Du référentiel d'activités à l'ingénierie de formation : La formation au service de la gestion par les compétences

Redaction

Par Malik Mebarki
Professeur à l’Université de Lille 1 (France)

En Algérie, comme ailleurs, les mutations du système productif, les changements sectoriels mais aussi les mutations du travail se manifestent dans les organisations qui sont, de plus, soumises à un environnement incertain. La crise de compétences manifestée par une pénurie grandissante de compétences rend urgent l’existence d’un marché de compétences efficace et performant, dans ses dimensions offre et demande et dans la qualité de leurs interactions. Cette insatisfaction ressentie par les opérateurs économiques interpelle également les modèles de gestion des ressources humaines. L’efficacité des organisations et leur compétitivité passe aussi par des collaborateurs performants, motivés et épanouis dans des organisations apprenantes et dans des modes de gestion des ressources humaines collaboratifs. Le basculement du paradigme productif et les changements sectoriels accélèrent l’évolution des métiers et des emplois, soumise, désormais, au défi de la compétence. Au niveau de chaque métier, les augmentations des effectifs concernent surtout les cadres et techniciens. Symétriquement, dans les métiers non qualifiés l’emploi a fortement chuté. Ce changement quantitatif s’est accompagné de modifications des caractéristiques des emplois concernés, avec un niveau d’exigence plus élevé, en termes de formation. Le travail intelligent prend la place du travail prescrit. Les travaux dits « d’exécution » intègrent une part croissante d’initiative et de responsabilité. Il y a de plus en plus de mobilisation du potentiel cognitif, le travail devient une « activité résolutoire ». La montée du travail intellectuel valorise la formation tout au long de la vie et exige de nouvelles compétences des salariés qui doivent être désormais adaptables, c’est-à-dire capables de répondre à une situation problématique.

La compétence liée à l’activité de travail

Les différentes approches de la compétence montrent qu’elle est à la fois liée à l’activité de travail par laquelle elle se manifeste, qu’elle est finalisée sur des objectifs, qu’elle se construit en situation de travail, notamment grâce à l’autonomie et qu’elle combine différents types de savoirs, mais aussi des ressources de l’environnement. L’adaptabilité constitue une dimension essentielle de la compétence de plus en plus recherchée par les organisations productives. Fondamentalement, la logique compétence veut casser la traditionnelle « logique de poste » (le couple poste/ ancienneté, moteur traditionnel de l’évolution professionnelle au cours de l’époque taylorienne), en instaurant de nouveaux rapports entre le salarié et son organisation, dans lesquels le comportement, l’implication et le partage des objectifs de performance de l’entreprise sont pris en compte dans l’évaluation du collaborateur. La « logique compétences » s’inscrit en effet dans une « doctrine » managériale consistant à associer les salariés aux objectifs de l’entreprise en sollicitant davantage leur participation et leur initiative. Elle transforme sensiblement les termes de l’échange salarial dans la mesure où le salarié doit apporter une performance qui contribue à celle de l’entreprise et doit recevoir en échange une employabilité, c’est-à-dire la perspective d’être maintenu dans un emploi qu’il aura contribué à assurer. L’une des conséquences de cette approche est une individualisation de l’évaluation des collaborateurs, en ce sens qu’elle consiste à évaluer la contribution de chacun au fonctionnement collectif mais aussi sa capacité d’adaptation, ce qui entraîne des modes de management spécifiques et un comportement adapté de la part des managers de proximité. L’objet de cette contribution est de montrer que la problématique de la compétence, de sa production et de sa gestion dans les organisations productives doit se traiter, aussi, en amont et requiert des compétences en analyse des activités et du travail, en analyse des emplois et en ingénierie de formation tant au niveau de l’offre que de la demande de formation.

Gestion des ressources humaines et ingénierie de formation et logique de compétences

Désormais, la formation s’impose tout au long de la vie et se gère, de plus en plus, comme un investissement. De ce fait, les producteurs et prestataires de formation se doivent d’élargir et d’approfondir leurs propres compétences au domaine de l’ingénierie de la formation s’ils veulent contribuer à la production de la compétence. Ce n’est qu’à cette condition que la logique de la compétence, à tous les niveaux, a des chances de s’imposer.

