Je viens d’apprendre qu’une nouvelle drogue circule rapidement et donc très dangereusement dans les cours d’école.
Méfiez-vous de tout ce qui brille. Le « bonbon », par qui le scandale arrive, « scintille », « grésille » et « sautille dans votre bouche ». Cela sent la fraise et les malheureux élèves qui ont eu l’occasion d’y goûter ont du mal à résister. Ils ingèrent cette drogue en pensant que c’est un bonbon et se précipitent rapidement vers l’hôpital dans un piteux état. Les parents d’élèves ne savent plus à quel saint se vouer. Ils s’affolent, s’apitoient sur le sort de leur progéniture, et s’interrogent, la mort dans l’âme, comment l’école, symbole de savoir et de lumières, peut se transformer en plate-forme de toutes sortes de trafics.
La sensibilisation ne suffit pas
Le CLA, syndicat dans l’enseignement secondaire, tire la sonnette d’alarme. « L’école se situe au cœur de la société et, par voie de conséquence, elle n’est pas à l’abri des phénomènes qui traversent la société ». Mais « la victime, ici, est une population très vulnérable sur le plan psychologique: les enfants et les jeunes en milieu scolaire ». Que faut-il, alors, faire pour mettre les élèves à l’abri de ce poison ? Le CLA pense que « toute campagne de sensibilisation, si elle est menée à bien, elle ne peut être que bénéfique ». Une circulaire doit être en voie de préparation pour alerter les parents d’élèves sur le danger. Parfait. Seulement voilà, « la sensibilisation n’est pas suffisante ». Une mobilisation tous azimuts s’impose pour sauver les meubles (de nos écoles). Ou ce qui en reste. Le CLA insiste sur l’implication de toutes les parties concernées par l’affaire : familles, élèves eux-mêmes, acteurs pédagogiques et administratifs, élus et autorités publiques. A noter, au passage, qu’une enquête policière doit être menée actuellement pour déterminer les auteurs, le mobile et les circonstances de circulation de la drogue quelque soit son genre.
« Traiter le mal à la racine »
Au-delà du « bonbon » au goût de fraise, et des résultats auxquels peut donner lieu l’enquête en cours, il y a cet attrait fatal que continue d’exercer la drogue généralement sur nos élèves. Le mal ne disparaîtra, donc, pas avec la disparition du « bonbon » suspect, ni avec la traduction de ses confectionneurs, ou plus encore ses trafiquants, devant la justice. « Il faut traiter le mal à la racine« . Et ce traitement tant souhaité passe, nécessairement, par trouver des réponses à un « festival » de questions lancinantes: pourquoi de plus en plus d’élèves s’adonnent, aujourd’hui, à la drogue? Le recours à la drogue est-il lié au désespoir que suscite la faillite du système éducatif lui-même ? L’inquiétude quant à l’efficacité déficiente de ce système et ses retombées négatives sur la possibilité d’emploi y sont-elles pour quelque chose ? Le contenu pédagogique dispensé actuellement contribue-t-il, réellement, à forger un esprit sauf et autrement vacciné contre la délinquance qui guette nos écoles? La détérioration des conditions sociales, en général, n’a-t-elle pas une part de responsabilité dans le dérapage ambiant ? Beaucoup de questions qui se bousculent dans la tête restent en suspens. Une chose, cela étant, est sûre et certaine : la propagation galopante de la drogue dans nos écoles est à interpréter à la lumière de la faillite du système éducatif national en entier. Car, au-delà de la drogue, d’autres fléaux viennent assombrir davantage le tableau. Le fléau de la prostitution qui prospère à la porte de nos écoles vient en rajouter à la crise des valeurs que connaît notre école.
Pour mesurer comme il se doit l’ampleur du problème, une enquête très sérieuse a été réalisée en milieu scolaire basée sur un questionnaire centré sur les usages, attitudes et opinions relatifs aux substances psychoactives chez les jeunes élèves algériens en milieu scolaire, plus particulièrement ceux âgés de 15 à 17 ans.
L’enquête du CLA
L’enquête s’est déroulée au niveau de tout le pays. Elle cible essentiellement les élèves âgés entre 15-17 ans, quatre niveaux ont été sélectionnés, notamment les trois dernières années des lycées à savoir le tronc commun, la deuxième année et la terminale, ainsi que la quatrième année du collège.
