TRIBUNE. Exploitation du gaz de schiste : Des milliers d’agriculteurs algériens bientôt sur la paille

Redaction

Le débat sur la problématique de l’exploitation de gaz de schiste en Algérie a été dominé par ses caractères économique et écologique. Le présent texte n’a pas pour but d’enlever de l’importance aux deux précédents volets. Bien au contraire, il se veut un complément, car dans cette problématique, il ne faudrait pas, à mon sens, occulter un point par rapport à un autre, car « tout est lié ».

Les retombées sociales de cette exploitation sont multiples. Localisons d’abord les futurs gisements qui seront exploités. Sonatrach avance l’existence de sept bassins, concernés par des appels d’offres publiés récemment. En outre, des appels d’offres concernent désormais des régions du nord du pays.

Officiellement, des travaux d’exploration ont été lancés dans le bassin de l’Ahnet, à partir de 2011. Utile de souligner que ces travaux ont été engagés bien avant l’amendement de la loi sur les hydrocarbures, débattue à l’APN en janvier 2013, et entériné via le Journal officiel le mois de février suivant.

Dans un entretien réalisé avec Dr Hocine Bensaad, le spécialiste avertit sur les répercussions négatives que peuvent connaitre les populations du sud, une fois l’exploitation de gaz de schiste lancé. Dans une publication datant de février 2012, l’expert Mohamed Balghouti estime que pour un emploi crée dans l’industrie du gaz de schiste, 10 emplois dans l’agriculture disparaissent. A ce propos, l’analyste financier, Ferhat Aït Ali, souligne que l’exploitation de cette ressource non conventionnelle, mettrait fin à un développement de l’agriculture dans le Sahara. Il estime que le Grand sud algérien renferme en lui la véritable richesse de l’Algérie, entre autre les eaux souterraines. Le professeur Chems Eddine Chitour, directeur du laboratoire des énergies fossiles à l’école polytechnique d’Alger, indique pour sa part, qu’à travers l’exploitation de gaz de schiste, le gouvernement algérien adresse un message à la population, pour lui dire qu’il serait inutile de travailler, ce qui ajoute à la défaillance et la déperdition de la valeur du travail. Pour lui, ce projet est synonyme d’une nouvelle rente. Ce qui incite Dr Sabrina Rahmani à dire qu’il faudrait justement utiliser la rente actuelle pour sortir de la rente. Pour elle, non seulement l’exploitation de gaz de schiste est nocive pour la santé publique, mais elle détruit tout espoir d’un développement de l’agriculture.

Paupérisation programmée

L’agriculture existe depuis la nuit des temps. Elle aura permis à des populations entières de survivre au fil des siècles. Des monarques ont projeté de conquérir de nouveau territoires uniquement pour assurer l’approvisionnement. Aujourd’hui, cela s’est transformé en système de concessions des terres arables. Le Sahara algérien renferme l’une des plus grands nappes phréatiques de la planète. Des spécialistes avancent des chiffres de 50 à 60.000 milliards de mètres cubes d’eau. Le ministère des Ressources table sur une estimation de 40.000 milliards de mètres cubes. D’une donnée à une autre, tout le monde s’accorde à dire que c’est une gigantesque mer d’eau douce.

Ainsi, comme le prouve l’expérience américaine, les nappes phréatiques ne s’en sortiront pas indemnes d’une exploitation de gaz de schiste, qui malgré maitrisée par les majors pétroliers, ces derniers n’arrivent pas à écarter les grands dégâts sur les eaux. Faut-il rappeler dans ce sillage que les États-Unis jouissent d’eaux de surface considérables. L’exploitation de gaz de schiste dans ce pays a toutefois causé des dégâts sur l’être Humain. Des ressortissants américains se soulèvent aujourd’hui contre les compagnies qui ont contaminé leur eau, et qui ont détruit leur environnement immédiat. Des maladies ont été provoquées par cette industrie. Et lorsque les sociétés évoquent la création de 100.000 emplois, ils omettent de souligner la perte de 600.000 postes, sans oublier l’arrêt de plusieurs cultures.

Pour revenir à l’Algérie, les agriculteurs du Sud mettent en exergue leurs préoccupations. L’exploitation de gaz de schiste leur garantir-t-elle un avenir meilleur ? Non. Et pour cause. Le premier élément sur lequel il faut focaliser est justement cette eau de la nappe phréatique. Elle irrigue leurs plantations. Ces agriculteurs, pour la plupart pères de familles, que feront-ils une fois la nappe polluée par la multitude de produits chimiques utilisés dans ce qui est appelé la fracturation hydraulique, ou plus précisément la fracturation hydrauchimique.

L’équation est simple. Nappes polluées, arrêt de l’agriculture, chômage, pauvreté, exode. Dans certains cas, il ne faut pas exclure, dans une minorité, un basculement vers la délinquance de certains enfants. Présenter les cas d’agriculteurs relève de l’exemple. Il ne faut oublier les millions de citoyens Algériens, travailleurs, fonctionnaires, élèves, bergers, etc…..

Que ce soit au Gourara, au Touat, à la Saoura, au M’zab, aux Zibans, au Tidkelt, au Righ, toutes ces régions qui comptent des milliers d’agriculteurs risquent de connaitre une métamorphose démographique et sociale lorsque l’exploitation de gaz de schiste sera entreprise à grande échelle.

Force de souligner que les nappes phréatiques sont interconnectées. Si un bassin hydrique est contaminé, son similaire qui se trouve à 800 ou 1000 km le sera également. À titre d’exemple, si l’exploitation de gaz de schiste est lancée dans le bassin du Timimoun, outre la contamination des nappes locales, celles de la Saoura, connaitront le même sort.

Pour un débat serein

Tout citoyen algérien a le droit de présenter des arguments pour défendre une idée. Ceux qui ne partagent pas les avis des uns et des autres, sont appelés, simplement,  à mettre en exergue leur argumentaire. Quant aux chiffres avancés par l’agence américaine de l’énergie, qui stipule que l’Algérie contient la 3ème réserve de gaz de schiste dans le monde, reste à se demander sur quelle base a été établie cette étude. Car Sonatrach n’a jamais communiqué sur des travaux de prospection d’américains sur le sol algérien.

En attendons la réactivation du Conseil national de l’énergie, le débat demeure ouvert. L’essentiel est qu’il soit constructif.

Mehdi BSIKRI, citoyen, membre du CNLC

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