« En se trompant de diagnostic, on ne peut arriver qu’à de mauvaises solutions »
Robert REICH Professeur d’Université d’Harvard Ex Secrétaire d’Etat américain
1-Monsieur le Ministre du commerce vient de déclarer officiellement le 20 mai 2009 que c’est l’Europe qui n’a pas respecté les engagements contenus dans l’Accord qui lie l’Algérie à l’Europe pour une zone de libre échange applicable depuis le 01 septembre 2005 et pose indirectement la question s’il est utile que l’Algérie reste attachée à cet Accord. Or je précise qu’aucun pays n’a obligé l’Algérie à signer cet Accord, comme personne ne l’oblige à adhérer à l’OMC, Accord signé en toute souveraineté par le gouvernement et ayant des implications fondamentales. Deux exemples avec des impacts stratégiques : premièrement, les produits industriels subiront progressivement un dégrèvement tarifaire allant vers zéro (O) horizon 2014, ce qui a un impact sur toute la future politique socio-économique 2009/2014.
Deuxième, exemple dont j’avais mis en garde le gouvernement algérien depuis plus de trois années : avant de se lancer dans des unités pétrochimiques ou unités fonctionnant au gaz destinées à l’exportation, nécessitant des dizaines de milliards de dollars d’investissement sur fonds publics , si l’on veut éviter des problèmes avec les structures européennes et américaines à la concurrence qui peuvent interdire l’entrée de ces produits au sein de leur espace, résoudre le problème de la dualité du prix du gaz,et d’une manière générale les subventions et la qualité , l’argument du Ministère de l‘Energie postulant la couverture des frais du gaz plus un profit moyen n’ayant pas convaincu nos partenaires. Aussi, outre le fait qu’il faille corriger le volume des exportations algériennes ves l’Europe en incluant les exportations de gaz,notamment à travers les réseaux Medgaz( via Espagne) et Galsi( via Italie) , il s’agit d’établir des vérités même si elles sont amères à dire, personne ne pouvant se targuer d’être plus nationaliste qu’un autre. Nous aimons tous l’Algérie d’où l’importance d’un débat contradictoire productif, objet de cette présente communication qui se propose de nuancer les propos tranchants du Ministre du commerce.
La facilité et la fuite en avant est de vouloir imputer les causes du blocage seulement à l’extérieur ( ce discours anti-impérialiste chauviniste pour faire oublier les problèmes intérieurs , ce chat noir dans un tunnel sombre que l’on ne voit jamais) alors que le mal essentiel est en nous. L’extérieur est-il responsable de la montée en puissance de la bureaucratie destructrice et de la corruption dominante ; l’extérieur est-il responsable de notre mauvaise gestion et du gaspillage de nos ressources.
Enfin l’extérieur peut-il engager à notre place les réformes structurelles dont l’Etat de droit (justice),la garantie des libertés dont le droit de propriété, de l’école mère de toute les réformes, du système financier, du foncier afin d’asseoir l’économie de marché concurrentielle base d’une une production hors hydrocarbures, assistant à un pas en avant et deux en arrière dans les réformes pour paraphraser Lénine ?
2-Je suis parfaitement conscient que l’objectif stratégique est de repenser l’actuel système économique mondial en intégrant le défi écologique, ce système actuel favorisant la bipolarisation Nord/Sud, la pauvreté préjudiciable à l’avenir de l’humanité, accéléré d’ailleurs par les gouvernances les plus discutables de la part de la plupart des dirigeants du Sud. Sur les 7 milliards d’âmes les 2/3 sont concentrées au sein de la zone Sud avec moins de 30% des richesses mondiales. Car ce début du 21ème siècle, des disparités de niveau de vie criantes font de notre planète un monde particulièrement cruel et dangereusement déséquilibré. L’abondance et l’opulence y côtoient d’une manière absolument insupportable la pauvreté et le dénuement.
