La corruption en Algérie est-elle un phénomène social et économique nouveau ou ancien ? Peut-elle être aussi vue sous un angle plus moral, de conscience individuelle ou collective dans une société bousculée, déchirée et qui manque surtout de valeurs et qui demeure encore en quête de sens face à un mode de vie et un système social qui ne laissent pas de place à la vertu, la droiture, l’honnêteté et autres sentiments plus idéologiques tels le patriotisme, la justice sociale, etc. ?
La rente et sa redistribution peuvent-elles être les causes de la propagation de ce fléau qui touche toutes les catégories socio-économiques sans distinctions de sexe, d’âge, de profession, etc. ? N’est-elle pas finalement une jonction historique avec la société pré-coloniale caractérisée par le makhzen et la razzia ? Chassez le naturel, il revient au galop !
L’observateur est tenté de répondre par l’affirmative à toutes ses interrogations. En effet, toutes ces questions sont liées entre elles. Elles posent toutes la question de l’organisation de l’État et de l’équilibre des pouvoirs mais encore plus celle liée à la légitimité de cet État et la représentation que se font les algériens de lui et du degré de confiance qu’ils lui accordent.
On respecte l’État qui respecte les règles de jeu et qui respecte ses administrés en les traitant tous sur le même pied d’égalité. Car, c’est ce décalage qui fissure les rapports sociaux en favorisant toutes les « déviances » sociales, économiques et politiques dont la corruption qui s’impose comme une réponse possible « pragmatique » face à un État de non-droit. Une espèce de génie « malfaisant » … un opportunisme populaire de nécessité face aux vicissitudes de la vie …
A retenir !
Cette corruption trouve insidieusement sa justification morale comme une nouvelle règle de répartition, indirecte, de la rente pétrolière.
A défaut de justice et de traitement équitable et face à une rente providentielle dont les retombées ne sont pas concrètement ressenties par des populations, de plus en plus précarisés et fragilisés, le recours à la corruption se généralise à tous les rouages de la société et à son économie. Ainsi, face à l’enrichissement incompréhensif de certains algériens depuis la moitié des années 80 et à l’émergence de fortunes colossales à partir du début des années 90 marquées par une ouverture économique et une extension démesurée de la sphère capitaliste privée incontrôlées ainsi que les affaires à relents de scandales qui ont éclaboussé certains dignitaires où proches du pouvoir, la corruption s’est généralisée à tous les actes de la vie quotidienne.
Cette corruption trouve insidieusement sa justification morale comme une nouvelle règle de répartition, indirecte, de la rente pétrolière. C’est à chacun selon son rang dans la hiérarchie de l’administration et des rouages de l’appareil économique et de la société : du jeune improvisé gardien de « parking » avec son gourdin dissuasif qui rackette les automobilistes à l’inspecteur des impôts et au douanier, simples fonctionnaires, dont les signes ostentatoires de richesse ne sont plus cachés en passant par les magistrats, les cadres de l’État et de l’armée qui monnayent leurs positions et leur proximité des centres de décisions économique et politique pour exercer des pressions, favoriser, détourner ou contourner les lois ou la réglementation, etc.
Clé pour compenser le bien-être impossible à réaliser par l’État et « rééquilibrer » la satisfaction des divers besoins et des usages, la corruption est pratiquée au quotidien dans tous les secteurs de la société. Le « bakchich » est devenu monnaie courante dans l’accomplissement de toutes les opérations de la vie quotidienne des algériens. Les exemples ne manquent pas et se déclinent à tous les modes : en s’adressant à l’administration, l’usager est quasi obligé de payer pour accomplir une démarche de service public ! Un patient verser des « honoraires hors forfait » à un professeur en médecine pour se faire mieux traiter ! Un étudiant « acheter » son diplôme ! Un avocat, un notaire, un huissier appliquer des tarifs en dehors des barèmes légaux ! Et puis on achetait bien son affectation du temps du « service national » ou carrément sa « carte jaune » ! Les agents des banques, qui voient passer beaucoup d’argent « gouttent aussi au miel » ! On paye pour accéder à un marché public, on « casque » pour se placer dans un appel d’offre, on file des « dessous de table » pour placer un produit, pour décrocher une licence, une autorisation d’exercer une activité réglementée, etc.
La corruption devient ainsi au fil du temps et de l’activité sociale, économique et politique un système, un état d’esprit, une culture ! Le pire aujourd’hui, c’est que devant le blocage politique de la société et en l’absence de démocratie véritable, la corruption s’étend et touche à travers le clientélisme qui se pratique en direction d’autres sphères de la société, comme les organisations et les associations même à caractère religieux comme les zaouïas, qui en recevant une partie de la prébende rentière, deviennent des « passerelles » de transmission d’une corruption morale de la société. Elles deviennent « déléguées exécutives» du centre et sous-traitent pour son compte la baraka dont elles « arrosent » les bienheureux « disciples » de leurs bienfaits. Ça sent le gaz partout !
La corruption, dans le cadre d’un État en construction, est une véritable gangrène qui empêche durablement la mise en place d’une bonne gouvernance paradoxalement souhaitée par une majorité d’algériens et l’émergence d’une réelle et authentique citoyenneté.
Dahou Ezzerhouni