains ».
Nous, nous vivons en France.
Tribune co-signée par :
Ferial Furon
Présidente de FARR
Acia Benberkat
Secrétaire générale de FARR