Cette modeste analyse se veut une contribution au débat national qui engage l’avenir de l’Algérie mais également toute la région méditerranéenne et le Sahel
1- L’histoire étant le fondement de toute connaissance et actions, au lieu de se livrer à des discours chauvinistes hystériques d ‘un autre âge et aux promesses utopiques auxquelles plus personne ne croit, les candidats aux élections législatives du 10 mai 2012 ont–ils analysé réellement les politiques socioéconomiques de 1963/2012 afin d’en tirer les leçons pour l’avenir ? Les forces sociales conservatrices et réformistes souvent antagoniques, tenant compte du poids de l’Histoire, sont le moteur de la dynamique ou de la léthargie de toute société.
Comment ne pas se remémorer les promesses des dirigeants politiques algériens qui ont présidé aux destinées du pays au nom de la légitimité historique – encore – quand certains évoquent récemment, pour ceux qui veulent bien les entendre, la fin de « l’Etat de la mamelle », puis celle de la légitimité révolutionnaire. Cela signifie surtout que le pouvoir bienfaisant comme contrat politique implicite par les tenants du « socialisme de la mamelle » afin de légitimer l’échange d’une partie de la rente contre la dépendance et la soumission politique – et qui efface tout esprit de citoyenneté active –, ce pouvoir donc doit céder la place à un autre pouvoir veillant à la norme du droit et de la morale, qui doit reprendre sa place pour légitimer le véritable statut de la citoyenneté.
2- Souvenons-nous, en 1962, de la domination idéologique du communisme, l’hymne à la liberté chantée dans les rues de l’ensemble de l’Algérie indépendante, les espoirs suscités par le socialisme spécifique à l’algérienne, l’autogestion des domaines des colons qui devait élever la production, restituer les paysans dans leur dignité, lutter contre l’injustice sociale, mais aussi les luttes de pouvoir entre l’Intérieur et l’Extérieur des différents clans.
En juin 1965, c’est un coup d’Etat et le discours du sursaut révolutionnaire, du fait que l’Algérie serait au bord de la faillite. Et voilà qu’après la mort du Président après une longue maladie et une lutte de pouvoir qui se terminera par un compromis, et la venue d’un nouveau président, qu’en 1980, nous apprenons que cette expérience a échoué. L’Algérie ne connaît pas de crise économique selon les propos télévisés un d’ex Premier ministre, crise qui touchait à l’époque les pays développés avec un baril équivalent à 80/90 dollars, en termes de parité de pouvoir d’achat 2010.
C’est alors l’application mécanique des théories de l’organisation, car les grosses sociétés nationales ne seraient pas maîtrisables dans le temps et l’espace. Mais, la population algérienne contemple, en 1986, l’effondrement du cours du pétrole, les listes d’attente et l’interminable pénurie : et c’est toujours la faute de l’extérieur. Octobre I988, conséquence de la crise de 1986 qui a vu s’effondrer les recettes des hydrocarbures des deux tiers, contredisant les discours populistes. On assiste au début timide d’une presse libre et d’un multipartisme que l’on tente de maîtriser par l’éclosion de Partis (une famille pouvant fonder un parti avec des subventions de l’Etat) avec la naissance d’une nouvelle Constitution en 1989 : Et c’est la valse interminable de chefs de gouvernement et de ministres, changements successifs dû à la profonde crise qui secoue le pays.
Viendront ensuite les élections d’un Président axées sur le rassemblement, pour sortir le pays de la crise et une nouvelle Constitution (1996). Fait nouveau et important, elle limite à deux les mandats présidentiels, étalés sur cinq années. C’est à cette période que naît le Parti le rassemblement national démocratique (R.N.D) dont le fondement du discours est la lutte anti-terroriste, et qui raflera presque tous les sièges après seulement huit mois d’existence, tant de l’APN que du Sénat, au détriment du Parti FLN, succès qui provoquera par la suite des protestations interminables et une commission sur la fraude électorale dont les conclusions ne verront jamais le jour.
Les parlementaires du fait de la situation sécuritaire de l’époque, auront surtout pour souci de voter pour soi même des rémunérations dépassant 15 fois le SMIG de l’époque, alors que la misère se généralise. Ce président démissionne et des élections sont programmées le 8 avril I999 avec l’élection d’un président qui promet de rétablir l’Algérie sur la scène internationale, de mettre fin à l’effusion de sang et de relancer la croissance économique pour atténuer les tensions sociales – ce qui sera matérialisé plus tard par le référendum sur la réconciliation nationale.
En novembre 2008 est amendée la constitution, non par référendum mais à la majorité des deux chambres. Cet amendement ne limite plus les mandats présidentiels. Comme récompense et certainement avec la bénédiction de certains clans du pouvoir, comme leurs prédécesseurs, les députes et sénateurs se feront voter un salaire de plus de 300 000 dinars par mois. Dans la foulée l’élection présidentielle s’est tenue le 9 avril 2009 : l’ancien président est réélu pour un nouveau mandat de cinq années (2009 / 2014) en promettant la création de trois millions d’emplois durant cette période et d’augmenter le pouvoir d’achat des Algériens. C’est durant cette période que nous assistons à des déballages sur la corruption qui a d’ailleurs toujours existé depuis 1963 mais qui prend des proportions alarmantes avec une corruption socialisée. Elle touche la BADR, Khalifa, la BCIA, BNA, BEA, BDL, bon nombre d’agences du CPA et d’autres banques et d’entreprises publiques dont Sonatrach, et le projet de l’autoroute Est-Ouest. Bien entendu cette corruption touche presque tous les autres secteurs de l’économie nationale ce qui a fait dire aux observateurs que le risque est de passer de l’ancien terrorisme à un autre, la corruption, plus mortel et suicidaire pour le pays.
