Tribune de Kamal Benkoussa, économiste spécialiste de la finance
D’ici 2050, la planète comptera 2 milliards d’individus en plus et jamais le monde n’a connu une exploitation aussi effrénée de ses richesses naturelles qu’aujourd’hui. La question De l’indépendance énergétique et alimentaire est devenue un enjeu majeur pour les grandes puissances. Sur le plan économique par exemple, la croissance dans le monde du 21ème siècle est de plus en plus « turbulente » : la concurrence internationale s’intensifie dans tous les domaines, le processus de création-destruction s’accélère, les cycles d’innovation se raccourcissent et par voie de conséquence ceux des produits également. Face à cette fuite en avant productiviste aucune nation ne peut désormais se reposer sur ses acquis. Seules celles qui seront à même de s’adapter à cet environnement de plus en plus complexe, à faire preuve de créativité et d’esprit d’anticipation, seront tirer profit des opportunités qu’offrira cette nouvelle donne mondiale. Quid de l’Algérie ?
L’irresponsabilité et le manque de vision de la politique gouvernementale de l’Etat algérien ont malheureusement gravement porté atteinte au développement économique et social du pays. Aujourd’hui, l’Algérie n’a pas les leviers économiques nécessaires pour faire face aux crises mondiales à venir et son avenir est plus que jamais incertain. En effet, le modèle d’organisation politique centralisée, bureaucratique, et sclérosée du pays ne lui permet pas de s’adapter à la dynamique d’évolution du monde actuel. Ainsi, au lieu d’anticiper ces changements en adaptant de manière continuelle notre modèle de développement économique, nous les subissons de façon irrémédiable. De fait, nous sommes systématiquement réduits à parer à l’urgence d’une situation en attendant passivement la suivante. Certes, la rente pétrolière procure à nos dirigeants les capacités financières suffisantes à l’apaisement des tensions sociales mais cela ne règle en rien les problèmes structurels de notre pays. Ce modèle économique qui occulte totalement le rôle du citoyen algérien en tant qu’individu capable de prendre part, de manière responsable, à la dynamique de développement et de croissance de son pays est forcément voué à l’échec. Dans un monde de plus en plus incertain, l’Algérie ne cesse de s’affaiblir d’avantage chaque jour. Inéluctablement, elle sera la proie des grands bouleversements économiques, écologiques et sociaux à venir. Nos leaders politiques doivent non seulement prendre conscience que nos réserves financières ne seront malheureusement pas suffisantes pour parer à l’inévitable mais surtout prendre la mesure des enjeux de demain.
Ainsi, je voudrais illustrer mon propos non pas uniquement en faisant référence aux nombreux exemples passés qui illustrent la gestion chaotique et catastrophique de nos dirigeants mais en traitant un cas à venir. Ces dernières décennies nous avons régulièrement assisté à des cycles de pénuries de produits de première nécessité suivis d’une flambée de leurs prix provoquant ainsi des émeutes dans le pays comme en janvier 2011 par exemple. Pour prévenir toute escalade des revendications sociales et de la violence, nos gouvernants dilapident à coups de milliards de dollars les réelles chances de véritablement reformer structurellement notre pays et de lui permettre d’assurer à l’avenir son autosuffisance alimentaire. L’Algérie étant un grand pays importateur de blé dur (US$ 1.6 milliard pour le premier semestre 2012), il serait intéressant de voir comment nos dirigeants comptent anticiper les futures fluctuations du marché du grain provoquées par les bouleversements climatiques?
Cette année, les Etats-Unis (plus gros producteur de blé dur au monde) ont été touchés par la troisième plus grosse sécheresse de leur histoire. Contrairement à celle subie au milieu des années 30, le niveau des réserves en maïs, soja et blé combinées est beaucoup trop bas pour compenser les effets d’une mauvaise récolte (graph ci-dessous).
Alors que les conditions climatiques de 2012 aux Etats-Unis sont beaucoup plus rudes qu’en 1930, le prix du blé avait connu à cette époque une hausse vertigineuse de +238% (graph ci-dessous).
Idem pour le maïs (aliment pour bétail) dont la hausse du prix de +467% avait pesé sur les coûts de la filière bovine.
De plus, la Russie qui a également connu une mauvaise récolte en 2012, pourrait imposer des plafonds à ses exportations de blé ce qui provoquerait une hausse de son prix au niveau mondial.
L’indice des produits agricoles (graph ci-dessous) montre très clairement que nous sommes à des niveaux bien en deçà des plus hauts du milieu des années 70 (années de fortes sécheresses). En effet, les mauvaises conditions climatiques aux Etats-Unis combinées à un dollar faible et à une hausse inattendue de la demande de la Russie sur le marché mondial, avaient déjà à cette époque créé une flambée des prix.
D’après la direction de la population du ministère de la santé, l’Algérie comptera 50 millions d’habitants en 2050 avec une proportion des plus de 60 ans qui atteindra les 12.2 millions. L’Algérie connaitra alors un vieillissement à la japonaise sans pour autant disposer de son avance économique. Avec un modèle de développement fortement tributaire de la rente pétrolière et un secteur industriel anémique, l’Algérie devra se réinventer si elle aspire un jour acquérir son indépendance économique et assurer aux générations futures l’autosuffisance alimentaire.
Cette contribution a été initialement publiée sur The Huffington Post