Avec un ton drôle, détaché, mais non moins pertinent, « Juste pour dire » est une nouvelle chronique hebdomadaire qui dépeindra l’Algérie et ses paradoxes; l’Algérie profonde et superficielle, merveilleuse et angoissante, aspirante et inspirante, celle des bas quartiers et des grandes résidences, du châab et des hokâam, du pétrole et des bidonvilles, de l’avenir incertain et du passé coincé quelque part entre une fausse histoire et une vraie falsification,… »Juste pour dire », est un espace pour simplement dire ce que les Algériens pensent tout bas.
Par Sâad Doussi
Que l’Algérie est plurielle mais qu’elle ne se conjugue qu’à la première personne du singulier. Je mange. A tous les râteliers. Avec tout le monde. Avec les étrangers, c’est tellement mieux. Je fais mes affaires. Je vole. Je suis corrompu. J’appelle la justice à minuit et j’allume le feu aux pneus quand le besoin se fait ressentir. J’ai quatre nationalités et douze comptes en banque dans des paradis fiscaux. Je possède des biens à Paris, Madrid et New-York mais je suis analphabète trilingue et je m’en fous. Mes enfants étudient dans les écoles françoises et angloises, décrochent des diplômes dans des universités qui ont des campus et non des kasmates. Je parle cash et je signe derrière le dos de l’Algérie. Je porte un costume trois pièces de chez Cardin et j’ai des étoiles plein le portefeuille. Je suis l’héritier de l’Algérie du pétrole, son tuteur légal et son fossoyeur. Parfois le « Je » devient « Nous » mais ça sort pas de la famille, de la tribu. Nous mangeons à tous les râteliers. Nous volons. Nous sommes corrompus…
Que l’Algérie est comme un parking avec des niveaux souterrains. Ou comme un building de béton armé avec les étages près du ciel et les caves humides et froides. C’est une structure pyramidale avec une base millionnaire comme socle et un goulot en guise de tête dirigeante. L’Algérie est un pavillon avec vue sur le jardin et une arrière cour où les cris des enfants ne sont pas les seuls qu’on entend. L’Algérie des uns et des autres. Celle d’en haut et d’en-bas qui donne au ciel et crache au sol. L’Algérie est démocratique, républicaine sur papiers cachés chez un notaire, mort depuis de sa belle mort. Elle appartient au peuple, un peu, pas beaucoup mais seulement à crédit ou sur les frontons des institutions. L’Algérie est indivisible, les bidonvilles et les montagnes pour les uns, le pétrole et les résidences d’Etat pour les autres. L’Algérie est arabo-musulmane et ceux qui disent qu’elle est multilinguistique ou multiethnique sont des contre-révolutionnaires. L’Algérie est née en 1830 aux lendemains de la baffe à l’éventail et son histoire antérieure n’existe que dans les péplums. L’Algérie est un pays fier de son histoire écrite sur les manuels scolaires, de ses présidents et ses ministres. Les députés sont des diplômés de grandes écoles et ne lèvent la main que pour réajuster leurs manches. Leurs salaires sont partagés entre les pauvres et pour semer la bonne parole.
L’Algérie exporte le sang de sa terre, des boat-people et une mauvaise image. Elle importe tout et rien. Rien en particulier. Des voitures pour s’inscrire sur le poduim des assassinés des quatre roues. Des projets pour truster les dernières places du classement des pays les plus corrompus. Des navets égyptiens et des enseignants moyen-orientaux pour éduquer une génération en droite ligne des maquis. L’Algérie est un territoire interdit à la démocratie, aux libertés individuelles et aux marches silencieuses en dehors des heures réglementaires.
Juste pour dire est un espace pour simplement dire ce que les Algériens pensent tout bas.