Le revenu moyen des 20 pays les plus riches est 37 fois plus élevé que celui des 20 pays les plus pauvres qui appartiennent à l’Afrique sub- saharienne, à l’Asie du Sud et à l’Amérique Latine. Quand on sait que, dans les 25 prochaines années, la population mondiale augmentera de deux milliards d’individus – dont 1,94 milliard pour les seuls pays en voie de développement – on peut imaginer aisément le désastre qui menace cette partie de l’humanité si rien de décisif n’est entrepris. Faute de relever le défi de lutte contre la pauvreté, la crise mondiale actuelle constitue une menace pour le monde au cours des années à venir. Et c’est en intégrant des organisations comme l’ont fait les pays émergents que des actions collectives peuvent être tentées pour changer ce système injuste.
3-Tout cela renvoie à des enjeux géostratégiques de première importance qui concerne notre pays qui ne devrait pas prendre la légère la crise mondiale qui est structurelle et non conjoncturelle. Car, si le retour à la paix, à la stabilité et à la sécurité constitue la condition sine qua non du développement et de la prospérité, la démocratisation de la vie politique et la restauration de la crédibilité des institutions de l’Etat ne représente pas moins une condition tout aussi fondamentale.
La bonne gouvernance concerne l’ensemble des outils et des méthodes de gestion des affaires de la Cité et embrasse la totalité des actions politiques – celles des hommes comme celles des institutions qu’ils dirigent – qui ont pour vocation de servir la collectivité. Car, la puissance d’une Nation, se mesurant en ce XXIème siècle par rapport à son poids économique au sein d ‘une économie de plus en plus ouverte, il s’agit de proposer des solutions concrètes, loin de tout populisme et de promesses chimériques, d’une manière datée et quantifiée de l’impact de l’adhésion de l’Algérie à la zone de libre échange avec l’Europe.
Les inquiétudes étant légitimes, c’est pourtant avec étonnement que nous assistons en ce mois de mai 2009 à des déclarations officielles et non officielles contre cette adhésion de l’Algérie à la zone de lire échange avec l’Europe ( Accord régional ancré dans le processus de Barcelone incluant en plus du violet économique, des aspects politiques,sociaux et culturels) ) ainsi que du gel des négociations avec l’organisation mondiale du commerce ( Accord mondial se limitant au volet économique), demandant du temps pour la mise à niveau alors que les négociations durent depuis 1987 (23 ans), tout en précisant qu’ après les dernières mesures du gouvernement renforçant le secteur d’Etat à travers la dépense publique, l’adhésion n’est pas pour demain.
Invoquer la situation mono exportatrice de l’Algérie, ne tient pas la route, la majorité des pays de l’OPEP étant membres de l’OMC dont le dernier en date étant l’Arabie Saoudite. Aussi, il n’y aura de spécificité pour l’Algérie et selon nos informations auprès de la CEE pas de renégociations des clauses fondamentales avec l’Europe, ni de spécificité également pour l’adhésion à l’OMC, peut être, une prolongation de délais selon le même Accord contrairement à ce qui a été avancé par certains officiels algériens.
4- Tout entrepreneur qu’il soit algérien ou étranger étant mu par la logique du profit, il n’y a pas de nationalisme dans la pratique des affaires, ne devant pas confondre retour à l’étatisme des années 1970 suicidaire pour le pays, et renforcement nécessaire de l’Etat régulateur indispensable en économie de marché, comme le démontre la crise économique mondiale actuelle avec la dominance de la sphère financière sur la sphère réelle. Il s’agit de mettre en place des mécanismes économiques et financiers d’encadrement souples favorisant l’investissement productif y compris les services qui ont un caractère de plus en plus marchands, en respectant le droit international pour toute crédibilité de l’Etat algérien.
