Le système éducatif algérien, en tant que système (ce dernier concept étant défini comme « un ensemble d’éléments en interaction dynamique, organisés en fonction d’un but ») ou en tant qu’élément d’un système, poursuit l’accumulation des dysfonctionnements et d’inepties, alors que maintes recommandations de contributions individuelles, de séminaires ou de commissions d’experts ne sont pas prises en compte, afin que notre école soit à la mesure des défis de ce troisième millénaire.
Ce papier non exhaustif s’évertue à saisir de récentes déclarations, dont celles exprimées à l’Assemblée populaire nationale (APN), par le ministre de l’Education nationale qui affirme que « les efforts du système éducatif en Algérie visaient à édifier une école moderne et imprégnée de valeurs nationales » à travers des programmes pédagogiques qui portent sur le raffermissement de l’unité nationale et l’ancrage des principes humanitaires, et que « La consécration des principes et idéaux de novembre pour consolider l’attachement des générations montantes à la patrie, à son histoire, aux nobles préceptes de l’Islam et promouvoir les valeurs de la République et de l’Etat de droit, s’inscrivent parmi les objectifs escomptés ».
Constatons, pour la petite histoire que le Ministre de l’Education nationale devait répondre aux questions de nos députés, dont certains, ont récemment reconnu, lors d’une émission de télé, qu’ils ne lisaient pas. Qu’attendre alors de ces représentants du peuple qui doivent débattre de questions graves ? Et que dire d’une personne allergique à la lecture de livres ? No comment !
Bref, selon le ministre, les principes du système éducatif s’appuient sur la modernité, le patriotisme, l’attachement à l’Islam et les valeurs de Novembre, le tout mis en œuvre à travers des programmes pédagogiques. Ces déclarations amènent forcément des questionnements. Il s’agit tout d’abord de savoir si les divers concepts utilisés ont la même signification pour tous les citoyens en général, et pour les acteurs du système éducatif en particulier.
Au sujet de la modernité, un concept polysémique, son sens philosophique désigne « tout projet qui impose la raison comme norme transcendantale à la société ». Dans ce cas précis, les principes fondamentaux du raisonnement dans notre école, cèdent la place à la débile mémorisation ; c ‘est le moins qu’on puisse dire.
Nous pouvons aussi nous interroger sur ce que signifie un caractère républicain, ou encore les valeurs et idéaux de Novembre. Mais où dégoter les textes relatifs aux valeurs et idéaux de novembre, s’il en existe plus d’un ? Le simple citoyen que je suis s’est donc contenté d’une relecture rapide de la proclamation du premier novembre, seul document, à ma connaissance, disponible sur les idéaux de Novembre. Cette proclamation note alors, que l’indépendance nationale consistait en deux buts qui sont, d’une part, la restauration de l’Etat algérien souverain, démocratique et social, dans le cadre des principes islamiques, puis d’autre part, le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de races et de confessions. Le reste de la proclamation me semble traiter uniquement cette période de lutte du peuple algérien.
Concernant le patriotisme, ce dévouement pour la patrie, ce sentiment d’attachement à la communauté nationale, il se traduit, entre autres, par la lutte contre les fléaux et les injustices. Et si le patriotisme c’est aussi le respect de ses symboles, il devrait se poursuivre et se matérialiser par des actions et des attitudes civiques et morales. Il ne suffit pas de se mettre au garde à vous devant l’emblème national, de chantonner ou tonitruer Kassaman pour prouver qu’on est un bon patriote. A cet effet, la levée quotidienne des couleurs dans nos écoles sans couleurs, représente-t-elle vraiment, aux yeux de nos bambins, un acte patriotique alors que l’incivisme est omniprésent ? Quant à l’Etat de droit, mais que signifie au juste sa promotion à l’école ?
