Ce que nous proposons pour une Lybie prospère et démocratique

Redaction

Par Pr Abderrahmane MEBTOUL et Camille SARI, Experts internationaux*

Nous ne sommes pas utopiques. La démocratie dans les pays arabes ne se fera pas du jour au lendemain. Les prix Nobel institutionnalistes d’économie ont montré récemment clairement que de nouvelles institutions prennent du temps pour leur efficacité. Ce qui donne l’impression d’anarchie à court terme mais ce ne sont que des illusions entretenues par les tenants de l’ancien système (après moi le déluge, l’homme providentiel) alors que les institutions dictatoriales créés administrativement n’ont aucune ou peu légitimité.

Au contraire les instituions démocratiques s’insérant dans le cadre d’une nouvelle régulation politique, sociale et économique sont porteuses d’un développement durable car assurant la symbiose Etat/citoyens.

Oui, le plus difficile attend les libyens celui de la construction du pays tant sur le plan politique qu’économique. La Libye n’a pas d’institutions au sens véritable du terme. Elle n’a pas également de véritable économie exceptée le pétrole.

1- La situation économique actuelle

La Libye est territoire qui représente plus de trois fois la France, mais 98% du territoire sont le désert. Elle s’étend sur 1 759 540 kilomètres carrés, ce qui la place au quatrième rang africain et au dix-septième rang mondial. Sa population est estimée entre 6 et 8 millions d’habitants. Elle se concentre sur les côtes, l’intérieur du pays étant désertique. Sa capitale, Tripoli avec 1 682 000 habitants, devant Benghazi 1 180 000 habitants et Mistrata avec 400 000 habitants.

la Libye a été colonisée par les Turcs au début du XXème siècle, puis par l’Italie avec la conquête de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque entre septembre 1911 et surtout avec l’arrivée de Mussolini, en 1922 avec Omar al-Mukhtar, figure emblématique de la résistance libyenne. En 1934 Mussolini réunifie les provinces de la Tripolitaine et la Cyrénaïque auxquelles il rattache le Fezzan, mais Idriss al Senoussi organisant la résistance , la Libye accède à l’indépendance le 24 décembre 1951 et Idriss al Senoussi est proclamé roi.

Dans la foulée, en 1952 avec l’arrivée de Nasser, le 1er septembre 1969, le colonel libyen, Mu’ammar Kadhafi, renverse la monarchie et s’installe aux commandes du pays avec une population ui était à l‘époque d’environ 1,5 millions d’habitants.

Avec un PIB de 59,1 milliards de dollars en 2009, l’agriculture n’occupe que 2,1%, contre 81,7% de l’industrie et 16,2% en services. Le taux de croissance était de 7,3% en 2008, contre 5,8% en 2007,et il était prévu avant les évènements une prévision de plus de 8% entre 2010/2012. L’inflation était officiellement à 12% en 2008, mais en réalité elle dépasse les 16%. Les importations en 2008, qui étaient de l’ordre de 11,5 Mds de dollars, étaient constituées essentiellement des produits agroalimentaires, des biens d’équipements industriels, des véhicules et des biens de consommation. Alors que les exportations s’élèvent à 45,2 Mds de dollars en 2009 dont 97% sont composées des hydrocarbures et des produits para pétroliers (chimie) dont l’exploitation et la gestion incombe à la National Oil Company (NOC – www.noc.ly). Les destinataires en 2009 de celles-ci sont en valeur : l’Italie (37,1%), Allemagne (13,1%), Espagne (8,2%), USA (7,4%), France (6,6%), Chine (3,4%), Chine (4,5%), Suisse (3,3%).

La Libye a importé en 2009, principalement d’Italie (21,1%), d’Allemagne (8,2%), de Chine (8,2%), de la France (5,9%), de la Tunisie (6,30%), de la Turquie (6,1%), des USA (5,2%), du Royaume Uni (3,9%), de la Corée (4,1%), de la Grèce (3,1%). Même si le commerce extérieur de la Libye évolue en dents de scie selon les grands contrats, l’Italie, l’Allemagne et surtout la Chine restent toujours en tête des fournisseurs.

Les hydrocarbures sont l’unique richesse du pays. Avant les événements, la production de pétrole représentait 1,6 million de barils par jour. Elle a chuté le 25 aoùut 2011 à environ 60 000 barils. La Libye est le deuxième producteur de pétrole brut en Afrique après le Nigeria et devant l’Algérie, disposant de la plus grande réserve de pétrole en Afrique estimée à 46,4 milliards de barils en 2011.