Une loi n’est jamais rétroactive et une circulaire d’un premier Ministre ne peut remplacer dans tout Etat de droit, une loi ou une ordonnance présidentielle qui doivent être le cas échéant être abrogées selon les mêmes procédures. Car, seules des réformes internes profondes permettront de modifier le régime de croissance pour atteindre une croissance durable hors hydrocarbures condition de la création d’emplois à valeur ajoutée, mettant fin progressivement à cette croissance volatile et soumise aux chocs externes, les dépense monétaires sans se préoccuper des impacts et l’importance des réserves de change, n’étant pas synonyme de développement car fonction, du cours des hydrocarbures. Pour cela il s ‘agit, évitant le manque de cohérence et de visibilité dans la politique économique, de lutter contre la corruption qui s’est socialisée en Algérie, démobilisant toute énergie créatrice, du fait d’une concentration excessive du revenu national au profit de rentes spéculatives destructrices de richesses et éviter l’instabilité juridique qui décourage tout investisseur qu’il soit national ou international. Car le retour au volontarisme étatique risquent de freiner encore davantage cet arrimage et poser des problèmes de financement si la crise perdure au-delà de 2012/2013 avec des tensions budgétaires horizon 2012.Et en cas d’un cours du pétrole inférieur à 60 dollars à prix constant d’un euro 1,30 dollar, dont sont libellées les exportations d’hydrocarbures pour avoir le cours réel, devant donc corriger par la dépréciation du dollar, qui risque d’aller vers 1,50, laquelle dépréciation peut entraîner un mouvement spéculatif de hausse le pétrole transitoirement étant avec l’or considéré comme valeur refuge, ne reflétant pas les fondamentaux, pouvant assister à un retour brutal de conjoncture. Car, il faut être réaliste, la reprise de l’économie mondiale déterminant la demande d’hydrocarbures est tributaire du retour de la croissance des Etats Unis d’Amérique première puissance économique mondiale et de l’Europe et non de l’Asie dont le PIB chinois représente moins que le PIB allemand.
5-Aussi, après analyse je pense fermement que pour bénéficier des effets positifs de l’Accord avec l’Europe que d’une éventuelle adhésion à l’OMC,( sinon les effets pervers l’emporteront) qu’il faille faire d’abord le ménage au sein de l’économie algérienne et que ce sont les freins à la réforme globale ( liant politique, économique et social, voire culturel) du fait de déplacements des segments de pouvoir ( les gagnants de demain n’étant pas ceux d’aujourd’hui) qui explique le dépérissement du tissu productif.
Toute analyse opérationnelle devra relier l’avancée ou le frein aux réformes en analysant les stratégies des différentes forces sociales en présence , tenant compte tant des mutations mondiales, la crise actuelle devant entraîner un profond changement à la fois géopolitique, socio-économique , managériale et technologique horizon 2015/2020, il ne faut pas être utopique l’expérience de la Corée du Sud ayant correspondu à une certaine phase historique ) que de la politique du gouvernement algérien. Ce dernier se trouve ballotté entre deux forces sociales antagoniques, la logique rentière épaulé par les tenants de l’import (13.000 mais en réalité seulement 100 contrôlant plus de 80% du total) et de la sphère informelle malheureusement dominante et la logique entrepreneuriale minoritaire.
Cela explique que l’Algérie est dans cette interminable transition depuis 1986, ni économie de marché, ni économie administrée, expliquant les difficultés de la régulation, l’avancée des réformes étant inversement proportionnelle au cours du pétrole et du cours du dollar, les réformes depuis 1986 étant bloquées ou timidement faites avec incohérence lorsque que le cours s’élève. Cela explique également que malgré des assainissements répétées des entreprises publiques ( plus de 40 milliards de dollars entre 1991/2008) , des dévaluations successives, il a été impossible de dynamiser les exportations hors hydrocarbures (2% du total), certes 50% dans le produit intérieur brut 2007/2008 mais sur ces 50% plus de 80% étant eux même tirés par la dépense publique via les hydrocarbures ce qui donne aux entreprises créatrices de richesses publiques ou privées ( souvent endettées vis à des banques publiques) une part négligeable, le blocage étant d’ordre systémique.
