Algérie : une société face à ses tabous…

Redaction

Dans une société où les valeurs sociales sont corrompues par des idéaux prescrits par l’extrémisme dû à une religion mal assimilée, le radicalisme et la précarité du niveau de vie, le tout mixé à une communauté dont les tabous alimentent les règles de conduites, ayant pour seule contrebalance le comportement hypocrite, l’individu ne vie pas, mais survit.

Une telle société ne peut être que l’exemple d’une parfaite plate-forme à un «para-système» de fléaux sociaux qui coexistent et se propagent, véhiculés par le noyau même de la communauté: la famille.

Il existe des phénomènes qui découragent les institutions, les associations et toute la bonne volonté des algériens. Car, ils n’osent pas les aborder ouvertement à cause du poids des tabous qui les entourent. Il s’agit, notamment, de la pédophilie et du viol.
Ces deux maux provoquent des conséquences directes qui déchirent de plus en plus la société et encouragent par la même occasion, comble du paradoxe, les conditions qui ont permis leur propagation. Il est question notamment de l’avortement, de l’abandon de nourrissons, de la fugue et de la prostitution…

La ville d’Oran est devenue le terrain parfait permettant de constater les entrelacs de ces phénomènes. Il suffit, par exemple de s’installer à la terrasse du café «l’espérance», situé au centre ville, pour observer les choses. Le désespoir se lit facilement sur les visages de dizaines de jeunes filles, de jeunes mamans, et d’une manière plus inquiétante sur les visages des prostituées et autres cas sociaux, dont chacun cache une histoire différente, mais qui souffre du même mal.

A écouter ces histoires, on finit par prendre conscience de l’existence d’un «système de production de victimes» de la société.
On peut, en effet, l’appeler « système » en raison des parcours quasi similaires de ces personnes en souffrance. Il s’agit en gros d’une société parallèle à celle que nous appelleront «normale»* et qui a sert à celle-ci sans toucher à sa morale ni à ses règles.
Meryem est une prostituée. Comme ses sœurs d’infortune, elle s’estime chanceuse d’être encore en vie, de rire de la vie et de s’y accrocher.

Sa fierté est légitime car il s’agit d’une femme qui vit dans une société, faut-il le dire, de machos. Eduquées dans des règles interdisant toute mise à risque du patrimoine familiale, ces femmes qui ont basculées dans la prostitution, perdent au même temps que leur virginité, le respect d’une société intolérante.

Combien de familles se sont disloquées à cause d’une fille, une sœur ou une cousine qui a perdu son hymen dans des circonstances autres que le mariage religieux : pulsion d’ado, rébellion, amour de jeunesse ou pis : à cause d’un viol, une affaire de pédophilie ou d’inceste.
Dans certains cas, un mariage raté peut s’avérer aussi une cause de rejet. La réaction de la famille face à une telle «trahison» est classique : renier la fille.

Certaines personnes racontent ne pas avoir été reniées mais avoir été séquestrées. Les filles sont généralement unanimes à avancer que si leurs familles avaient réagi différemment face à leur cas, leurs sorts auraient été certainement différents, voire meilleurs.
Ce n’est pas faux puisqu’il existe des familles (dont de très conservatrices) qui font le choix d’assumer l’erreur, et passer l’éponge. Tout le monde n’a pas cette «chance». Dans les situations les plus délicates, comme les grossesses illégitimes, le premier reflex est souvent de se débarrasser du fœtus.

L’avortement

Et voici le premier pas à franchir dans un monde quasi parallèle car, pour pouvoir commettre un tel acte interdit par la loi, il faut faire un tour chez des « spécialistes ». Rappelons au passage le texte de la loi en question : l’article 304 du code pénal qui stipule que «quiconque par aliments, breuvages, médicaments, manœuvres, violence ou par tout autre moyen, a procuré ou tenté de procurer l’avortement d’une femme enceinte ou supposée enceinte qu’elle y ait consenti ou non est puni d’un emprisonnement d’un (1) an à cinq (5) ans et d’une amende de 500 à 10.000 dinars. Et si la mort en résulte, la peine est la réclusion de 10 à 20 ans».

Plus explicitement, toute victime face à ce premier examen (l’avortement et l’interdit) se pose des questions: où était cette loi quand j’ai vécu ce que j’ai vécu ?

Pourquoi cette loi n’interdit-elle pas le fait de tomber enceinte ? Et pourquoi nous en souffrons tant si ce n’est interdit que par la famille, la société et pas la loi ?

Ainsi est posée la problématique de la compatibilité de la loi avec la société et sa représentativité, justement, votée par des députés pas du tout représentatifs.

D’après les chiffres recueillis par la presse nationale, nous comptons 80.000 avortements contre 775.000 grossesses par an en Algérie.
Mais enfin, pour procéder à l’acte d’avortement il faut évidemment se rapprocher de personnes ayant une expérience dans le domaine: les prostituées. Un accueil chaleureux est réservé à la victime auprès de cette communauté et une aide désintéressée est apportée dans un esprit d’empathie. Quand on arrive à ce stade, autant dire que la victime a atteint un point de non-retour, ayant pris la fuite ou inventé une histoire pour justifier son «découchage». Souvent, l’avortement bute ne peut se faire pour des raisons financières ou médicales.