Au système de formation et d’éducation de proposer des enseignements correspondant aux besoins des entreprises, aux entreprises d’identifier ces besoins, avec l’aide des spécialistes de l’ingénierie de formation et de développer la formation professionnelle continue de leurs collaborateurs. Cette rénovation requiert deux conditions au moins pour être efficace.
– La première, qui se situe au niveau de l’entreprise, exige d’abord une prise de conscience de l’importance de la valorisation de ses ressources humaines au travers de la formation et l’existence, en interne, de réelles compétences en ingénierie de formation.
– La seconde, au niveau des institutions publiques et paritaires en charge de la formation professionnelle continue, exige des compétences également en ingénierie de formation afin d’assurer aux entreprises une prestation efficace et utile.
L’offre de formation ne peut plus se contenter de ne proposer que du face à face pédagogique, fut il médiatisé, mais doit assurer des prestations en ingénierie de formation afin d’aider les entreprises à identifier leurs besoins de formation pour, éventuellement, améliorer leurs performances économiques.
C’est à cette condition que naîtront alors un dialogue et un partenariat fécond entre le système de formation et le système productif. Une formation approfondie en ingénierie de formation est une réponse pertinente si l’on veut développer les compétences des opérateurs économiques et partant, leur niveau de compétitivité d’une part et d’améliorer l’efficacité interne du système national de formation professionnelle d’autre part.
Il faut alors inscrire une véritable ingénierie de la formation entendue comme l’ensemble des procédures et des méthodes mises en œuvre dans la conception, la réalisation, l’évaluation et la validation d’un dispositif de formation, au cœur de la gestion des ressources humaines. En effet, les mutations engendrées par les missions d’une entreprise évolueront constamment au gré des évolutions structurelles du marché, de la technologie, des innovations et des exigences de plus en plus élevées du consommateur. Pour accompagner, à défaut d’anticiper ces changements, la formation doit s’inscrire dans la durée et faire partie intégrante de la gestion des ressources humaines. Le recours ponctuel aux différents types de formation, (courte durée, longue durée, qualifiante, diplômante etc), fut-il budgétairement satisfaisant, ne peut constituer une solution efficace aux différents problèmes et difficultés rencontrés par les personnes dans l’exercice de leurs missions. Il n’est d’ailleurs pas toujours prouvé que la réponse formation soit la panacée ou qu’elle soit la plus efficiente.
En tout état de cause, la formation, dans ce cadre, sera toujours confrontée aux risques de l’inappropriation et de l’inadéquation des contenus et des méthodes pédagogiques par rapport aux besoins en compétences professionnelles des personnels. Elle sera également confrontée au risque de l’inexistence de professionnalisme de l’offre de formation, de l’obsolescence des outils et des contenus et de l’insuffisance des moyens financiers. Une conception d’une ingénierie de formation en lien avec la politique de gestion des ressources humaines contribuera à améliorer la compétence individuelle et collective et, à défaut de promotion, augmentera la motivation des personnels en donnant du sens au travail qu’ils effectuent. L’indissociabilité de la gestion des ressources humaines permettra de donner à la logique de compétences toute sa place et offrira aux personnels des perspectives de carrière, ou pour le moins une satisfaction et une motivation au travail. Par conséquent, la mise en place, avec des personnels compétents, d’une démarche d’ingénierie de formation, au sein de la direction des ressources humaines du groupe nous semble indispensable pour accompagner les mutations professionnelles et économiques.
Les personnes dédiées à l’ingénierie de formation au sein de la DRH devraient fédérer un véritable réseau composé de correspondants RH-Formation (CRHF) au sein de l’entreprise et dans les entreprises-filiales. La formation, au préalable, des membres de ce réseau CRHF permettrait alors d’ancrer la GRH sur la logique de la compétence et donnerait à la politique de formation une cohérence et une bonne lisibilité. Les politiques de ressources humaines et la formation sont évidement liées.

A suivre…

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