Par Ammar KOROGHLI *
Voilà l’histoire de Madame Z. (appelons la, Zakia) qui a été contrainte, à l’approche de la cinquantaine et vivant humainement et personnellement une situation dramatique (malade, en chômage et en divorce), à l’expulsion de son logement ; en réalité, une chambre de bonne, quoique située dans le quartier chic du 16è arrondissement de Paris. Ironie du sort ?
En effet, Monsieur J. (appelons le, Jacques) qui se dit locataire de divers locaux dépendant de l’immeuble sis à PARIS dont, en particulier, quatre chambres de service situées au 6è étage dudit immeuble, a cru devoir assigner Madame Z. devant le Tribunal d’Instance aux fin de constater que Madame Z. est occupante sans droit ni titre, d’ordonner son expulsion ainsi que celle de tous occupants de son chef des lieux qu’elle occupe ce, avec le concours de la force publique et d’un serrurier s’il y a lieu, autoriser en tant que de besoin le demandeur à faire transporter les meubles et objets mobiliers trouvés sur place en tel lieu ou tel garde-meubles de son choix aux frais, risques et périls de la défenderesse…
Cependant Monsieur J. -locataire- ne produit pas aux débats des éléments (encore moins des éléments probants) de nature à justifier d’une qualité et d’un intérêt légitime pour introduire cette instance ; qu’en conséquence, à titre principal, il a été demandé au Tribunal de le déclarer irrecevable en ses demandes, fins et conclusions pour défaut de qualité et absence d’intérêt légitime pour agir. A titre subsidiaire, le débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions, accordant à Madame Z. les plus larges délais pour quitter les lieux.
S’agissant de l’irrecevabilité de la demande d’expulsion de Madame Z. pour défaut de qualité et absence d’intérêt légitime de Monsieur J., le Juge des Référés près le Tribunal de Grande Instance de PARIS a, par Ordonnance, déclaré Monsieur J. irrecevable en sa demande d’expulsion de Madame Z. En effet, Monsieur J. se dit locataire de divers locaux dépendant de l’immeuble sis à PARIS dont, en particulier, quatre chambres de service situées au 6è étage dudit immeuble dès lors que le droit d’agir -outre l’intérêt dont elles doivent justifier- n’appartient en propre qu’aux personnes ayant qualité pour ce faire ; qu’en l’espèce, Monsieur J., qui se dit locataire des chambres situées au 6è étage de l’immeuble dont s’agit, n’a pas qualité pour agir, notamment aux fins d’expulsion n’étant pas propriétaire; ce, à supposer même qu’il ait un intérêt à cette action.
Or, il était loisible de constater dans une lettre transmise à Madame Zakia, en simple et en RAR, à l’adresse de l’immeuble où se trouvent les locaux litigieux, que Monsieur Jacques lui indique ceci : « Je tenais à vous informer que le propriétaire a décidé, dans le cadre d’une sécurisation des accès aux caves et escaliers de service, d’installer des portes avec badge à compter du… ». Qu’ainsi, à défaut de qualité et d’intérêt légitime pour agir auprès du Tribunal, sa demande est purement et simplement irrecevable sur le fondement des dispositions des articles 31 et 32 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Dans ces conditions, il a été demandé audit Tribunal de constater l’absence de qualité et d’intérêt pour agir de celui-ci. En conséquence, il aurait dû être condamné à des dommages-intérêts pour procédure abusive à l’encontre de Madame Z. sur le fondement des dispositions de l’article 32-1 du Nouveau Code de Procédure Civile. Il n’empêche que, subsidiairement, à défaut de maintien dans les lieux, Madame Zakia demanda les délais les plus larges pour quitter les locaux litigieux conformément aux dispositions des articles L. 613-1 et suivants du Code de la Construction et de l’Habitation.
De l’autre côté, à l’appui de ses prétentions, Monsieur Jacques a cru devoir indiquer, dans son acte introductif d’instance, qu’il a délivré une sommation de quitter les lieux à Madame Zakia et qu’il a saisi le Juge des référés du Tribunal de Grande Instance de PARIS aux fins de voir constater que celle-ci est occupante sans droit ni titre et de voir ordonner son expulsion. A cet effet, il a produit aux débats la carte de résident de Madame Z. délivrée par la Préfecture du Nord, étant précisé que celle-ci n’a pu utilement procéder à la modification de son adresse du fait de l’absence d’un bail écrit à son profit ; il soutint avoir logé celle-ci dans les chambres de service dépendant de son appartement qu’il employait à temps partiel !
A son corps défendant, Madame Zakia a communiqué des pièces desquelles il résulte que Monsieur Jacques lui a adressé une correspondance -en simple et en RAR- dans laquelle il fait part de son souhait de récupérer les chambres qu’elle occupait de façon précaire (et, disait-il, dont il avait un besoin urgent, notamment pour y entreposer des archives importantes) compte tenu de sa situation personnelle : chômage, divorce… Ni plus, ni moins, alors que Madame Zakia vivait une détresse visible, Monsieur Jacques voulait utiliser la chambre de bonne qui lui servait de logement pour ses archives ! Qu’ainsi, il résulte des propres écrits de Monsieur Jacques que celui-ci connaissait parfaitement la situation de Madame Zakia, qu’il savait en connaissance de cause qu’elle est occupante de façon précaire, qu’il souhaitait récupérer lesdites chambres pour y entreposer des archives…
Or, il n’est pas superfétatoire de relever que Madame Zakia avait versé aux débats des pièces desquelles il appert qu’elle a régulièrement déposé une demande de logement auprès de la Mairie de Paris, qu’elle s’était inscrite dans des Agences immobilières aux fins d’accès à un logement, qu’elle a occupé régulièrement la chambre litigieuse contrairement à ce qui a été allégué dans l’assignation de Monsieur Jacques. Et surtout, elle n’a pu quitter les lieux litigieux car du bulletin de situation médicale de l’Hôpital qu’elle versa aux débats, il résultait qu’elle a été hospitalisée. Le certificat médical établi par le Docteur N. spécifiait que celle-ci présente des problèmes de santé sérieux, essentiellement un diabète insulinodépendant qui la contraint à une surveillance très régulière de sa glycémie au moyen de piqûres au bout du doigt,d’injections à heures régulières 5 fois par jour d’insuline, ce traitement contre-indique toute expulsion de son domicile qui ne serait pas suivie d’un relogement immédiat ; ce, outre qu’elle avait des difficultés relatives tant à sa situation familiale (elle était en instance de divorce) que professionnelle (elle était au chômage).
Nonobstant toutes ces difficultés, contre toute attente et malgré toutes ces considérations hautement risquées pour elle et ses observations appuyées par des documents probants, le Tribunal a préféré ordonner son expulsion… En désespoir de cause, elle a dû aller se réfugier chez sa mère qui habitait un petit appartement dans une petite ville de province.
* Avocat – Auteur Algérien