Internet a fait irruption dans notre société pratiquement sans montrer patte blanche. Il a tellement séduit que tous sont tombés désarmés devant ses charmes comme envoûtés. Insidieusement, il a pris tout le monde au dépourvu. Les questions et les interrogations n’ont été posées qu’une fois la technique bien installée dans les usages et les pratiques des algériens. Internet a bousculé pas mal d’habitudes, de certitudes et d’idées reçues. Il s’est imposé, imposé son rythme et est en passe de remuer l’inébranlable citadelle de la bureaucratie.
Internet peut-il renouer la confiance des algériens avec leurs services publics (institutions, administrations et entreprises) ? Peut-il constituer une passerelle technologique qui peut rétablir le lien cassé entre les usagers et leurs divers interlocuteurs et permettre par là même de redorer le blason d’une bureaucratie d’un autre âge que subit la société algérienne dans un monde de plus en plus ouvert, de plus en plus souple et compétitif. Internet peut-il transformer les administrés passifs en usagers actifs satisfaits des services qu’ils sont en droit de demander ?
Pour répondre à ces quelques questionnements autour de l’apport de l’outil Internet aux usagers des services publics, il est nécessaire d’effectuer un état des lieux de la pratique faite de l’Internet en Algérie dans le domaine des services en ligne.
Les premiers pas de l’Internet en Algérie ont commencé il y a plus de vingt ans par le CERIST, organisme dépendant de la recherche scientifique. Et depuis, la toile a étendu son réseau. Mais avec quel consistance et quel contenu et surtout pour quel valeur ajoutée, en dehors des connections de divertissements et d’information qui constituent le « gros » des préoccupations des internautes algériens ?
Un rapide tour d’horizon des sites institutionnels algériens montre l’état d’hypertrophie de la sphère Internet nationale. Le nombre de sites du domaine «.dz» reste infiniment faible (entre 1000 et 3000 selon les sources et moins de 900 selon une recherche personnelle sur le moteur de recherche Google). Pour Mme Aouaouche El Maouhab, directrice de la division réseaux au CERIST, « le Centre a enregistré 2380 noms de domaine en Algérie en .dz » (El Watan, 9 octobre 2009). Il faut également signaler que des milliers de sites et de blogs algériens sont enregistrés et hébergés à l’étranger (France, Allemagne et Canada principalement).
On constate tout d’abord, qu’en sus de la présidence de la république et du premier ministère, tous les ministères disposent de leurs sites sauf les secrétariats d’Etat qui sont inclus dans leur ministère de tutelle. Très sobres, ces sites souffrent d’un manque d’attractivité frappant. Ils servent en fait de simples vitrines figées sans âme encore sous la charme du culte de la personnalité et qui se soucient peu de leurs cibles : les Algériens.
Ainsi, seul le ministère de l’intérieur propose quelques formulaires en téléchargement (demandes de CIN, permis de conduire et vente/achat de véhicule) et des informations en direction des associations (statuts-types).
Il faut reconnaître que les sites de quelques consulats et ambassades algériens à l’étranger sont plus performants et intègrent bien cette notion de service public. Est-ce parce qu’ils s’adressent aux algériens installés en pays développés et plus exigeants …
A retenir !
Très peu d’institutions et d’administrations font un usage très large de l’outil et on sera même surpris de constater que seules 5 wilayas sur 48 disposent de leur propre site Internet : Constantine, Tiaret, Ain-Témouchent, Bordj Bou-Arreridj et El-Bayadh
Les grands services publics, Impôts, Douanes, Grandes Entreprises, Domaine National sont inégalement mis en ligne. Hormis la direction des grandes entreprises qui offre un site agréable et pratique avec quelques formulaires à télécharger, les autres sites demeurent en deçà de l’attente des usagers : non actualisation des informations et absence d’interactivité les caractérisent. Même le site du ministère des finances présente les mêmes faiblesses : ainsi la rubrique variation des prix à la consommation remonte à ….2004, celle du taux de change et de tous les autres indicateurs de l’économie algérienne sont figées à 2007. Ce qui est frappant pour ce site c’est que le nombre de ses visiteurs ne dépasse pas les 85 000, ce qui est fort faible pour un site de cette importance. Et pour illustrer le peu d’intérêt accordé au site par ses responsables on citera l’adresse erronée du site de la direction générale des impôts auquel il renvoie ! ! ! Signalons enfin la prestation du site joradp.dz qui met en ligne le journal officiel et permet une consultation exhaustive de son contenu depuis…le 6 juillet 1962 !
Et si on pousse encore plus loin, on s’apercevra que très peu d’institutions et d’administrations font un usage très large de l’outil et on sera même surpris de constater que seules 5 wilayas sur 48 disposent de leur propre site Internet : Constantine, Tiaret, Ain-Témouchent, Bordj Bou-Arreridj et El-Bayadh. Pas de sites d’APW. Presque aucune mairie sur les quelques 1500 que compte le territoire. Trois seulement ont été recensées, il s’agit des APC de Didouche Mourad (Constantine), celle d’Ouled Yaich (Alger) et de Bounoura (Ghardaia).
