Il y a d’abord eu ce photo-montage du visage d’Oussama ben Laden tuméfié. Puis l’annonce de la disparition de sa dépouille, plongée quelque part au milieu de l’océan. Enfin, passé le choc de l’annonce de sa mort, la joie des uns et la perplexité des autres ont laissé place aux questions.
Pourquoi lancer l’assaut maintenant, alors que Barack Obama vient de relancer sa campagne en vue des prochaines élections et annoncer un progressif retrait des troupes d’Afghanistan? Pourquoi se serait-il caché dans une «luxueuse villa» à proximité d’une école militaire pakistanaise ? Pourquoi l’avoir tué, alors que si, vraiment, «justice avait été faite», l’icône de la terreur aurait du répondre de ses actes devant un tribunal? Pourquoi s’être débarrassé si rapidement de son corps, pourquoi avoir choisi de l’immergé en mer sans que ne circule une seule photo de la dépouille ?
De même, jamais nous ne saurons si Ben Laden s’est défendu et si les tirs américains entrent dans le cadre de la légitime défense, ou si l’assaut visait son assassinat pur et simple, laissant planer le doute de la légalité, en termes de droit international, de cette opération. Ces points d’interrogation sont autant d’espaces d’interprétation dont se saisissent certains pour élaborer des hypothèses conspirationnistes diverses et variées. Les requêtes du moteur de recherche Yahoo ! en attestent : les mots clés «Ben Laden pas mort» ou «Ben Laden toujours vivant» sont en tête du classement de lundi.
Ben Laden, mort encore une fois…
Parmi ces thèses, l’affirmation que Ben Laden n’était qu’un valet de la CIA mort depuis plusieurs années, dont Washington se servait habilement pour justifier des décisions largement controversées, comme la guerre en Afghanistan. C’ est celle défendue par Cindy Sheelan, militante pacifiste notoire, qui affirme, comme on peut le lire sur le New York Magazine, qu’il est « stupide » de croire que Ben Laden est mort (voir la source ici). Selon elle, la «disparition» du corps est une façon bien commode de couper court aux questions.
Cette militante, qui avait installé en 2005 un campement anti-guerre sur la propriété de George W. Bush au Texas, conteste les éléments fournis par les autorités en s’appuyant sur des déclarations de l’ancienne présidente du Pakistan Benazir Bhutto, qui avait affirmé en 2007 que Ben Laden était déjà mort.
Une excuse pour déclarer la guerre au Pakistan ?
Gideon Rachman, un journaliste du Financial Times, admet sur son blog que les circonstances de l’assaut représentent du pain béni pour les conspirationnistes (ce qu’il semble toutefois regretter): «Si vous êtes un républicain adepte de la théorie du complot, vous avancerez peut-être que tout cela est fait pour assurer à Obama sa réélection». D’autres n’hésiteront pas, selon lui, à affirmer que l’annonce de la mort (fictive) de Ben Laden ne sert que d’«excuse pour déclarer la guerre au Pakistan et saisir leurs armes nucléaires». «Incroyable? Pas du tout. Je donne 24 heures avant que ces théories commencent à circuler». Bien vu. (Voir la source ici).
Ben Laden encore vivant ?
Les talibans afghans déclarent ne pas croire à la mort de Ben Laden en l’absence de preuves formelles, d’après des propos recueillis par Geo TV (voir la sourcie ici). Zabiullah Mujahid, porte parole de l’organisation terrorriste, a d’ailleurs affirmé que «cette information ne provient que d’une source, du bureau d’Obama, et l’Amérique ne fournit aucune preuve pour étayer cette thèse».
Des théories du complot favorisées par le contexte médiatique
Pour Bruno Fay, l’auteur de «Complocratie», interrogé par le site du Nouvel Observateur, rien de moins surprenant que cette explosion de théories : «C’était un personnage mythique qui nourrissait déjà les théories du complot ». De plus, l’époque favorise ce genre de spéculations : «cette société de désinformation et de mal information, d’où qu’elle vienne, des milieux privés, politiques, médiatiques, nourrit cette crise de confiance. C’est le problème de notre époque, dans laquelle l’information circule rapidement et où les médias n’ont plus le temps de vérifier et de creuser. Cela laisse la place à toutes les interprétations, d’autant plus que le temps de la justice ne correspond plus au temps de l’information. Impatients, les citoyens vont donc chercher la vérité ailleurs».
Comme le rappelle une série sur Hitler diffusée sur History Channel et citée par le site ABCnews.com, «sans la dépouille, la marge laissée aux spéculations semble sans fin»
Source : lematin.ch