Le drame du peuple syrien, confronté à la sauvagerie d’un régime bien décidé à ne rien lâcher (car ses dirigeants savent que c’est leur survie physique qui est en jeu) démontre une nouvelle fois l’impuissance de la communauté internationale à imposer la paix dans une telle situation. Bien entendu, chacun a aujourd’hui l’exemple libyen en tête. Pourquoi ne pas bombarder les tueurs d’Assad ? Pourquoi ne pas larguer des bombes sur son palais de Damas ou sur ses tanks qui sèment le chaos à Hama ou à Homs ? Telles sont les questions que l’on entend fréquemment.
Commençons par aborder ce dernier point en relevant que ce sont les circonstances de la chute de Kadhafi qui permettent à Assad de se maintenir au pouvoir. En effet, aucune intervention étrangère ne semble possible, du moins pour l’heure et sous l’égide de l’Onu. Pour avoir forcé la main à la Chine et à la Russie dans le cas libyen et pour les avoir « entourloupés » en allant bien plus loin que ce que prévoyait la résolution 1973 – laquelle, rappelons-le, n’a jamais stipulé qu’il fallait faire tomber le régime de Kadhafi (ni tuer ce dernier) – les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne savent que ces deux pays opposeront leur veto à toute action militaire contre la Syrie. Dans un monde de plus en plus multipolaire, on ne joue pas impunément avec la légalité internationale sans en subir les conséquences quand bien même représenterait-on les principales forces de frappe de l’Otan.
Dès lors, et conscientes de leur faible marge de manœuvre, les capitales occidentales en appellent à la Ligue arabe pour qu’elle impose des sanctions à Damas. Cela vient d’être accompli et il faut signaler la célérité avec laquelle la Ligue a agit, elle qui, prend habituellement son temps pour ne rien décider au final. De cela, on peut d’ores et déjà tirer un enseignement. Au sein de la Ligue arabe, ce sont les pays du Golfe, Qatar et Arabie Saoudite en tête, qui mènent désormais la danse. Ni l’Egypte, confrontée à ses propres problèmes internes, ni les pays du Maghreb ne semblent aujourd’hui capables de contenir la volonté de Doha et de Riyadh ou d’imposer des solutions alternatives. La crise syrienne nous montre donc que les pays du Golfe ont pris le pouvoir et que leur influence ne se limite plus uniquement à leur capacité d’ouvrir leur carnet de chèques ou à faire passer des messages via Al-Jazira ou Al-Arabiya.
Revenons maintenant à cette question des sanctions. Dans le cas syrien, comme pour d’autres crises précédentes, elles ressemblent fort à un remède dont on sait qu’il n’aura aucun effet sur le mal. C’est un pis-aller que l’on prescrit parce qu’il faut bien faire quelque chose et que cela permet d’éviter d’être accusé d’immobilisme et d’indifférence à l’égard des souffrances des Syriens. Pour autant, tout le monde sait que les sanctions ne sont guère efficaces. Les exemples irakien, nord-coréen et iranien (on peut aussi citer le cas zimbabwéen), démontrent d’ailleurs que c’est d’abord le peuple qui en subit les conséquences. Certes, les dirigeants syriens vont avoir du mal à voyager et à profiter de l’argent qu’ils ont « honnêtement volé », pour reprendre l’expression d’un ami banquier. Pour autant, ils sauront profiter de la mansuétude et le soutien de nombreux régimes à commencer par le voisin iranien.
Et, là aussi, on peut tirer un autre enseignement de cette situation. Aujourd’hui, le système légal international est incapable de mettre en place des sanctions qui toucheraient uniquement les dirigeants d’un pays et pas leur peuple. Quoique prétende la Ligue arabe ou les chancelleries occidentales, il est quasiment impossible de toucher les dictateurs au portefeuille. Il y a trop de failles dans le système, trop de complicités, trop de paradis fiscaux et trop d’intermédiaires empressés qui sauront contourner les obstacles. Cela vaut aussi pour la question de l’armement. Décréter un embargo à l’encontre du régime de Bachar al-Assad n’aura guère d’influence sur le terrain. Et l’on peut être sûr que de nombreux vendeurs de canons sont d’ores et déjà à Damas pour vendre leur quincaillerie létale.
En réalité, dans ce genre de crise, il n’y a pas de solution idéale. Assad est allé trop loin dans l’horreur pour pouvoir reculer. Il joue donc la seule carte qui lui reste. Celle de la mise au pas sanglante de son peuple en espérant que la communauté internationale finira un jour par lui pardonner et normaliser ses relations avec lui. Bien entendu, c’est un mauvais calcul car nous ne sommes plus dans les années soixante-dix ou quatre-vingt quand son père pouvait faire détruire une ville par son aviation sans que le monde ne réagisse ou ne s’indigne vraiment. La chute d’Assad est inéluctable mais personne ne peut prédire ni sa date ni son coût humain.
Et l’on en revient donc à l’intervention militaire. Alors qu’ils y étaient opposés, de nombreux membres du Conseil national syrien (CNS) commencent à changer d’avis. Bien conscients que cela peut déboucher sur un chaos à la libyenne, ils estiment néanmoins que seule la force fera plier la dictature syrienne. Peut-on pour autant soutenir une telle option sans prendre le temps d’y réfléchir ? Si le cœur parle, alors oui, il faudrait une intervention immédiate et la destruction de ce régime qui fait honte au monde arabe. Un régime qui prétend défendre les Palestiniens en faisant mine de croire que le massacre de Tell Zaatar a été gommé des mémoires.
Mais si la raison s’exprime, alors on s’oblige à une douloureuse prudence. Il ne fait nul doute que les forces loyales au régime ainsi que ses milices seront balayées en cas d’intervention étrangère. On peut même penser qu’Assad et sa clientèle seront, au mieux, forcés de fuir en Iran. Mais ensuite ? C’est une lapalissade que d’affirmer que la région est une poudrière. Que se passera-t-il au Liban ? Que fera le Hezbollah ? Quel parti tirera Israël de la disparition de son « meilleur ennemi » ? Un ennemi très fort pour massacrer son propre peuple mais incapable de récupérer le Golan… Toutes ces questions, effrayantes, n’ont pas de réponse. Et ce qui se passe en Syrie fait plonger dans une démoralisante impuissance.
Akram Belkaïd
In Le Quotidien