Ainsi des machines administratives énormes comme les villes d’Alger et Oran ne disposent pas encore d’interface Internet ni pour leurs Wilayas, ni pour leurs APW ni pour leurs communes.
Du côté des entreprises, même si des sites existent, ce ne sont guère que de simples vitrines manquant de dynamisme dont très peu sont mis à jour et où prime le mot du directeur-général ! ! ! Un simple calcul nous illustre l’état d’indigence des sites des entreprises publiques et privées toutes confondues. Sur les quelques 600 000 petites et moyennes entreprises immatriculées en Algérie, il n’y aurait qu’une petite centaine qui dispose d’un site propre. Effarant ! ! !
Dans le secteur financier et bancaire, la situation n’est guère différente. Rares sont les banques qui permettent de consulter son compte et d’y effectuer des opérations bancaires (CPA et Société Générale Algérie).
La SAA par exemple n’offre qu’un seul formulaire mal scanné concernant le constat amiable d’accident de la circulation alors que le secteur des assurances et en plein boom et que les clients sont en droit d’attendre plus de leurs compagnies d’assurance. Seule Alliance Assurance propose des devis en ligne pour ses clients (assurance auto, voyages et assistance auto).
La caisse de sécurité sociale et la CASNOS ainsi que la caisse de retraite (CNR) et la CACOBATPH disposent de sites propres. Les deux derniers proposent respectivement des simulateurs de retraite et de congés payés en plus de quelques formulaires nécessaires à certaines formalités pour les usagers et les employeurs. Mais pas tous les documents, ainsi comble du ridicule, la caisse de retraite exige de ses usagers une attestation de témoignage signée par deux personnes qui confirment bien que le demandeur a bien terminé sa carrière dans telle où telle entreprise alors que cette personne était bien déclarée et payait ses cotisations régulièrement. Pourquoi un formulaire supplémentaire alors que le dossier de retraite relève du véritable parcours du combattant qui survient en fin de vie professionnelle ? Seule la CNR en détient le secret ! ! ! Et là, Internet n’y peut rien !
Des dizaines d’autres sites d’importance touchant les domaines de la culture, du tourisme demeurent aussi en dehors du mouvement de mise en réseau des services publics: l’office du tourisme, les archives nationales, la bibliothèque nationale, les musées. Car comme le disait un chef d’entreprise dans le secteur privé lors d’une récente rencontre : « Il ne suffit pas de gérer le .dz, il faut lui donner du contenu, du sens ». Abondant dans le même sens Ali Kahlane, DG de Satlinker, dira, cité par El Watan, que « les sites institutionnels qui ne sont pas mis à jour sont légion … il ne s’agit pas d’être sur Internet, mais d’être dynamique sur Internet. Il faut que le site reflète la réalité de tous les jours ». Les temps sont durs pour les adeptes de « la communication unilatérale centralisée, centrée sur l’émetteur et, ses discours et ses activités » (Merah, Université de Béjaia) comme l’unique chaîne de TV.
Les ministère des TIC :
Une incessante cogitation
L’Algérie a connu Internet dès 1994, l’Etat y a consenti des dépenses énormes pour mettre en place l’infrastructure de base nécessaire au déploiement du réseau et au renouvellement et à la modernisation des services des télécommunications. Des milliards de dinars, mais pas suffisamment selon certains organismes internationaux dont le PNUD. Ainsi, le gouvernement algérien a initié dans le courant des années 2000 un plan quinquennal de soutien à la relance économique d’un montant de 7 milliards d’euros dont près de 10 % étaient consacrés au développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Sur le plan officiel, les réflexions et les idées n’ont pas été totalement arrêtées. En plus des préconisations de la Banque Mondiale dans son rapport « fondations pour le développement des TIC en Algérie » (avril 2003), le Ministère en charge du pilotage de la mise en place d’un système Internet a eu déjà a plancher sur le sujet et à « pondre » son plan dans un premier rapport en octobre 2001.
En 2008 « la stratégie e-Algérie 2013 » est mise en chantier par le ministère en charge des TIC. Ce plan est articulé autour de treize axes majeurs dont l’accélération de l’usage des TIC dans l’administration publique qui aura comme répercussion directe « une transformation importante de ses modes d’organisation et de travail » pour « servir le citoyen de manière plus appropriée, notamment à travers la mise « en ligne » de ses différents services ».
Ce plan préconise également des actions en direction des entreprises pour en augmenter sensiblement « la performance et la compétitivité » et « les faire bénéficier des opportunités offertes par un marché plus vaste et hautement dynamique ». Cette stratégie compte également permettre un large accès des ménages aux réseaux des TIC en redynamisant l’opération Ousratic. La stratégie reconnaît également qu’il est nécessaire de stimuler la sphère de l’économie des TIC qu’elle articule autour du « logiciel, des services et des équipements ». Elle repose aussi sur un renforcement de l’infrastructure de télécommunication à haut et très haut débit prenant en compte les aspects sécurisation et qualité des réseaux. Tout cela doit passer inévitablement par une mise à niveau du cadre juridique dont l’objectif « consiste en la mise en place d’un environnement de confiance favorable à la gouvernance électronique ». Bien entendu dans l’esprit de ses initiateurs, cette stratégie vise « l’amélioration de la qualité de vie du citoyen et le développement socio-économique du pays ».
