Les sociétés arabes n’ont jamais connu de citoyens. Le long et douloureux chemin de l’Etat de droit

Redaction

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Pour comprendre la crise qui secoue les pays du Maghreb, l’Égypte et les autres pays arabes du Proche et Moyen-Orient, il est nécessaire de se pencher sur la notion de citoyenneté galvaudée dans les discours et les textes officiels de ces sociétés.

Pour constater cela, il est nécessaire de remonter dans l’histoire pour nous apercevoir que les sociétés arabo-musulmanes n’avaient quasiment jamais donné un rang ou un statut aux populations qu’elles administraient que celui de sujet. Le seul rapport qui liait les populations aux hiérarchies régnantes ne revêtait que le caractère d’assujettissement, de subordination. Sans allégeance au souverain point de salut.

Ce rapport a marqué ces sociétés depuis l’époque des empires Omeyade et Abbasside jusqu’aux temps modernes des colonies et des protectorats français et anglais en passant par les émirats andalous, les États du Maghreb et du Machrek. Les populations de cette immense zone ont été soumises au Calife, à l’émir, au sultan, au dey et au bey puis au XIXe siècle au gouverneur militaire ou civil français ou anglais.

Après les décolonisations et les indépendances du XXe siècle, les rapports n’ont guère changé avec l’avènement de régimes autoritaires et populistes d’inspiration militaire. La légitimité des pouvoirs, fondée sur la violence, confisquait le désir de liberté et de démocratie attendus par les peuples fraichement libérés du joug colonial et impérial. Le parti unique s’installait pour se transformer en nouveau makhzen au service du pouvoir politico-militaire. Les notions de liberté et de démocratie sont dévoyées et la liberté d’expression bâillonnée. Les marges de manœuvres des sociétés sont réduites aux plus simples expressions. Les droits de l’homme sont bafoués « au nom du peuple ». Les oppositions laminées et exterminées.

La tribu, la clan familial élargi aux alliances et la confrérie religieuse (zawiya) sont instrumentalisées et intégrées dans le tissu social toléré par le pouvoir pour l’irriguer et lui donner une consistance « nationale » en diffusant ses valeurs dans la société. En subordonnant ces formes d’organisation archaïque aux centres du pouvoir, ce dernier s’assure leur soumission en contrepartie de privilèges et de protection qu’il leur octroie.

Avec la complicité des puissances occidentales, les pouvoirs se renforcent et la sphère publique s’élargit d’une clientèle qui trouve et garantit ses intérêts à l’ombre des pouvoirs autoritaires : bourgeoisies et intellectuels organiques s’épanouissent dans un semblant de libéralisme économique et politique qui restera malgré tout toujours précaire, en instabilité constante.

Les velléités d’autonomisation des sociétés civiles sont souvent écrasées dans le sang. L’État n’est qu’un immense appareil répressif dont la finalité est de maintenir les sociétés dans un état de statu quo, de subordination, toujours infantilisées et culpabilisées.

En bons gardiens des intérêts économiques des puissances occidentales, les pouvoirs en place finissent par s’aveugler en tombant dans une paranoïa délirante qui inexorablement les pousse à leur perte. Pour eux la société est l’ennemi, la menace contre laquelle on doit se méfier tout le temps et partout.

Les monarchies arabes du golfe ne sont pas en reste. Elles bénéficient pour le moment de la manne providentielle du pétrole et du gaz qui leur donne un temps de répit. Leur absolutisme est atténué et partagé par les réseaux de privilégiés concessionnaires locaux qui participent à la redistribution de la rente. Pouvoir régalien oblige ! Exit les droits fondamentaux des voies dissonantes qui n’ont même pas accès aux tribunes démocratiques de l’occident.

Ceci n’empêche pas les peuples arabes et musulmans à aspirer à la modernisation politique de leurs sociétés et à accélérer le processus de leur mutation pour passer du stade de sujet à celui de citoyen libre participant à la vie et au destin commun de la nation dans le cadre d’un consensus constitutionnel respecté de tous, consacrant la séparation des pouvoirs et garantissant les libertés fondamentales et les droits universels inaliénables: liberté d’expression, liberté d’association et liberté de circulation. Les derniers événements de Tunisie et d’Égypte et ceux encore à venir montrent assez bien que ce désir de citoyenneté est de plus en plus fort dans les sociétés arabes et musulmanes. L’État de droit se fera dans la douleur mais il se réalisera sûrement.

Dahou Ezzerhouni