Tribune libre. Le regard charmé d’un français de passage

Redaction

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« Pourquoi un stage en Algérie? » A un certain moment de la discussion, la question s’est presque toujours posée. « Qu’est-ce que notre pays peut bien avoir d’attirant? » Comble de la surprise, marqueur de toutes les frustrations. Fraîchement débarqué, je ne savais que répondre, si ce n’est que ce sont vraisemblablement quelques circonstances et une vague intuition qui m’ont porté sur l’autre rive de la Méditerranée. Après trois mois, la démarche a pris tout son sens et ma réponse s’est étoffée.

« L’actualité, couche la plus superficielle des choses ». Pendant les trois mois que j’ai passé cet été à Alger, comment les médias français ont-ils parlé du pays? A travers le crash d’un avion d’Air Algérie au-dessus du désert malien, la mort d’un joueur de foot sous les jets de pierre de ses supporters, et l’assassinat d’un touriste français dans les montagnes de Kabylie. Ces quelques épisodes reflètent-ils la réalité que j’ai vécue? Certes la gestion de la compagnie aérienne nationale interroge, la violence est omniprésente dans les stades et quelques poches terroristes subsistent. Mais malheureusement les feux de l’actualité éblouissent et trompent trop souvent le regard. Au grand dam des Algériens. C’est pour eux, pour tous ceux qui m’ont si bien reçu, pour cette masse silencieuse qui s’épuise depuis vingt ans à redorer son image et qui pleure aujourd’hui de voir tous ses efforts brutalement anéantis par l’incapacité, la bêtise ou l’infamie de quelques uns, que je me dois de prendre la plume.

Écrire pour raconter cette chaleur humaine chez nous oubliée et qui fait le sel du quotidien algérois. Ces commerçants qui possèdent toujours en stock une dose de malice ou de bienveillance, ces anonymes qui pimentent vos visites d’inépuisables anecdotes sur leur quartier ; tous ces inconnus qui se font un devoir de vous ouvrir leur foyer ou de vous offrir le repas. Et toujours avec cette même générosité désintéressée, sans jamais chercher à s’afficher ou à obtenir quoique ce soit en retour. Combien de fois n’ai-je pas regretté ma méfiance première, sixième sens que plusieurs voyages dans une Asie ravagée par le tourisme de masse ont acéré, attendant une entourloupe qui n’est jamais venue. En Algérie, même une forte somme d’argent ne semble pas suffire à corrompre un restaurateur qui voudrait fermer boutique ou un chauffeur de taxi bien décidé à rentrer chez lui.

Écrire aussi pour louer cette qualité d’accueil si enchanteresse qu’un étranger oublie bien vite sa condition. Même un français. Malgré la douleur de notre passé commun, je n’ai ressenti aucune rancune, ou alors exprimée par une simple hostilité de façade. « Tu es chez toi, » m’a-t-on même souvent répété; ironie magnifique jetée sur la plaie fumante des relations entre nos deux pays. Mais ce qui n’est qu’une banale politesse en France est une impression bien réelle outre-Méditerranée. Il existe chez les Algériens une spontanéité naturelle qui met de suite à l’aise et qui, je l’affirme d’expérience, sied à merveille à la pratique du couchsurfing. A croire que le concept, comme pratiquement toutes les modes si l’on écoute ce peuple fier, a été lancé en Algérie.

Écrire enfin pour mettre des mots sur la proximité culturelle que j’ai ressentie avec ces « frères algériens ». Cela ne concerne sûrement qu’une frange supérieure de la société, mais à plusieurs reprises la réflexion m’est venue : qu’est-ce qui sépare ces jeunes de mes camarades de classe dans un lycée de province? La langue? Ils maîtrisent parfaitement le français. Les références culturelles? Ils connaissent mieux que moi les programmes de la télévision hexagonale. Non, ce qui fait à la fois leur différence et leur richesse, quoiqu’en pensent leurs dirigeants, c’est justement cette identité multiple, intrinsèquement composite. Celle-là même qui leur permet de réussir, sur le sol français, ce « melting pot » que 132 ans de colonisation n’ont pas suffi à imposer. Celle aussi qui les ramène de plus en plus sur la rive Sud de la Méditerranée, à la recherche de leurs racines, en mal d’insouciance et d’authenticité.

J’aimerais conclure mon propos par une parabole. La scène se déroule rue Didouche Mourad, aux alentours de 19h. A la radio, un auditeur appelle pour se plaindre des bouchons sur la nouvelle route de Chéraga. En une heure trente, il assure n’avoir parcouru que 400 mètres. L’absurdité de la situation me fait sourire, pas mon chauffeur qui éteint rageusement le poste. Les Algériens ont beaucoup d’auto-dérision mais ils sont aujourd’hui excédés. Je ne noircirais pas davantage le trait, d’autres s’en sont déjà largement chargés. En trois mois, le miroir de mes préjugés a volé en éclats morceau par morceau. Mais si mon témoignage prétend à une quelconque valeur, cette petite histoire vient rappeler qu’il doit être considéré uniquement comme le reflet du regard charmé d’un français de passage.

Thibault Bluy