La Libye dispose également de réserves importantes de gaz naturel (1 548 milliards de m3) qui sont jusqu’à présent peu exploitées : 28 milliards de m3 (2009) sont produits et la moitié est utilisée dans le pays, en particulier dans des centrales de production électrique. Membre de l’OPEP. La Libye prévoit d’augmenter sa production à 3 millions de b/j à l’horizon 2012-2015. Environ 75 % des recettes budgétaires proviennent du secteur pétrolier. Mais elle est également un pays gazier faiblement exploité, s’élèvent à 1500 milliards de m3, occupant ainsi le 25ème rang mondial en termes de réserves prouvées.

2- Un Etat riche et une population pauvre

Le PIB par tête d’habitant dépassait 14.000 dollars en 2010, selon le rapport e la CIA World Factbook au 01 janvier 2011, la Libye étant le premier pays africain et arabe en terme d’indice de développement humain (IDH de 2010), ayant un IDH à 0,847, ce qui en fait le premier pays du continent africain, le premier du monde arabe, et le premier du monde musulman.

Pour comparaison, ces chiffres placent la Libye au niveau des pays de l’Europe de l’Est, et devant la Russie, le Brésil, la Chine. Que penser de ces indicateurs économiques ? Comme pour la Tunisie, ces mêmes rapports internationaux tant du FMI , de la banque mondiale que de l’OCDE , se sont encore trompés omettant d’analyser la répartition spatiale très inégalitaire, la répartition du revenu et le modèle de consommation par couches sociales se limitant à des indicateurs globaux de portée opératoire limitée ce qui explique les révoltes populaires.

C’est le constat après la chute des régimes égyptiens, tunisiens et libyens où les familles de ces dictateurs et leur entourage s’accaparent la richesse de leur pays en se refugiant sous le couvert de discours dits nationalistes, de l’anti-impérialisme. Mais ces discours sont pour la consommation interne ( les étrangers connaissant parfaitement les comptes de ces dirigeants) ne trompent plus la population locale confrontée à des conditions difficiles de leur vie quotidienne. Le cas libyen n’échappe pas à cette règle: un Etat riche avec une population majoritairement pauvre.

Seïf Al-Islam, longtemps présenté comme le dauphin de Mouammar Kadhafi, contrôle les secteurs stratégiques des hydrocarbures via le groupe public One-Nine Petroleum et de la presse à travers One-Nine Group. Aucune publication ne peut exister sans l’accord de cet organisme intimement lié au premier cercle du pouvoir en Libye.

Autre domaine sensible : les télécommunications, où c’est donc Mohamed Kadhafi, un autre fils du leader libyen, qui contrôle ce secteur. Pour l’immobilier c’est un autre fils de Kadhafi, Saâdi, qui le contrôle. oEn 2006, il avait lancé la construction d’une ville située dans une zone à forte valeur touristique. Et surtout c’est la famille qui contrôle les fonds souverains gérés par la Libyan Investment Authority (LIA) estimés à 75 milliards de dollarset plus de 150 milliards si l’on inclut les investissements étrangers de la Banque centrale, sans compter les placements occultes.

La limitation drastique des libertés individuelles avait comme objectif d’empêcher la constitution d’élites pouvant contester le pouvoir en place. C’est la même logique qui a prévalu en ne redistribuant pas la manne pétrolière. On estime que la famille Kadhafi a eu à gérer 1000 Mds de dollars durant ses 42 ans de règne

3- Dépasser l’entropie actuelle pour une Lybie moderne

Lorsqu’on connaît les richesses de ce pays on est frappé par le contraste entre le standing des constructions, très rustres et la modestie des conditions des lybiens où sur une population active de 2,5 millions 30% sont au chômage pour deux raisons : les femmes sont au foyer (77% des actifs sont des hommes) et les subventions accordées aux citoyens ne les incitent pas à aller au travail.

Pour les travaux pénibles et les tâches ingrates, ce sont les employés Marocains, Egyptiens, Tunisiens, Algériens, Africains ou Asiatiques qui s’en chargent. 50 % de la main-d’œuvre est étrangère (Afrique, Maghreb, Asie). Nous ne sommes pas pessimistes. La Lybie a des potentialités énormes surtout en ressource humaines, richesse bien plus importantes que toutes les ressources en hydrocarbures. Sans entrer dans les détails nous nous en tiendrons aux axes directeurs.