Pour ce qui est de l’enseignement religieux, les programmes mis (ou à mettre) en œuvre sont-ils suffisants pour inculquer à nos enfants les préceptes de l’Islam ? Car tout un chacun sait que ce type d’enseignement, aussi balisé qu’il soit par le programme officiel, dépend également de la formation, des compétences et du vécu propre de chaque formateur. Illustrons cela : que penser de l’enseignant untel du cycle primaire qui aborde, dans un cours d’éducation islamique, avec des bambins de moins de dix printemps, la question du supplice de la tombe ? Peut-on inculquer l’amour, la tolérance et d’autres valeurs humanistes ou islamiques en terrorisant les enfants ? Apprend-on alors à nos petits, à vivre ou à mourir ? Que penser également des différentes lectures de textes se référant à l’Islam, et variant d’un individu à l’autre ? Et puis de quel Islam parle-t-on et de quelle école s’y afférente? De quelles variantes ? De quel(s) courant(s) parmi les quatre reconnus par la déclaration de La Mecque en 2005 de l’OCI ? Car nous savons qu’il existe aussi d’autres courants, comme le soulignait récemment avec inquiétude, l’inspecteur général au ministère des Affaires religieuses ?
Si les Wakfs s’inquiètent de la réorganisation et de l’accroissement de sectes en Algérie, et s’ils proposent «l’amélioration de la qualité de la formation des imams qui se chargeront de répondre à tous les questionnements de la société pour qu’elle ne cherche pas de réponses à ses interrogations d’ordre cultuel à travers les supports électroniques et les chaînes satellitaires», alors il faudra reconnaître, vaille que vaille, que nos enfants sont les plus exposés à l’endoctrinement, et que leur meilleure arme est de leur assurer un enseignement basé sur l’ esprit critique, donc sur la rationalité, à partir de méthodes et contenus pédagogiques adéquats, sous la houlette d’un encadrement bien formé qui doit déposer sa casquette et sa veste chez le gardien de l’entrée de l’ établissement scolaire.
Notons que lors du sommet extraordinaire de l’OCI de 2005, les dirigeants musulmans précisaient que « la civilisation musulmane fait partie intégrante de la civilisation humaine », et avaient adopté « un plan d’action de dix ans pour relever les défis du 21 ème siècle » qui prévoyait entre autres de «réviser les programmes scolaires pour consolider les valeurs de tolérance et de dialogue ».
Quant aux valeurs (nationales et républicaines, modernistes et islamiques) énoncées par le ministre, celles-ci nécessitent certes des programmes adaptés, mais également et surtout une ressource humaine compétente à tous les niveaux du secteur de l’éducation afin que tous les concepts que véhiculent ces valeurs ne soient sujets à tout amalgame. Il est question donc de prévoir les gardes – fous, non seulement au niveau des Wakfs, dont la tutelle semble réagir avec beaucoup de retard, mais également au niveau de l’éducation nationale à qui on confie nos enfants, cette frange la plus vulnérable.
Il est donc urgent d’organiser un large débat national, un vrai, avec la participation de tous les concernés, pour une poursuite des réformes, même si l’aspect technique et pédagogique relève de compétences avérées ; un débat auquel il ne faudrait pas exclure les enfants. Car, tout compte fait, ce sont eux le centre de gravité de l’école. Ce sont ces enfants que nous n’écoutons que rarement ou pas du tout ; ces enfants qui nous le rendent si bien puisqu’ils rejettent majoritairement ce système éducatif en s’exprimant à leur manière (retards, indiscipline, insolence, violence, démotivation totale…).Quand on sait que dans des pays, les enfants ont été reçus et écoutés dans des assemblées nationales et des Sénats….
Pour clore avec les déclarations ministérielles , il s’agit d’être clair, de mieux cerner et expliquer ces valeurs évoquées plus haut, pour défendre un projet qui nécessite volonté, mobilisation et adhésion. Car on ne pourra jamais ménager la chèvre et le chou. A force de nager entre deux eaux, c’est notre école qui ira à la dérive, …nos enfants et le pays avec.
Rachid Brahmi