Des vagues humaines vêtues de l’ihram du hajji ondulent d’un pas lent vers la mosquée d’El Haram de la Mecque. Toutes les nationalités s’y sont rejointes pour l’ultime prière, el’Ifadat, celle qui valide les Manassik du Hajj. Les invocations dites en arabe sont prononcées sous de multiples accents relatifs à leurs pays lors de la circumambulation autour de la Kaaba.
Des hommes et des femmes de toutes les contrées du monde se bousculent avec ferveur les faveurs du très haut sous un soleil de plomb. D’incantations en douaates, de versets du Coran en sourates, de lamentations en visages noyés de larmes, les mots parfois distincts, parfois saugrenus s’enchevêtrent dans une énergique procession.
Vue d’en haut, à l’étage supérieur d’el Haram, l’image de la galaxie qui s’enroule et se meut vers un point nommé se caractérise parfaitement. La pierre noire en est le centre lorsque toutes les réactions autour d’elle symbolisent le tangible tourbillonnant vers le supraterrestre. Chaque élément de cette masse dense et opaque est solidaire l’un de l’autre et réclame le maximum de leur dû. Une force spirituelle s’élève sans interruption de jour comme de nuit.
Des asiatiques de l’Ouzbékistan, du Kazakhstan, de l’Afghanistan, du Pakistan, de l’Inde, de la Malaisie, de l’Indonésie, de la Chine, des Africains d’Egypte, du Soudan, de l’Ethiopie, du Kenya, du Tchad, du Niger, du Mali, du Nigéria, de la Guinée, du Sénégal, de la Mauritanie, des pays du Maghreb, des européens de Turquie, de Russie, de Bosnie, de Croatie, d’Albanie, de Macédoine, de France, d’Angleterre etc, récitent des supplications qui s’entrecroisent en des tonalités différentes.
Les peuples du Moyens Orient scandent en chœur et avec force des appels à la gloire où se caractérisent le nom du prophète de l’Islam. Ceux-là ne sont guère dispensés d’ostentation. Les non-arabes répètent en chœur ce que leur chef de groupe récite mot à mot en lisant un livret tenu en hauteur. De peur de se perdre, certaines communautés se tiennent par l’épaule en faisant en sorte de ne pas rompre le lien. Il arrive parfois que des petits groupes font la marche à l’inverse en provoquant la panique dans la foule déjà ivre d’étouffement et de chaleur. Avec leurs corps mince et leurs regards d’aigles, les afghans sont souvent les plus prompts à l’embuscade. Ils donnent l’impression de n’avoir besoin ni de manger ni de boire et ni de dormir. Un islam immatériel les habite. Quelques autres nations se complaisent dans les téléphones portables, les achats autour d’el Haram et les consommations usuelles. Seraient-ils corrompus pour autant ? On n’en demande pas tant !
Assis en tailleur entre deux prières canoniques je prolonge ma méditation, je demeure plus longtemps dans cette position afin de multiplier les bienfaits et pour garder une place de choix parmi les millions de personnes souhaitant prier confortablement face à la Kaaba. Entre deux lectures du Coran et les prières surérogatoires, un besoin de communiquer avec le voisin se fait sentir. Il est du Kazakhstan, de l’Inde, de Russie, du Kenya… La conversation se fait dans un anglais intuitif et ils me demandent tous de quelle nationalité je suis ? Algérien vivant en France, je réponds avec joie. Ah comme Zinedine Zidane me disent tous systématiquement. Est-il musulman ? Me demandent-ils avec la légère appréhension d’être déçus. Je les scrute un instant et sans vraiment savoir, je leur dis en dodelinant de la tête comme un indien le ferait qu’il porte le prénom symbolisant la fleur de la religion et qu’il ne pouvait être que musulman, tout au moins par héritage. Il est certain que beaucoup de ces millions de personnes n’entendent rien au football mais le nom d’un musulman défrayant la chronique du monde dans lequel nous vivons leur donne quelque peu de fierté.
Abdelhafid OUADDA