3- Le constat entre 2000/2012 est le gel des instituions et une dépense monétaire sans précédent sans se préoccuper des impacts et des coûts. Gel de la Cour des Comptes, du conseil de la concurrence, un parlement sans aucune prérogative, sinon des députés qui lèvent la main, un programme de 280 milliards de dollars entre 2010 et 2014 mais dont 130 sont des restes à réaliser des projets non termines de 2004/2009.
La question qui se pose est la suivante : l’Algérie aura-t-elle la capacité d’absorption de cette importante masse monétaire sinon de continuer à placer cette rente pour plus de 90% à l’étranger à un taux d’intérêt presque nul ? Ne risque-t-on pas d’assister au divorce entre des objectifs ambitieux et les moyens de réalisation limités, du fait de la faiblesse d’une régulation claire, du manque de visibilité et de cohérence, ainsi que faute d’institutions adaptées à la transition et à l’accélération de la mauvaise gestion ? Ainsi, à travers ce cheminement historique qu’en 2012, les véritables producteurs de richesses sont découragés, le savoir dévalorisé au profit des rentes destructrices , 98% des exportations sont constituées des hydrocarbures à l’état brut et semi brut , devant devenir importateur de pétrole dans 15 ans et de gaz conventionnel dans n25ans tenant compte des nouvelles mutations énergétiques mondiales, des coûts , de la forte consommation intérieure et important 70/75% des besoins des entreprises et des ménages.
C’est le syndrome hollandais alors qu’un ancien ministre des finances en mal de publicité parle faussement d’économie semi émergente en contradiction avec la majorité des rapports internationaux. D’ailleurs c’est la cacophonie gouvernementale pour différents dossiers que l’on ne maitrise pas, avec des discours contradictoires. L’exode de cerveaux et la fuite de capitaux s’amplifient malgré ces séminaires sur la diaspora à coup de millions de dollars, un opérateur, un cadre ou intellectuel étant liés au sort de leurs concitoyens, devant retenir le peu qui existe déjà.
La valeur du dinar sur le marché parallèle continue de dégringoler pour ce coter depuis une année entre 140/150 dinars un euro reflétant une importante fuite de capitaux par manque de confiance en l’avenir de ceux qui ont amassé des fortunes. La sphère informelle liée à la logique rentière contrôlant 40% de la masse monétaire en circulation où tout se traite en cash et 65% des produits de première nécessité continuent de s’étendre et avec elle la corruption.
Les tensions inflationnistes que l’on essaie de comprimer par des subventions mal gérées et mal ciblées s’amplifient, entrainant une détérioration du pouvoir d’achat de la majorité de la population algérienne, les tensions sociales étant différées par le versement de salaires sans contreparties productives et paradoxalement par le regroupement familial ( crise de logement).
Sans avoir une vision de sinistrose car bon nombre de réalisations depuis l’indépendance politique, mais beaucoup d’insuffisances, force est de constater qu’en 2012, le blocage est d’ordre systémique et c’est l’’échec relatif de la politique économique malgré une aisance financière jamais égalée depuis l‘indépendance politique. Nos politiques ne savent que dépenser, loin des préoccupations d’une bonne gestion, ce qui a fait dire à la directrice du FMI récemment que l’Algérie dépense sans compter. Dès lors durant cette période de transition qui dure depuis 1986, l’instauration d’un État de droits et les réformes sont timidement entamées malgré des discours moralisateurs que contredisent journellement les pratiques sociales.
Comme conséquence, résultats de la pratique de plusieurs décennies et non seulement de la période actuelle, nous assistons à des tensions à travers toutes les wilayas contre la hogra, la corruption, le mal vivre –, d’une jeunesse dont le slogan « nous sommes déjà morts ! »- traduit l’impasse du système économique rentier à générer une croissance hors hydrocarbures, seule condition d’atténuation des tensions sociales pour faire face au malaise social croissant.
Nos responsables ont-ils analysé le désespoir des harragas, ces jeunes qui, souvent avec la complicité de leurs parents, bravent la mort et l’impact de l’exode, partageant le rêve de s’enfuir du pays, comme en témoignent, de l’aube au crépuscule, les longues filles d’attente auprès des ambassades pour la demande de visas.
L’Algérie a besoin d’un sursaut pour éviter la dérive horizon 2015/2020. Elle a besoin, tenant compte de la transformation rapide du monde, d’une autre gouvernance et surtout de la valorisation de la connaissance , qui est le fondement du développement du XXIème siècle.
Sans une autre gouvernance, devant permettre un développement s’insérant dans le cadre du Maghreb, pont entre l’Europe et l’Afrique, du fait des politiques socio –économiques mitigées de 1963 à 2012, l’Algérie risque l’implosion sociale, horizon 2020. Avec le risque d’une poussée de la misère et de groupes extrémistes qui se nourrissent de cette misère , produit du système actuel, et du fait de la situation géostratégique de l’Algérie, cela aura comme impact une déstabilisation du bassin méditerranéen et du Sahel, d’une implosion intérieure en Algérie, différée à court terme par la distribution de la rente des hydrocarbures.
Dr Abderrahmane MEBTOUL