Mourad Preure : Faire surgir l’Algérianité depuis l’épais brouillard de l’Arabité

Redaction

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Il est urgent de faire surgir l’Algérianité depuis l’épais brouillard de l’Arabité. Nous avons une histoire trois fois millénaire, et nos enfants l’ignorent.

Les miracles économiques les plus célèbres, japonais, sud-coréen, indien, chinois, et iranien, on l’oublie souvent, se sont construits sur de puissants socles symboliques, le sentiment d’appartenance à une grande Nation, forte d’une riche histoire. Ce puissant imaginaire collectif pousse les peuples à se transcender à porter une forte ambition de figurer parmi les leaders. Sans grande ambition il ne peut y avoir de grande réussite. Notre panne réside d’abord, à mon avis, à ce niveau.

Lorsque j’enseigne la stratégie, je dis à mes élèves que la stratégie part toujours de trois questions: (1) Qui suis-je?, (2) Où je veux aller? (Comment évolue l’environnement, les jeux d’acteurs et comment je me situe dans cette évolution, c’est à dire quelle est mon ambition en fait ?) (3) et enfin, Comment y aller ?.

Mais si on ne répond pas à la première question (Qui suis-je?) on ne peut traiter les deux autres. L’Algérie n’est pas le Liberia ou la Nouvelle-Zélande, nés sur le tard par un accident de l’histoire, l’Algérie est partie prenante de l’histoire. Voilà pourquoi cet arbre aux profondes racines a résisté et résiste aux plus terribles tempêtes !!!

Je pense que la plus grande violence faite à notre nation par le colonialisme est l’effacement de la mémoire. L’Algérien est comme une personne que l’on emmène au cinéma pour voir un film dont on a coupé les deux premiers tiers. On lui projette le dernier tiers et on lui demande de comprendre le film.

Cette violence originelle explique bien des convulsions qui caractérisent notre tissu social et explique notre propension à rater les occasions, malheureusement.

Originellement nous sommes des Amazighs, nous sommes des arabophones comme le Mexicain est hispanophone et se revendique de Cervantes, ou l’Australien anglophone et se revendique de Shakespeare, de Bob Dylan, comme l’Américain, oserions-nous dire qui se revendique de Shakespeare, mais aussi de son propre apport, de Faulkner, d’Hemingway, du Jazz, de Neil Armstrong et de Bill Gates. Nous sommes aussi amazighophones, certains le sont toujours, d’autres ont perdu l’usage de cette langue, des régions entières l’ont perdu.

Un travail sérieux de reconstruction de la mémoire doit être fait où l’université mais aussi les initiatives individuelles doivent se mobiliser. Dans cet élan peut-être pensera-t-on que la tombe d’un chef d’Etat, Massinissa, tarde à être fleurie à El Khroub. Dans cet élan peut-être pensera-t-on qu’il est important que le Tamazight soit élevé au rang de langue officielle.

Il faut avoir le courage, l’énergie et la volonté d’effectuer un voyage au fond de nous mêmes, voyage que nous tardons cruellement à faire, et c’est pourquoi nous ratons toujours les occasions de nous propulser dans le futur. Il faut le faire, c’est à ce prix que nous nous affirmerons comme la grande Nation que nous sommes. Nous avons besoin absolument de franchir ce seuil, relever ce défi pour réaliser notre être collectif.

Dr Mourad PREURE