Un échantillon représentatif des lycéens en Algérie a été établi et une moyenne de 36 élèves par classe a été estimée L’échantillonnage a été fait en grappe tout en respectant la représentativité par rapport aux académies, au genre, au milieu des villages ou urbain ainsi que la nature public ou privé du lycée.
Les villes, les établissements et les classes ont été choisis de façon aléatoire. Par la suite, les lycées et les numéros des classes ont été tirés au hasard ciblant un échantillon de plus de 6.000 élèves. Les lycées n’ont pas été avisés du passage des enquêteurs pour éviter tout biais.
L’enquête s’est déroulée dans 14 académies dont 36 villes. 200 classes (30 en milieu des villages et 170 en milieu urbain) ont pu été recrutées au hasard dans 110 établissements différents (22 en milieu des villages et 96 en milieu urbain).
Le nombre des classes de la 4ème année de collège est de 25. Soixante-dix-sept (77) classes sont du tronc commun, soixante-dix (70) de la deuxième année de lycée et 28 de la classe de terminale. A la fin de l’enquête, 6371 questionnaires ont été remplis.
Des chiffres alarmants
LES DROGUES |
Pourcentage |
Usage de tabac |
62,35% |
Alcool |
25% |
Cannabis |
15,% |
Cocaïne |
29¨% |
Psychotropes |
7,5% |
1 / l’usage du tabac
Plus de la moitié des élèves de 15-17 ans (62.35%) ayant fumé des cigarettes durant les 30 derniers jours ont pris moins d’une cigarette par jour tandis que environ 25 % fument plus de 5 cigarettes par jour. Cette catégorie d’usagers réguliers pourrait être déjà concernée par un usage problématique du tabac L’usage des cigarettes reste dans la majorité des cas en phase d’expérimentation.
2 / L’alcool
De l’ensemble des élèves interrogés, 970 soit 25% déclarent avoir pris au moins une fois de l’alcool. Mais la prévalence est de 13,5 % chez ceux qui ont consommés de l’alcool durant au moins 30 derniers jours, soit un total de 131 élèves des élèves, ce qui représente 4,5% de garçons et 0,8% filles.
3 / Le cannabis
Concernant le cannabis, 15,6% des élèves interrogés ont déclaré avoir pris du Cannabis à un moment ou un autre sans lendemain. 8,4% des élèves ont consommé du cannabis occasionnellement durant 12 mois tandis que 8,2% de l’échantillon total l’ont consommé plus régulièrement Cette population de jeunes consommateurs parait être déjà impliquée par un usage régulier ou pathologique. La prédominance du sexe masculin est significative et les chiffres de prévalence augmentent avec l’âge des élèves. La courbe des prévalences est descendante, ce qui plaide en faveur d’un usage du cannabis en phase d’expérimentation
4 / Les psychotropes sans prescription médicale
La fréquence d’utilisation des psychotropes chez les élèves de 15-17 ans relève que jusqu’à 29% des consommateurs de psychotropes durant les 30 derniers jours, en ont pris plus de 5 jours. La majorité des usagers restent des expérimentateurs. Avec une prévalence de 8 % sur la vie entière (5,9 % chez les garçons et 4,6 % chez les filles). Les taux de prévalence concernant les psychotropes ne sont pas influencés par le sexe de l’élève.
5 / La Cocaïne
Concernant la cocaïne, 7,5% des élèves interrogés ont déclaré avoir consommé de la cocaïne durant la vie. La prévalence durant les 12 derniers mois est de 2,5% tandis qu’elle est de 1,9% durant les 30 derniers jours. La fréquence d’utilisation de la cocaïne chez les élèves de 15-17 ans relève que plus de 15% (n=10) des consommateurs récents de la cocaïne, l’ont pris pendant plus de 5 jours, tandis que 52% (n=15) l’ont utilisée qu’un seul jour.
Les autres drogues
Parmi les élèves âgés entre 15-17 ans, 7,6% ont déclaré avoir pris d’autres drogues.
Les autres drogues citées par les élèves étaient les dérivés opiacés dont l’héroïne, l’ecstasy et les produits à inhaler (colles, autres solvants) ainsi que les substances mentionnées sus dessus qui ont été exprimées par d’autres terminologies, comme pour les dérivés du cannabis ( ztla), du tabac ou de différentes familles de psychotropes.
