Notre invité, Hocine Khelfaoui est l’auteur, en 2006, du rapport La diaspora algérienne en Amérique du Nord: une ressource pour son pays d’origine? [PDF]. Selon lui, il existe un manque de volonté politique en Algérie qui empêche le pays de profiter du savoir acquis par la diaspora algérienne à l’étranger. Il regrette le manque d’intérêt des autorités algériennes pour cette richesse nationale qui profite aux pays hôtes, plus qu’au pays d’origine.
Vous pouvez poser vos questions à notre invité en bas de cette page !
1- Disposons-nous de chiffres sur la diaspora algérienne dans le monde aujourd’hui ?
Il y a une grande confusion autour du nombre d’Algériens qui se sont établis à l’étranger durant ces vingt dernières années. Les raisons en sont que, d’une part, les intéressés ne s’inscrivent pas tous dans les consulats algériens, et d’autre part, les autorités ne sont pas elles-mêmes intéressées à le connaitre ou à le rendre public, entretenant sur ce sujet, comme sur d’autres, une totale opacité. Ce que tout le monde sait, c’est que ces chiffres sont considérables, comptant en centaines de milliers de personnes, parmi les plus qualifiées du pays.
2- l’Algérie est confrontée depuis la décennie noire au problème de la fuite des cerveaux, caractérisé par le départ massif d’algériens qualifiés et de scientifiques. Quels sont les impacts à court et à long terme de ce phénomène sur le pays ?
De mon point de vue, les impacts sont désastreux dans la mesure où ils vont affecter le pays sur le long terme, tout en ne l’épargnant déjà pas sur le court et le moyen terme. Aujourd’hui, notre université compte parmi les plus pauvres du monde, incluant ce qu’on appelle les Pays les Moins Avancés d’Afrique, en matière de production scientifique et d’encadrement pédagogique. C’est facile d’imaginer les conséquences sur le devenir du pays lorsque l’on sait que la science est devenue ces vingt dernières années le principal facteur de compétitivité entre les entreprises et les nations.
3- Vous êtes l’auteur d’un rapport publié en 2006 sur la diaspora algérienne en Amérique du Nord, qui pose une question capitale: « Une ressource pour le pays d’origine ? ». Quelle est votre réponse ?
Toutes les études qui ont été faites, les miennes et celles des autres, ont montré que cette diaspora est là, disposée à s’investir sans contrepartie dans la reconstruction du pays. Elle attend une réponse politique qui, de mon point de vue, ne viendra pas car celle qui a été à l’origine de son exil est toujours là.
4- Le Canada attire beaucoup d’algériens jeunes et diplômés, grâce à son système d’immigration choisie, que la France essaye de reproduire chez elle dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée. Comment l’Algérie pourrait-elle faire face à cet appel d’air venu du nord ?
Dans la situation actuelle, elle ne peut rien faire, pour autant que les décideurs veuillent faire quelque chose. Pourtant, c’est très facile de mettre fin à l’exode des cerveaux : il suffit de donner aux scientifiques des conditions de travail minimales (j’entends par là le respect et la dignité, pas l’argent) et un idéal, celui de pouvoir s’exprimer et travailler pour le développement de leur pays. Ces deux conditions ne sont pas d’ordre financier, mais politique, et tout le problème est là.
5- Le gouvernement déplore la fuite de sa matière grise à l’étranger, pensez-vous qu’il prenne les décisions politiques qui s’imposent en mettant les moyens nécessaires afin de retenir cette force vive ?
Écoutez, le gouvernement doit d’abord retenir ceux qui sont encore sur place. Ensuite, je vous dirais que les scientifiques ne sont partis ni pour des raisons de sécurité, ni pour des raisons économiques. Ils acceptaient de partager avec leurs compatriotes les mêmes conditions de vie. Ce qui les a fait partir ce sont les humiliations et les atteintes à leur dignité, et ça le gouvernement en est totalement responsable. Pendant un moment, face aux professeurs en grève de dignité, certains recteurs n’avaient que cette réponse à leur donner : « nous allons vous affamer »! Les professeurs n’avaient certes pas peur d’avoir faim, mais se découvrir dans un système où la science est ainsi gérée leur a fait perdre espoir. Ils sont tout simplement partis.
6 – Croyez-vous que ces départs sont définitifs ou juste temporaires ? Y a t-il une volonté de retour au pays de certains ?
Il n’y a jamais de départ définitif. Cependant, la durée de l’exil, parce que dans beaucoup de cas, il s’agit bien d’un exil, sera égale à la durée de la politique en place. La diaspora reviendra sans qu’on le lui demande lorsqu’elle jugera que les conditions politiques d’un retour utile pour le pays sont là.
7 – Pourquoi l’Algérie ne profite-t-elle pas à distance du savoir faire acquis à l’étranger par sa diaspora à l’instar du Liban, la Chine ou l’Inde par exemple ?
Parce que dans ces pays, il y a des États qui ont des stratégies de développement et qui placent l’intérêt de la nation avant celle des individus et des groupes. En Algérie, il n’y a pas d’État au vrai sens de ce terme; il y a un Pouvoir qui n’a qu’une stratégie, préserver ses intérêts, même au détriment de ceux de la société entière et à cause de cela, il perçoit en vérité la diaspora comme une menace plutôt que comme une opportunité.
8 – Un dernier mot pour conclure ?
Le Pouvoir politique ne doit pas se sentir menacé ou en concurrence avec le Savoir. Le problème en Algérie, c’est que le Pouvoir ne tolère pas qu’un citoyen (surtout un intellectuel) puisse faire son travail sans avoir à lui prêter allégeance. Cette attitude, qui dure depuis l’indépendance et même d’avant l’indépendance, doit absolument changer. Elle empêche l’université de s’autonomiser par rapport aux jeux politiciens et de s’enraciner dans la société. Elle est la condition pour que l’Algérie entre dans l’ère des sociétés des savoirs.
Entretien réalisé par Fayçal Anseur
Hocine Khelfaoui est Professeur associé au Centre Interuniversitaire de Recherche sur la Science et la Technologie (CIRST)
Université du Québec à Montréal.