Depuis un moment vous menez une campagne médiatique contre l’exploitation du gaz du schiste, pourquoi?
La campagne médiatique est un support à ce qui est réfléchi et discuté avec d’autres militants. L’exploitation de gaz de schiste est un danger pour le pays à plus d’un titre. Ce projet est une atteinte à la souveraineté nationale puisque les portes seront ouvertes aux manœuvres des multinationales. Les majors pétroliers occidentaux vont mener des tests d’expérimentation dans le Sahara algérien, à l’instar des essais nucléaires menées par le colonialisme français durant les années 1960.
De point de vue financier, l’exploitation du gaz de schiste ne garantit aucune rentabilité économique. Le marché mondial du gaz tend vers le marché spot (marché libre), en témoigne les dernières concessions faites par la Russie pour vendre son gaz dans le cadre du marché spot, sans oublier le déploiement des méthaniers qataris à travers le monde. Mais ces deux pays peuvent se permettre de telles stratégies, ou recul sur leur politique. Aussi, les nouvelles découvertes de gaz en Asie du Sud est, et particulièrement en Océanie (Papouasie nouvelle guinée), démontrent qu’il n’est pas dans l’intérêt de l’Algérie d’exploiter cette ressource non conventionnelle, car elle participerait à réduire les prix.
Le gaz de schiste, dont les capacités des puits sont de 40% la première année et qui diminuent les années suivantes, oblige le pays à forer plus, mais le coût de revient sera inférieur au coût de production. L’Algérie ne peut espérer un retour sur investissement, si elle ne parvient pas à vendre du gaz dans le cadre des contrats à long terme.
Il faut noter que les investissements dans cette extraction sont colossaux. Pour forer un seul puits, une moyenne de 15 millions de dollars est nécessaire, ajouter à cela la logistique et les accessoires, et dont les majors pétroliers détiennent la technologie. Technologie qu’ils ne transféreront jamais. D’ailleurs, les sociétés américaines exploitant le gaz de schiste font face aujourd’hui à une crise d’endettement pour ne pas dire bulle spéculative. Elle n’est pas flagrante car le gouvernement fédéral a de tout temps aidé ces compagnies. Le prix de rentabilité du million de BTU (british termal unit) est entre 10 et 11 dollars. Mais avec la surproduction américaine des dernières années, le prix a baissé jusqu’à 3 dollars. Le gouvernement fédéral américain a longtemps subventionné ces sociétés, car ce choix s’inscrit dans une option géo-stratégique et non économique. Il s’avère qu’aujourd’hui, le but des américains est atteint, à savoir que la Russie fasse désormais des concessions. La crise en Ukraine est révélatrice des enjeux de cette exploitation de gaz de schiste à plusieurs niveaux.
Dernier point, les menaces de pollution qui pèsent sur les nappes phréatiques et les nappes souterraines de l’Albien en l’Algérie, sont synonymes de crime contre l’Humanité. Comment peut-on prendre le risque de polluer toutes ces eaux, alors qu’elles sont les véritables richesses de l’Algérie ? La technique de fracturation hydraulique, qui nécessite l’utilisation de 20 000 litres m3 par puits, mélangés à plus de 500 produits chimiques, en plus de la silice, est dangereuse. La dispersion des eaux usées une fois la fracturation de la roche, mettra en péril les nappes. Donc, on ne peut espérer le lancement de projets agricoles dans les Hauts Plateaux, les Plaines steppiques et l’extension des oasis avec des eaux polluées. Notons que ces produits chimiques sont en partie cancérigènes et provoquent diverses maladies.
Comment imaginez vous l’avenir énergétique du pays sans le schiste, en sachant notamment que les hydrocarbures conventionnels ne perdureront pas ?
Il faudrait d’abord penser à relancer le débat sur la transition énergétique, en parallèle du débat sut la transition démocratique. On ne peut dissocier ces deux volets.
A titre d’exemple, l’option de l’exploitation du gaz de schiste n’a pas été débattue dans des cadres juridiques existant, à l’instar du Conseil national de l’énergie, le seul habilité à trancher sur ce genre de décision. Aussi, l’opacité avec laquelle a été prise la décision d’exploiter le gaz de schiste est anti-démocratique. Le panel des experts et des spécialistes n’a pas été invité pour soulever leurs expertises, leurs études et leurs arguments. Avant l’amendement de la loi sur les hydrocarbures en janvier 2013, la commission juridique de l’APN a écouté seulement 6 personnes ayant un lien avec le domaine de l’énergie. Mais plus grave encore, aucun travail de vulgarisation n’a été entamé par les pouvoirs publics pour expliquer le véritable enjeu de l’exploitation de gaz de schiste, et les citoyens n’ont pas eu droit à la parole.
Pour revenir à votre question, l’urgence est de penser à l’économie d’énergie. L’augmentation de la consommation de l’énergie (gaz, électricité), n’est pas la faute des citoyens, mais c’est le pouvoir qui empêche les compétences intègres et patriotes de réfléchir aux meilleurs mécanismes afin d’éviter le gaspillage et d’élaborer des plans de perspectives et de prospectives. Dans le même sillage, la politique des subventions mérite également un large et continu débat. En parallèle, les compétences nationales existent pour travailler sur le développement de l’énergie solaire. Ce qui est certain, c’est que l’Algérie est face à une impasse, à cause d’une gestion anti-démocratique du pays et en raison de la marginalisation des capacités.
Les risques que vous avancez sur l’exploitation du gaz de schiste sont-il basés sur des études fiables faites en Algérie?
Les risques et les dangers ont été prouvés aux Etats-Unis, au Canada et en Pologne. Ces deux pays sont de parfaits exemples pour démontrer que l’exploitation de gaz de schiste est dangereuse pour l’Homme et l’environnement. Le projet laissera place à de nouveaux fiascos financiers. Les répercussions sur le volet social sont plus que négatives.
Aux Etats-Unis, des citoyens militent aujourd’hui contre l’exploitation, et arrivent tant bien que mal à faire entendre leurs voix. Si les eaux des surfaces américaines ont été les plus utilisées dans la technique de la fracturation hydraulique, il faut préciser que même des nappes phréatiques, notamment en Pennsylvanie ont été polluées.
Des études canadiennes sur l’exploitation de gaz de schiste disposent de solides arguments et qui feraient fléchir n’importe quel dirigeant. Et n’oublions pas le rapport Picot, l’une des plus intéressantes études présentées jusqu’à présent démontrant tous les dangers de cette exploitation.
Du reste, la question qui se pose, c’est pourquoi attendons-nous qu’un mal survienne dans notre pays pour devoir s’y opposer ? Il faut stopper ce projet destructeur, et penser à réviser en profondeur la loi sur les hydrocarbures, dont le contenu renferme des articles qui portent atteinte à la souveraineté nationale, notamment les articles 35 et 36.