1)
Le pétrole est la clé de l’économie libyenne. Ce qui suscite bon nombre de convoitises occidentales. Cependant, l’industrie pétrolière souffre de l’absence d’une politique d’investissement ambitieuse et sur le long terme. La nouvelle direction du pays doit s’atteler à élaborer un plan de développement sur 20 ans, loin des intérêts des grandes compagnies pétrolières. Par ailleurs, une mauvaise utilisation des revenus pétroliers et leur accaparement par une minorité, voire une famille, n’a pas eu de retombées significatives sur ses populations.

2) la principale richesse de la Libye ce sont ses enfants qui aspirent à la démocratie, au respect et à la justice sociale. Afin que les Libyennes et les libyens participent à l’édification d’un Etat moderne et prospère, la priorité des priorités c’est de remettre à plat tout le système éducatif du primaire jusqu’à l’enseignement supérieur. Les transports sont à améliorer (il n’y a pas de ligne ferroviaire). Le secteur du tourisme a été délaissé car Kadhafi ne voulait pas que son peuple s’ouvre sur l’étranger. Le pays recèle des trésors insoupçonnés; une côte aussi large que propice à des complexes touristiques. Les vestiges romains sont à mettre en symbiose avec ceux de Tipaza (Algérie) ou le Loukos et Volubilis (Maroc). Les infrastructures devraient favoriser le développement d’une activité soutenue.

3) la gestion des entreprises était opaque avec une main mise des enfants de Kadhafi. Un nouveau management stratégique et gouvernance s’impose. Cela passe par la formation et l’émergence de pôles de formation publics et privés. Des dispositifs de lutte contre la corruption doivent être mis en place dans la foulée de la dynamique révolutionnaire. Le système bancaire doit être réformé en profondeur afin de le rendre compatible avec les standards internationaux.

Le problème pour la jeune République libyenne et son ennemi sera le temps. Il sera nécessaire de nouer des relations de coopérations internationales, en privilégiant des accords avec des sociétés et banques maghrébines.

4) Le système Kadhafi a empêché la formation d’une démocratie parlementaire avec une constitution et des institutions élues. Les partis politiques sont absents. L’une des tâches immédiates du CNT est de faire adopter une nouvelle constitution et d’organiser des élections libres avec l’acceptation de tous, de l’alternance, un régime parlementaire où le premier ministre serait issu d’une majorité parlementaire qui aura la confiance du parlement et doit gouverner en application du programme pour lequel il a obtenu les suffrages du peuple.

Le président jouera le rôle d’arbitres, de garant des institutions, de l’intégrité territoriale, des libertés individuelles et de la représentation nationale dans les instances internationales. Il assurera la continuité de l’Etat en toute circonstance et du multipartisme, de l’Etat de droit et du respect de la constitution. Il sera le dernier rempart contre l’obscurantisme et les velléités par un ou des partis de supprimer le fonctionnement démocratique des institutions. Le chef d’Etat est également le garant du respect des traités internationaux, notamment ceux portant sur les droits humains, de la femme et des enfants. Les citoyens doivent avoir leur destin en main en élisant une majorité et en la remerciant en cas d’insatisfactions par rapport à leurs attentes.

Enfin le destin de la Libye est lié à son environnement géographique proche, le Maghreb. Les peuples de cette région ont témoigné et témoignent de leur attachement à l’union. La crainte de « bouleversements incontrôlables » qu’impliquerait une dynamique unitaire, nécessité historique et économique est à l’origine d’un conservatisme stérile et contraire aux intérêts des populations.

Nous croyons fermement que la démocratisation de la région favorisera l’intégration maghrébine, le pont vers l’Afrique, comme nous aurons l’occasion de le démontrer avec de nombreux amis maghrébins et européens dans un important ouvrage collectif intitulé « le Maghreb face aux enjeux géostratégiques » auquel collaboreront 40 experts internationaux dont 10 experts algériens, 10 experts marocains, 5 experts tunisiens, 3 experts mauritaniens, 4 experts libyens et 8 personnalités européennes. Cet ouvrage qui sera diffusé au Maghreb et en Europe paraitra en février 2011 en deux tomes- tome 1, le volet politique et culturel, le tome 2, le volet économique.

GHELLAI Mohamed, Docteur en économie, conseiller commercial à l’Ambassade de Libye à Paris et Kamel ELMERHACHE, docteur en économie, enseignant universitaire sont en charge de l’encadrement du dossier Lybie. Et dans ce cadre nous croyons en l’avenir prospère de la Lybie, pays stratégique tant pour la stabilité tant du Maghreb, de toute la région méditerranéenne aini que de l’Afrique.

(*) Le professeur Abderrahmane MEBTOUL (Algérie) et Camille SARI professeur à la Sorbonne (paris France)