Il est singulièrement observé, depuis quelque temps déjà, l’implication concomitante des enfants dans les affaires de prévarication ou de malversation de leurs géniteurs de pères. Qu’il s’agisse du secteur bancaire, pétrolier, des télécommunications, des matériaux de construction ou autres, ils sont tous mités par les déviations de la progéniture des chefs. Cette avidité du lucre facile qui bouffe tout sur son passage, n’est pas sans rappeler le piranha, ce poisson fluvial des tropiques sud américains, particulièrement vorace. Appâtés occasionnellement, ils y prennent goût ; ils constitueront le cheval de Troie pour investir la citadelle ciblée par des castes pêchant en eau trouble. Ainsi ferrés, ils ne manqueront pas, un jour ou l’autre, de faire tomber leurs géniteurs dans la nasse judiciaire. Le réveil est amèrement brutal et le dépit irréversible. Le parcours initiatique de cette gent, n’est jamais fortuit ; il aura pris de longues années pour s’affirmer.
Le premier jalon en sera l’ascendant pris sur le chauffeur de papa, qui ne leur refusera rien, à commencer par le volant. Il arrive même, que la survenue de fâcheux accidents, soit complaisamment escamotée. La secrétaire particulière suivra imparablement pour devenir, après les approches préliminaires, la confidente qui rapportera aux enfants, maintenant introduits, les faits et gestes de son patron. Elle ne pensera, à aucun moment, qu’elle fait du tort à son chef en dorlotant ses rejetons. La familiarité cédera, sans transition, la place à de la complicité innocente au début, pour devenir ensuite intéressée, la boucle est ainsi bouclée. Les premières hardiesses s’exerceront à l’école en réduisant l’enseignant à sa plus simple expression. Le fieffé rejeton ne manquera aucune occasion pour humilier son maître, même par l’offrande de précieux présents, manière de marquer la distanciation sociale. Ce dernier, n’aura pour seule alternative que l’abdication ; sa position statutaire n’autorise aucune témérité. Il a besoin comme tout le monde, d’un logement, d’un poste de travail pour sa fille munie d’une licence au chômage et d’aide à la résolution d’un tas de petits soucis.
Les admonestations impunément infligées sur sa personne par des fils de «pontes», ne sont pas exceptionnelles, elles tendent même à la régularité. Grassement réparées pour un modus vivendi de façade, elles n’en sont pas moins scandaleuses. Le chérubin n’avait aucune intention d’humilier son maître, il est juste un tantinet caractériel. Le pédagogue doit aisément comprendre, quand même, ce genre de situation! Le chef d’établissement, étrangement absent lors des faits, développera le meilleur conciliabule déclamatoire pour faire inscrire l’incident, somme tout anodin, dans le registre de l’exubérance juvénile. Et c’est ainsi, que l’illustre descendant aura acquis une notoriété rebelle, non usurpée, qu’il exhibera comme un trophée de guerre et dont papa et maman peuvent parfois s’enorgueillir. A dix huit ans révolus, fêtés d’ailleurs avec faste pour en mettre pleins les yeux au voisinage, il aura droit à un permis de conduire ; le passeport acquis depuis fort longtemps lui a autorisé plusieurs navettes entre Alger et des capitales étrangères. A quinze ans déjà, il avait son pitt bull et son jet ski. Potache d’un lycée huppé des hauteurs, son séjour ne passera pas inaperçu, il goûtera aux volutes du «hash». L’avocat de papa était là pour veiller à ce que le gosse s’en sorte indemne. Chevauchant sa grosse moto, martialement harnachée, il s’essayera à «l’Equipée sauvage» jouant le macho, manière à lui, de se dédouaner du label «chichi» imposé par sa condition sociale. Libéré à présent de la chape parentale, il dispose de son propre studio à la résidence familiale ; l’accès indépendant lui permet de recevoir ces copines et ses copains de la «fac» en toute liberté. Impatient de connaître «du monde», il se fera introduire dans des résidences privées ultra protégées, le rang social du papa n’exigeant pas moins. Il y subira le rituel bizutage introductif, pour intégrer enfin les cercles claniques. Quelques nuitées lui feront goûter, le nirvana des alcôves feutrées et les délices jusque là méconnus, de la vie en bulle. Happé par le milieu et vite structuré, il en devient sociétaire à part entière ; il est le coin idéal pour entamer dans l’épaisseur du père. La traversée du désert doré se fera en l’absence morale de papa et de maman, pris comme ils sont, par leurs préoccupations quotidiennes. Lui à peine visible, un après midi par semaine tout au plus, écartelé par ses fonctions dirigeantes : bureau, conseils d’administration, colloques, voyages et dîners d’affaires, il ne jouit d’aucun répit. Quant à maman, ses activités caritatives, elle est présidente d’une association d’aide aux orphelins, ses séances de mise en forme, de coiffure et de soins esthétiques l’éloignent souvent de sa «couvée», livrée, depuis longtemps aux gens de maison et autres gardiens.