Et comme la plupart des personnes sont issues de famille pauvres, ce qui est synonymes souvent à «familles dures» où l’éducation de la fille n’est pas une priorité, la victime peinera à trouver un travail «décent» et se met à rechercher un support social qui lui permettra de garder son enfant et de l’élever par la suite.

La suite de l’histoire est généralement dramatique : faute d’alternative, la victime bascule dans la prostitution avec une facilité déconcertante. «C’est venu comme ça… il m’a proposé de l’argent et j’ai dit oui » témoigne-t-on souvent. Ce scénario n’est pas forcément le même, mais est souvent répété.

Donner la vie et aimer la vie

Elles sont des centaines, des milliers de femmes ou peut être plus à avoir été contraintes de tenir tête à une société se proclamant saine mais qui est l’origine même de ce «fléau».

La question qu’on se pose à présent est: par quel mécanisme la morale, (auto) instaurée sur des fondements nobles et divins souvent, puisse-t-elle laisser émerger autant de tabous favorisant un tel fléau?

Si Montesquieu disait que «les lois sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses…», alors pourquoi la tolérance s’impose dans de différentes sociétés à des degrés différents?
Pourquoi nous, en Algérie, comportons-nous différemment face à un même phénomène par rapport à notre environnement social -il suffit, dans plusieurs cas constatés, au père de changer de ville et d’entourage pour accepter la grossesse de sa fille- ?

Tant de questions auxquelles les études du centre de recherches anthropologiques d’Oran (CRASC) a apporté des réponses. Mais les résultats de ses recherches demeurent inaccessibles au grand nombre, par manque de campagnes de sensibilisations et des travaux de proximité.

La pédophilie

La volonté des autorités est légèrement plus manifeste quand il s’agit de la pédophilie. Des cellules de proximité existent dans le pays ; des cellules d’écoute et autres dispositifs sont mis en place pour la prise en charge des cas signalés.

Mais il n’existe pas en revanche de chiffres officiels sur les ce phénomène, hormis quelques maigres données discutables rendues par la gendarmerie nationale à différentes occasions.

En effet, les médecins urgentistes du CHU d’Oran confessent qu’il y un nombre alarmant de cas de pédophilie qui se déclare quotidiennement. Cependant, les familles (parents) préfèrent étouffer l’affaire dans l’œuf pour éviter la honte et «garantir une vie normale sans précédent à l’enfant», avec l’espoir que le temps fasse son travail.

Toutefois, selon les propos d’un médecin aux urgences médico-chirurgicales du CHU d’Oran, si les victimes sont des filles, «les parents auront moins de mal à réagir à l’acte et déposer leurs plaintes tout en poursuivant les stades de l’affaire en justice». Curieux comportement qui reflètent encore une fois la vision paradoxale et ambigüe de la famille algérienne face à de tels fléaux existant pourtant dans les sociétés les plus «avancées».

En matière de chiffres, le plus récent des phénomènes segmenté entre réalité sociale et légende urbaine est celui des rapts d’enfants qui a fait l’actualité en début 2008. En réagissant aux appels des citoyens, la gendarmerie et la police affirmaient que le phénomène n’était pas aussi important que cela puisse paraître comparativement aux violences sexuelles subies par les enfants qui, elles, connaissent une hausse inquiétante.

C’était l’occasion d’attirer l’attention sur la pédophilie. La police a enregistré 146 détournements de mineurs, en 2007 dont 3 affaires d’enlèvement suivies de demande de rançons qu’elle a solutionnées et dont les auteurs avaient des liens de parenté avec la famille. Par ailleurs, il a été fait état de 2 cas de rapt suivis de violences sexuelles puis d’assassinat en 2007, et de 2 autres durant les trois premiers mois de l’année en cours.

Pour sa part, la gendarmerie nationale révèle 4 enlèvements suivis de viol, en 2006, 2 en 2007 et 6 en 2008.

Pour faire face à cette situation, les services de la police et de la gendarmerie ont créé des brigades des mineurs qui travaillent surtout sur la pédophilie. Des fichiers de présumés pédophiles sont sur le point d’être finalisés, pouvait-on lire dans la presse nationale. Aussi, il est question que mesures soient prises pour réduire le temps des prises d’otage et éviter les assassinats.

Mais à chaque rencontre, les responsables de sécurité (gendarmerie et police) font savoir que la complexité de la prévention et de la lutte contre la pédophilie est due à la sensibilité du fléau en raison du poids des tabous.

Les services de sécurités affirment par ailleurs que les pédophiles peuvent être répertoriés dans un fichier et qu’ils sont multiples et correspondent à toutes les classes socioprofessionnelles.

Cependant, il est reproché aux chargés de la prévention de ne pas recourir aux supports médiatiques comme la télévision et la radio nationale, qui pourraient s’avérer efficaces.

Il est évident qu’aucun progrès ne peut être réalisé, si le voile n’est pas levé sur le phénomène et si les tabous ne sont pas brisés. Ces phénomènes se nourrissent avant tout de l’omerta qui les couvre et des paradoxes d’une société qui entretient un rapport au sexe de plus en plus débridé.

Redouane Benchikh

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