La baisse de la salarisation depuis plus de deux décennies au profit des emplois rentes traduit la prédominance de l’économie rentière et la faiblesse de la dynamique de l’entreprise créatrice de valeur ajoutée. Les infrastructures n’étant qu’un moyen, l’expérience récente malheureuse de l’Espagne du fait de la crise actuelle, avec l’effritement de son économie (taux de chômage prévue en 2010 plus de 20%) qui a misé sur ce segment doit être méditée attentivement par les autorités algériennes.
6-C’est que les piliers du développement du XXIème siècle sont une bonne gouvernance stratégique tant des institutions que des entreprises et la valorisation de l’entreprise et son fondement le savoir, concrètement loin des discours et des textes juridiques qui contredisent souvent les pratiques sociales. Concernant le premier aspect, les résultats qu’elle réalise selon les derniers rapports internationaux semblent mitigés, la corruption dans les administrations et le système judiciaire semblant constituer une entrave aux affaires. Elle obtient en 2008 et ce, pour la 6e année consécutive, une très mauvaise note 3,2 sur 10, et un très mauvais classement, la 92ème place sur 180 pays classés ; à titre de rappel en 2007 : 3 sur 10, et la 99 ème place, en 2006 : 3,1 sur 10 et 84ème place (sur 163 pays) ; en 2005 : 2,8 et 97ème place (sur 159 pays) ; en 2004 : 2,7 et 97ème place (146 pays) ; en 2003 : 2,6 et 88ème place (sur 133 pays).
La mise en place de mécanismes transparents dans la gestion des affaires, l’implication de l’ensemble des segments pour une société plus participative et citoyenne base d’une bonne gouvernance sont les conditions fondamentales pour d’éviter que la puissance publique soit utilisé à des fins d’enrichissement privé. Cela passe par l’intégration de la sphère informelle dominante en Algérie produit du système bureaucratique qui tire sa puissance de l’existence et de l’extension de cette sphère.
Pour le deuxième aspect, l’éducation le classement n’est pas meilleur les universités algériennes ayant été classées 6995ème sur 7000(baisse alarmante du niveau, les universités devenant une usine de fabrication de chômeurs) par l’Institut de Schangai en 2007 et le salaire d’un professeur d’université en fin de carrière est moins du un tiers de son homologue marocain et tunisien en termes de parité de pouvoir d’achat dans compter le manque de considération. Or l’Algérie doit créer des conditions favorables au développement en levant les contraintes d‘environnement, dont la lute efficace contre le terrorisme bureaucratique pouvoir numéro un en Algérie, favoriser un marché foncier libre avec toutes les utilités afin de renverser l’évolution négative du secteur industriel et de diversifier l’économie. En parallèle, le secteur financier est toujours sclérosé (guichets administratifs), doit être modernisé et davantage ouvert au capital privé où l’Algérie s’est engagée dans cet Accord à favoriser la liberté des mouvements de capitaux. Là aussi, les banques publiques lieu de la redistribution de la rente, explique le frein à la libéralisation maîtrisée sous le prétexte fallacieux du scandale Khalifa.
En résumé, Monsieur le Ministre, pour sauvegarder les intérêts supérieurs de l’Algérie, et donc les générations futures,( la population algérienne estimée à plus de 35 millions en mai 2009, sera dans 20 ans à plus de 50 millions au moment où il y aura progressivement épuisement des recettes d’hydrocarbures) , qui a toutes les potentialité pour devenir un pays pivot au niveau de la région, cette adhésion ,comme celle à l’OMC, contenue dans le programme du Président de la République, ne peut être que positive . Car notre place naturelle est dans l’espace euro méditerranéen, tout en n’oubliant pas le continent Afrique, d’où l’importance stratégique de l’intégration magrébine sous segment de cet espace.
Docteur Abderrahmane MEBTOUL