Saïd Mekbel, l’homme qui a fait «le vœu de ne pas mourir égorgé»*

Redaction

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Plus de 16 ans que Saïd Mekbel nous a quittés. Ceux qui l’ont assassiné le 3 décembre 1994 à Alger ont voulu faire taire à jamais une plume qui gênait. Mais, si Saïd Mekbel n’est pas là physiquement aujourd’hui, il est à jamais dans nos cœurs. Son nom, ses écrits sont pour toujours sur toutes les lèvres. Qui parmi nous peut oublier ses billets satiriques, son humour corrosif, son verbe empêcheur de tourner en rond ? Qui peut oublier El Ghoul et Mesmar Jeha ? Qui peut oublier ce voleur qui…

Saïd Mekbel a collectionné des citations à comparaître et des condamnations. Ses mots faisaient mal, pas au petit peuple dont il est issu mais à toute la classe politique. Engagé dans ses écrits, il l’était aussi dans sa vie de tous les jours. Il le prouvera dans le «comité vérité Tahar Djaout» dont il a été le coordinateur. L’assassinat, 18 mois plus tôt, soit le 26 mai 1993, d’un autre monument de la presse algérienne, Tahar Djaout en l’occurrence, ne pouvait laisser dans leur profonde tristesse Saïd Mekbel et les autres intellectuels du comité. Certains ne sont plus parmi nous aujourd’hui, nous pensons à Mahfoud Boucebsi, à Azzedine Meddour, à Rachid Mimouni, mais aussi à toutes les victimes de la bêtise humaine auxquelles nous vous demandons d’avoir une pensée à l’occasion de cette journée mondiale de la liberté de la presse.

Saïd Mekbel a été assassiné à bout portant par deux terroristes alors qu’il été attablé dans un petit restaurant d’Hussein Dey, à deux pas du journal. L’obscurantisme islamiste avait encore frappé. Plus d’une année avant sa mort, il expliquait sa résolution et celle de ses compagnons du comité «à lancer une tradition pour connaître les vrais auteurs et commanditaires de ces crimes». La quête de vérité demeure encore jusqu’à aujourd’hui.

Le jour de son assassinat, au coin de la dernière page du quotidien Le Matin, Mesmar Jeha a commis un dernier billet. Aujourd’hui, à l’occasion de ce recueillement, nous avons choisi de vous faire tout simplement lecture de ce billet prémonitoire, une façon de rendre hommage au grand journaliste qu’était Saïd Mekbel.

Ce voleur qui, dans la nuit, rase les murs pour rentrer chez lui, c’est lui.

Ce père qui recommande à ses enfants de ne pas dire dehors le méchant métier qu’il fait, c’est lui. Ce mauvais citoyen qui traîne au palais de justice, attendant de passer devant les juges, c’est lui. Cet individu, pris dans une rafle de quartier et qu’un coup de crosse propulse au fond du camion, c’est lui. C’est lui qui, le matin, quitte sa maison sans être sûr d’arriver à son travail et lui qui quitte, le soir, son travail sans être sûr d’arriver à sa maison. Ce vagabond qui ne sait plus chez qui passer la nuit, c’est lui. C’est lui qu’on menace dans les secrets d’un cabinet officiel, le témoin qui doit ravaler ce qu’il sait, ce citoyen nu et désemparé… Cet homme qui fait le voeu de ne pas mourir égorgé, c’est lui. C’est lui qui ne sait rien faire de ses mains, rien d’autres que ses petits écrits. Lui qui espère contre tout parce que, n’est-ce pas, les rosés poussent bien sur les tas de fumier. Lui qui est tout cela et qui est seulement journaliste.

Kamel Medjdoub

Ce Texte a été lu ce matin sur la tombe de Said Mekbel dans le cadre d’une cérémonie de recueillement organisée par l’Association des journalistes de la wilaya de Bejaia (AJB).

(*) Le titre est de la rédaction

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