Abderrazek Boukkeba ou le combat solitaire du journaliste

Redaction

Habillé d’une tunique targuie au couleur bleue, souriant aux passants avec beaucoup de jovialité et d’amabilité en n’hésitant jamais de blaguer volontiers avec ses interlocuteurs, Abderrazek Boukeba arbore une élégance de l’âme qui a beaucoup ému les curieux lesquels se rassemblent autour de lui chaque soir depuis qu’il a entamé sa grève de la faim.

Depuis le 2 mai dernier, chaque jour des citoyens qui passent à côté de la maison de la presse du 1er Mai aperçoivent ce bonhomme qui dit tout haut ce qu’il pense du traitement indigne qu’on réserve au journaliste dans notre pays. Mourir, mais ne jamais émigrer, telle est sa devise avec laquelle il compte sensibiliser tous les Algériens sur le sort tragique qui attend le journaliste dans leur propre pays. Lui qui vient de recevoir une médaille d’honneur en Jordanie récompensant son travail d’animateur culturel, se voit licencier injustement de l’ENTV sans aucun motif.

Non seulement, on lui interdit d’accéder aux bureaux de la télévision, mais on ne s’efforce aussi à ne lui fournir aucune explication sur cette attitude infâme. Lui qui aurait pu trouver un poste d’emploi généreusement rétribué dans un émirat du Golf décide finalement d’entamer un combat pour laver cet affront fait à tous les intellectuels. «Je suis écrivain et journaliste. Je ne suis pas une danseuse de cabaret pour qu’on me traite de cette manière. Je refuse de partir de mon pays et le laisser entre les mains de ces gens. Je veux que tout le monde comprenne que le journaliste a une dignité et que rien ne vaut la Dignité», lance à ses interlocuteurs Abderrazek qui cache son regard derrière une paire de lunettes noire.

L’émotion est certes si intense que le valeureux écrivain journaliste préfère la garder pour lui-même. Mais généreux de nature, Abderrazek n’hésite guère à expliquer aux autres que son mouvement ne concerne guère uniquement son petit égo. Et comme les principes et les valeurs chez cet homme originaire de l’Algérie profonde signifient réellement quelque chose, Abderrazek a refusé catégoriquement le deal que l’ENTV a essayé de lui proposer. Convoqué hier par l’assistante du DG d’El Yatima, Abderrazek se voit proposer d’arrêter son mouvement avec une promesse d’un règlement immédiat de son problème.

«Elle m’a offert un thé ! Je lui ai rappelé donc que je suis en grève de la faim. Elle s’est ressaisie. Mais moi j’étais claire avec elle : je ne négocie rien. J’ai travaillé pendant 23 mois sans être payé. Alors je n’arrêterais ma grève que si on me réhabilite dans mes droits socioprofessionnels», confie notre interlocuteur qui se dit prêt à aller jusqu’au bout de son action.

Pour preuve, il a confectionné d’ores et déjà son testament où il laisse en héritage ses manuscrits et ses livres à un ami écrivain et poète. La faim, la mort ne lui font pas peur. Mais la solitude oui. Lorsqu’il passe la nuit seul devant la maison de la presse, il se pose souvent cette question : mes camarades journalistes resteront-ils solidaires jusqu’à la fin ? Qui est le malin qui sera capable d’y répondre…

Abderrahmane Semmar