Après avoir fait, sans grande conviction, de laborieuses études supérieures, et sous l’aiguillon d’opportunistes véreux, notre graine de boss va s’essayer aux affaires. Et qui mieux que papa pourrait-il jeter les ponts de la voie royale de la réussite ? Trop compromis pour refuser à ses «bienfaiteurs», un quelconque service, il fera la «taupe» dans le propre fief de son père, candidement convaincu, de l’invulnérabilité de celui ci. Les assistants de papa, s’ingénieront à aplanir toute difficulté susceptible de faire obstacle, à l’entreprise naissante du jeune manager. On fermera, avec bienveillance, les yeux sur certaines exigences réglementaires ou organiques qu’on se promettra de régulariser plus tard. Laudatifs ou parfois sincères, ces coups de pouce consentis à la progéniture du patron, font désormais partie du généralement admis. L’appropriation inconscience de la chose publique, surprend que rarement et semble même se normaliser. Sinon, comment expliquer ses fréquentations assidues d’enfants de responsables de cabinets réputés réservés. Si ce n’est pas le cas, peut on permettre au reste des collaborateurs de jouir des mêmes entorses permissives ? Ces facilitateurs, à qui, il n’a rien été demandé au départ, seront généralement les premiers, à porter l’estocade quand le vent aura tourné. Veule, la cour se reniera pour faire croire qu’elle n’avait pas droit au chapitre et qu’elle croyait servir l’institution sans plus. Certains iront jusqu’à déclarer qu’ils étaient victimes de divers harcèlements. Un vieux dicton du terroir, restitue non sans sagesse, la disgrâce sociale en ces termes : «Le taureau qui choit est vite cerné de coutelas sacrificateurs». Un ancien chauffeur appelé pour témoigner lors du procès de son ex-patron, s’est fondu en larmes pour déclarer au juge qui l’interrogeait, que son patron était inhumain au point où, il lui faisait faire la corvée de l’eau pour son domicile. Abasourdi, l’inculpé cherchera pendant longtemps dans ses souvenirs le bien fondé de cette assertion pour enfin se remémorer, qu’en fait de corvée, il ne s’est agi que d’un seul et unique jerrican de 20 litres d’eau. En voyage ce jour là, il avait demandé téléphoniquement à son fidèle conducteur, qu’il traitait d’ailleurs de la manière la plus correcte qui soit, d’avoir la gentillesse d’amener de l’eau à son domicile pour raison de rupture de distribution. La tendance faussement égalitariste des supérieurs hiérarchiques à frayer avec les subordonnés est probablement l’une des causes de la dérive. La ligne de réserve, tenue et du moins visible, est souvent entamée par des compromissions, d’apparence insignifiante au départ, mais néanmoins préjudiciables. Des responsables de haut rang, dont la fermeté connue pour s’exercer sur les proches collaborateurs, se sont inclinés pour prêter le flanc de manière lamentable, aux caprices d’intrigantes assistantes. Mises dans le secret, elles ne manqueront pas de manipuler la clé, patiemment confectionnée, de la déstabilisation pour se prémunir d’éventuelles mauvaises surprises S’en mordre les doigts après coup, ne sera assurément pas suffisant.
Par Farouk Zahi
Paru sur « Le Quotidien d’Oran »