Ces réflexions mettaient l’accent sur les vertus d’Internet, des gains en temps et les impacts économico-financiers qu’il engendrerait pour les entreprises et les administrations budgétivores. Mais aussi, la réduction de la corruption qui profite de la vulnérabilité et du manque de transparence. Rétablir la confiance avec les administrés et les usagers en légiférant sur la reconnaissance légale de la électronique et en intégrant la protection des données personnelles et la vie privée des consommateurs dans le cadre des échanges sur Internet. Se rapprocher des populations en proposant « des applications de gouvernement en ligne » à développer « au niveau local et central ». En un mot « améliorer les procédures et l’efficacité des entreprises et des administrations». Et offrir peut être un peu plus de « bien être » social et économique.
Rappelons enfin, que pour poursuivre cette réflexion sur la société numérique, le MPTIC compte organiser en mai prochain une première conférence internationale sur « les services en ligne, le contenu et le haut débit ». Une occasion, selon les organisateurs pour réfléchir aux « outils et dispositifs pour accélérer le développement et la confiance numérique » et à la « gestion des problèmes de l’expertise en communication, de sécurité et de respect des libertés individuelles ».
Le son de cloche des chercheurs
Internet : un défi à l’Etat autoritaire
Pour le chercheur algérien Ahmed Dahmani (Économie politique de l’Internet au Maghreb : incertitudes d’une démocratisation du numérique), si Internet permet d’améliorer le fonctionnement démocratique, en encourageant une grande transparence de l’action des gouvernements et en stimulant le débat public en promouvant l’expression culturelle et politique des différents agents et groupes sociaux, il n’en demeure pas moins qu’il reste un instrument, une innovation technologique, qui ne peut nullement suppléer le rôle des groupes sociaux dans les transformations sociales. Il serait utopique selon lui de croire que la seule apparition d’Internet transformerait sur les plans sociaux et politiques les sociétés du Maghreb.
Par ailleurs, dit-il « dans les trois pays ont été mises en place des démocraties formelles sans véritables droits pour les citoyens. La participation aux sphères publiques et politiques est limitée à quelques couches citadines privilégiées ». Ajoutant que « tout dans la démarche des tenants de ce système de pouvoirs et de privilèges multiples atteste de cette volonté manifeste de contenir la société, de l’empêcher de s’autonomiser et donc de maintenir les choses en l’état, pratiquer la « tyrannie du statu-quo ». Dahmani reconnaît qu’« une fois adopté par les sociétés, l’Internet, en tant que réseau ouvert, peut difficilement être contrôlé par les États comme c’est le cas pour les médias classiques. Non propice à la propagande univoque, il permet à ses utilisateurs d’acquérir, quasiment en temps réel, les informations préalables et les connaissances nécessaires à tout débat public et politique ».
Pour le Dr. Nadia CHETTAB, de l’Université Badji Mokhtar, dans « Economie, TIC et bonne gouvernance en Algérie », « les dysfonctionnements structurels et systémiques internes de l’administration, résultant de la forte centralisation du pouvoir de décision et de la persistance de certaines formes d’autoritarisme ont compromis le rôle économique et social du pays. » et elle ajoute que « la bonne gouvernance suppose la redéfinition du rôle de l’Etat, il s’agit de concevoir un nouveau type d’Etat qui suppose d’une part, une stratégie de développement basée sur les TIC et d’autre part une reconnaissance du rôle et d’une place aux initiatives individuelles et de groupes à travers l’émergence d’un système administratif et de représentation locale transparent, consensuel mais autonome dans ses décisions. ».
D’autre part, Merah Aissa, doctorant de l’Université de Béjaia, qui s’intéresse à la problématique de contrôle des nouveaux médias en Algérie, se pose la question sur la manière dont le régime politique va gérer le paradoxe d’un Internet ouvert par nature et la tentation naturelle de l’autorité de tout contrôler. Merah cite à ce propos T. Vedel qui dresse un parallèle entre les possibilités offertes par Internet dans les sociétés développées (participation active et libre dans l’information, le débat et la délibération publique) et ce que renvoient ces usages dans les systèmes fermés (manque de transparence du jeu politique, étroitesse ou fermeture de l’espace public et la marginalisation des citoyens dans le processus de décision).
Ainsi ces trois universitaires s’accordent pour montrer qu’il serait illusoire de s’engager dans une bonne e-gouvernance sans l’existence d’une société civile réelle reconnue dans son existence et en tant qu’entité autonome en qualité de partenaire à part entière des agents de l’Etat.
Dahou Ezzerhouni