Moyens d’accès à la drogue
56,5% ont déclaré que l’accès aux drogues est très facile, 45,6% trouvent que c’est facile de s’en procurer et seuls 13.2% des élèves rapportent qu’il est très difficile de se procurer les drogues Les élèves déclarent dans 40.5% des cas que la procuration des drogues se fait à l’intérieur des établissements scolaires. 67,8% rapportent qu’elle se fait à proximité de l’établissement et 53.2% déclarent que le lieu de procuration des drogues est au niveau des cafés et vendeurs de tabac à proximité du lycée.
Les fournisseurs de drogues
De l’ensemble de l’échantillon, 75.3% rapportent que les fournisseurs de drogues sont les élèves. D’autres fournisseurs ont été cités dans 23.2% notamment des dealers, les gardiens à proximité des établissements, les anciens élèves… etc.
Les filles ont rapporté que les fournisseurs sont les élèves dans 75.6% des cas, tandis que les garçons l’ont déclaré dans 58% des cas.
En finir avec le laxisme
Au regard de ce que nous venons de voir, il faut avouer que la situation est inquiétante car l’usage de la drogue à l’intérieur de l’école est une réalité qui ne peut laisser personne insensible. Nous sommes tous interpelés, parents, éducateurs, écoles, autorités, société civile, chacun doit assumer ses responsabilité, l’heure n’est plus au laxisme, il y a va de la santé et de l’avenir de nos enfants, des générations montantes en Algérie.
C’est d’autant plus vrai que beaucoup de jeunes lycéens (garçons et filles) s’initient aux drogues au niveau des établissements scolaires.
Bien plus grave, la vente des différentes formes de drogues aux élèves, aux lycéens, aux collégiens s’est tellement banalisée que les dealers arrivent désormais à écouler leur maudite marchandise à l’intérieur même des établissements scolaires.
Des parents démissionnaires
Un enfant qui se drogue, ça n’arrive pas qu’aux voisins, il faut regarder ce qui se passe chaque jour dans sa famille, ne pas hésiter à aller à l’école pour voir où en est votre fils ou votre fille. Parfois bien des surprises peuvent vous attendre. L’attitude qu’adoptent certains parents quand ils découvrent que leurs enfants se droguent est paradoxale, inacceptable et fort inquiétante. Ne pouvant nullement admettre que leur progéniture puissent trahir leur confiance, nombreux sont les parents qui préfèrent se voiler la face. Même quand les preuves sont irréfutables, ils refusent de croire que leurs enfants se droguent. « Je connais mon fils, il ne peut pas faire ça à sa famille », se bornent à croire ces parents. Au lieu de penser aux meilleurs moyens à même de les aider à tirer leur enfant de cet univers, ils préfèrent laisser le temps faire, en se disant qu’un jour il arrêtera. Mais ce jour ne viendra pas sans la confrontation et l’aide de la famille car le degré de dépendance à la drogue n’est pas le même chez tous les jeunes. Les parents ne peuvent aider leur enfant en souffrant en silence et en satisfaisant tous ses caprices en vue d’éviter le pire. Ce pire auquel ils ne pourront pas faire barrage indéfiniment car bien des enfants finissent par sombrer dans la délinquance .En outre il faut noter que la consommation de drogue sous toutes ses formes cannabis, alcool, psychotropes, entraine toujours des réactions de violence de la part de l’étudiant et l’évolution de la situation de la violence en milieu scolaire un fait réel de plus en plus courant au sein des établissements scolaires finit toujours par provoquer des bagarres entres les élèves qui parfois n’hésitent pas à faire usage d’armes blanches. L’élève est tantôt victime tantôt auteur de faits de violence et dans beaucoup de cas c’est l’enseignant qui est agressé par l’étudiant, les exemples sont nombreux et énormément de cas sont devant les tribunaux. A qui la faute ? A la famille ? A la société ? A l’école ? Lorsque la famille ne joue pas son rôle, elle laisse le vide à la déviation, les parents n’ont plus l’autorité sur les enfants et par conséquent, l’école ne peut pas se substituer totalement au rôle des parent, quant aux professeurs ils finissent par perdre également leur pouvoir face aux élèves. Mais les parents qui sont soucieux de l’éducation et de l’avenir de leurs enfants doivent surveiller de près l’avenir de leurs enfants et noter le moindre changement dans leur comportement et leur attitude : l’enfant a les yeux rouges, le regard vague, les pupilles dilatées, le visage pâle, se laisse aller, somnole tout le temps, perd du poids, le goût à la vie, et ses résultats à l’école sont de plus en plus médiocres…
Les parents doivent agir vite avant qu’il ne soit trop tard. Tous les signes anormaux sont à prendre très au sérieux pour agir vite. Mais pour ce faire, les parents eux- mêmes se doivent d’être de bons exemples afin que leurs enfants s’imprègnent des bonnes attitudes dès leurs jeunes âges.
Responsabilité partagée
Que peut penser un père de famille qui apprend que son fils se drogue à l’école au moment où ce même père de famille à tout fait, tout entrepris pour assurer à son fils une très bonne éducation. Il est évident que la responsabilité de l’école est ici engagée. Il ne faut pas qu’on nous dise que le directeur de l’école, que les surveillants, les enseignants ne sont pas là pour assurer la surveillance des élèves, que leur rôle à eux c’est de donner des cours et que tout le reste ne les concerne pas. Personnellement, j’affirme que le directeur d’un établissement scolaire est le premier responsable de tout ce qui se passe à l’intérieur de l’établissement dont il a la charge. Idem pour les adjoints d’éducation, les enseignants, ils partagent tous cette responsabilité par leur comportement. Ils contribuent grandement au pourrissement de la situation et ouvrent grande la porte au commerce de la drogue à l’intérieur de l’école.
Le ministère de l’éducation nationale ne facilite pas la tâche aux enseignants. Un élève totalement bourré est rarement sanctionné, l’enseignant n’a pas le droit de le renvoyer, le directeur de l’école est contraint de fermer les yeux car il est interdit de renvoyer ou même de prendre des sanctions à l’égard de ces drogués qui dans bien des cas n’hésitent pas à agresser les enseignants, à les frapper, les insulter, à casser le matériel. C’est à l’évidence, ce genre de décisions qui sont prises au ministère qui décourage totalement les directeurs des écoles, les enseignants, ce sont aussi les lourdes carences du ministère en matière de prévention de la toxicomanie qui empêchent tous ces acteurs de faire face de manière efficace au développement préoccupant du problème des drogues en milieu scolaire. Le ministère de l’éducation se doit de rectifier le tir, oui à l’éducation pour tous, c’est un droit, mais nul ne peut utiliser ce droit pour envenimer la situation au sein d’un établissement scolaire.
Les directeurs des écoles doivent retrouver un peu de cette autorité qui, autrefois, faisait la renommée de nos écoles. Les enseignants doivent être respectés, les élèves, les collégiens, les lycéens doivent connaître les limites à ne pas dépasser. Dans tous les cas, l’école doit pouvoir assumer pleinement ses objectifs dans le respect total qui lui est dû par tous.
Afin d’éviter d’arriver à ce genre de situation fort regrettable, nous devons tous jouer un rôle dans la lutte contre la drogue et dans ce registre l’information constitue un vecteur privilégié de la lutte contre la toxicomanie auprès des jeunes en milieu scolaire. La logique de prévention doit être centrée sur les conduites à risque, il s’agit d’identifier dès la rentrée scolaire tous les élèves qui se droguent et ceux qui sont susceptibles de le devenir et d’agir très tôt pour leur faire changer d’attitude grâce à une approche qui privilégie l’écoute, l’accompagnement, l’information, l’éducation…
L’information et la sensibilisation doivent conduire les élèves à être acteurs de leur propre santé et à leur faire prendre conscience de leur responsabilité. Les associations spécialisées dans le domaine de la lutte contre toxicomanie peuvent être d’une très grande utilité.
La drogue est un fléau, il faudrait, si l’on veut protéger l’avenir de nos enfants, l’éradiquer le plus tôt possible. Mais pour ce faire, il est important, voire inéluctable, de situer la responsabilité des uns et des autres.
Hakem Bachir professeur de mathématiques au lycée Colonel Lotfi d’Oran